A quelques encablures de la tenue de l’élection présidentielle dont les deux tours ont été fixés respectivement au 7 juillet et au 21 juillet 2013, de nombreuses interrogations persistent quant à la possibilité pour le Mali de relever avec succès le défi de l’organisation des différents scrutins prévus pour cette année.
Parmi les multiples interrogations qui taraudent les esprits, deux sont essentielles et demandent des réponses à la fois urgentes et rassurantes. Il s’agit, d’une part, des craintes sur la possibilité pour le gouvernement de tenir les scrutins présidentiel et législatif dans un contexte caractérisé par l’existence de plusieurs contraintes, au nombre desquelles figurent un calendrier électoral resserré, une insécurité récurrente et de nombreux défis d’ordre technique et organisationnel. D’autre part, l’on se demande bien si les futures institutions issues d’élections devant se tenir dans de telles conditions, pourraient se prévaloir d’un tantinet de légitimité.
Le Mali peut- il réussir la tenue des scrutins prévus en juillet ?
S’il est acquis que le Gouvernement est déterminé à convoquer le collège électoral aux dates indiquées plus haut pour la tenue de la présidentielle, beaucoup d’observateurs émettent des doutes sérieux sur sa capacité à réussir avec succès ce challenge. En effet, l’organisation des élections doit se faire cette année sous la triple contrainte d’une grave crise sécuritaire, d’un calendrier extrêmement resserré et des nécessités d’adaptation du processus technique du vote, induites par le choix d’un fichier biométrique.
Après l’adoption du décret fixant les dates de l’élection présidentielle, le ministre de l’Administration territoriale, de la décentralisation et de l’aménagement du territoire, ainsi que les responsables de la Délégation générale aux élections (Dge) ont, à plusieurs reprises, fait le point des préparatifs techniques tout en réaffirmant leur volonté d’organiser les scrutins prévus dans les délais impartis. Récemment, ils ont renouvelé l’exercice à l’occasion des rencontres instituées avec les partis politiques et les partenaires techniques et financiers.
Mais au regard de la complexité tenant à la réunion des conditions techniques, matérielles et logistiques de l’organisation d’un scrutin à l’échelle nationale tel que le scrutin présidentiel, on peut se demander si finalement les assurances données par les autorités précitées ne relèvent pas d’une posture imposée, et donc de pure façade. En effet, au jour d’aujourd’hui, les fonds nécessaires à la tenue des élections ne sont pas mobilisés. Effectivement, sur 64 milliards francs Cfa estimés comme étant le coût des élections, seuls 25 seront mobilisés par le Gouvernement, le reste devant être pris en charge par les partenaires. Les préalables techniques ne sont pas réalisés non plus.
Parmi ces préalables, il y a d’abord la confection et la mise à la disposition des électeurs des documents électoraux, dont la fameuse carte biométrique Nina prévue pour être la fois le seul document d’identification de l’électeur et le seul document permettant à celui – ci de voter, et celle de la Carte d’orientation de l’électeur qui, comme son nom l’indique, servira à orienter l’électeur vers ses lieu et bureau de vote.
Il faudra également et ce, avant le 7 juillet 2013, date du 1er tour de l’élection présidentielle, mettre en place l’ensemble du matériel électoral (isoloirs, urnes, etc.) et prendre les mesures nécessaires pour que les bureaux de vote fonctionnent avec les personnels requis : assesseurs, présidents de bureaux. Mais auparavant, il faudrait faire le point du matériel disponible pouvant être immédiatement déployé.
Il convient de rappeler à cet égard que le processus d’acquisition du matériel électoral était largement avancé en vue des élections générales avortées de l’année dernière, lorsque le 22 mars 2012 est survenu le coup d’Etat du capitaine Sanogo. Le 1er tour de l’élection présidentielle devait alors avoir lieu à la date du 29 avril 2012.
Jusqu’au moment où ces lignes sont écrites, aucun élément d’information n’a été livré par l’Administration territoriale et la Dge sur la question essentielle du matériel encore disponible, notamment sur le stock acquis en prévision des élections générales ajournées de 2012.
Cette absence de communication ne permet pas de donner la lisibilité nécessaire aux actions entreprises par le Gouvernement dans le cadre des préparatifs des élections de juillet et présente de nombreux inconvénients.
En effet, d’une part, elle ne permet pas d’apprécier objectivement le budget arrêté pour l’organisation des élections, d’autre part, elle prive les acteurs concernés d’informations utilitaires, tout en contribuant à accentuer le stress au sein de la classe politique et de l’opinion publique et surtout le doute sur la capacité du Gouvernement actuel à faire face aux échéances électorales. Toute chose qu’on ne peut que regretter alors que le Département en charge de l’organisation des élections au Mali peut, à juste titre, se prévaloir d’une expertise avérée et de nombreux atouts acquis à l’issue de l’organisation de multiples scrutins depuis l’avènement de la démocratie en 1992.
L’échéance de juillet suscite également de réelles inquiétudes lorsqu’on se penche sur les contraintes d’ordre sécuritaire qui la sous – tendent. Les récentes attaques armées et les pertes subies au Nord par les forces qui y sont déployées pour lutter contre les jihadistes constituent un rappel douloureux de la persistance de l’insécurité dans les régions septentrionales du pays.
On peut réellement s’interroger, à moins d’un changement radical de la situation sécuritaire, sur le bien – fondé de la tenue envisagée à court terme de scrutins dans certaines agglomérations du Nord. Tout comme subsistent des interrogations au sud du pays sur la possibilité pour tous les leaders politiques désireux de prendre part à l’élection présidentielle, en raison des actes de persécution et des menaces ayant visé certains d’entre eux.
Reste également pendante la délicate question de la participation des milliers de réfugiés et de déplacés ayant été obligés de quitter leurs communes de résidence du fait des hostilités enclenchées depuis le début de la guerre en janvier 2012.
Le gouvernement s’emploie certes à apporter des réponses concrètes à ces questions en initiant des actions auprès du Hcr et des pays d’accueil des réfugiés pour permettre à ces derniers de participer aux élections, et en prévoyant dans la loi électorale la possibilité de regrouper sur des lieux de vote, distincts de ceux de leurs résidences habituelles, les personnes déplacées à la suite de la guerre.
Ainsi des centres de vote pourraient être créés au moyen de mesures réglementaires pour permettre aux déplacés d’exercer leur droit de vote au scrutin présidentiel et en fonction des localités d’origine des personnes déplacées. Des difficultés relatives à la mise en œuvre de telles opérations, qu’il s’agisse du vote des réfugiés ou de celle des déplacés, ne permettent pas de lever les inquiétudes exprimées.
De nombreux observateurs, au vu de ce qui précède, estiment que si des mesures correctives urgentes ne sont pas prises, il est à craindre que l’on ne s’achemine au Mali vers la tenue d’élections organisées à la hussarde sous la dictée des bailleurs de fonds et dont les résultats donneront lieu à de fortes contestations.
Quelle légitimité pour les futures institutions élues ?
La perspective d’une élection présidentielle, qui se tiendrait sous les contraintes sus-évoquées, suscite bien évidemment beaucoup d’appréhension dans les milieux politiques et au sein de l’opinion publique malienne.
Certains vont d’ores et déjà plus loin et ne voient en l’échéance de juillet 2013 qu’un simulacre, une mise en scène programmée par les partenaires techniques et financiers pour sortir, fût – ce au forceps et au prix de multiples acrobaties, du scénario actuel d’un pays sans interlocuteur digne de ce nom.
A ces critiques et inquiétudes, il convient d’ajouter que la non prise en compte cette année sur les listes électorales des personnes ayant atteint l’âge de dix huit ans en 2013, soit plus de 350.000 électeurs, et le déplacement massif des populations vers les pays voisins ou d’autres localités de l’intérieur du Mali, ne seront pas de nature à renforcer la légitimité du futur président élu.
Ce qui ne manque pas de susciter une crainte : ne s’achemine-t-on pas inexorablement au Mali vers une crise post – électorale, à la suite de la tenue d’élections censées précisément permettre au pays de tourner la page d’une crise multidimensionnelle provoquée par la guerre au nord et le coup d’Etat militaire ?
A moins d’une forte implication de la communauté internationale, qui pourrait jouer un rôle décisif en consolidant les efforts de libération entrepris au Nord ; en accompagnant massivement les élections par un franc soutien technique et financier et en veillant à ce que la problématique sécuritaire soit totalement intégrée dans le processus électoral, on ne voit pas comment les défis que voilà pourraient être relevés avec succès par le seul Etat du Mali.
Birama FALL