Ardemment désirée, autant par la société civile que par la classe politique, la rencontre entre le Président IBK et Soumi champion, Chef de file de l’Opposition, peut, sans conteste, être qualifiée d’historique pour plusieurs raisons. Ce qui ne devrait pourtant pas inciter à un optimisme béat.
Ce serait excessif d’invoquer Mathusalem, mais il en a fallu du temps pour que se concrétise cette rencontre entre deux personnalités clés de la scène politique nationale ; une rencontre qui du reste s’imposait d’elle-même, parce que le Mali repose sur une tradition de dialogue et parce que le Mali d’IBK est un grand malade qui ne peut convier à son chevet le monde entier et ostraciser certains de ses fils. A en croire Tiébilé DRAME, la quête insistante d’un dialogue avec Koulouba remonte à 2014, soit un an après l’accession du Président IBK à la magistrature suprême de l’Etat et la fin de son éphémère initiative de rencontres périodiques avec les acteurs politiques et la société civile. La hiérarchie des priorités a changé comme par enchantement. La réconciliation nationale (tenue des états généraux de la décentralisation) qui était ‘’la priorité la plus pressante’’ avec la sécurité des Maliens et de tous ceux qui vivent sur le territoire national (Assises nationales du Nord), a été supplantée par la restauration du ‘’prestige et l’influence de la diplomatie de notre pays qui a été, jadis, à la pointe du combat pour l’émancipation de l’Afrique et la défense de ses intérêts’’. Les ailes de ‘’Air Force One’’ y sont-elles pour quelque chose ?
Pour prendre entre quatre yeux, ces deux personnalités politiques séparées de plus en plus par des egos et des ambitions inassouvies, en tout cas, beaucoup plus sur la forme que sur le fond, à en croire les professions de foi de l’un et de l’autre, il n’aura pas fallu que du temps, mais également une diplomatie d’une extrême habilité. Elle est venue d’ailleurs et cela interroge à plus d’un égard.
La rencontre entre les deux personnalités restera aussi mémorable en raison de la posture position jupitérienne adoptée par IBK perché sur son Olympe de Koulouba. Pour Soumi champion et ses camarades, le garant constitutionnel de l’unité nationale s’était barricadé dans un tour d’ivoire, ni accessible ni réceptif. Les opposants sont traités de « petits messieurs ». En valent-ils la peine de descendre de son piédestal ? Toute perspective de dialogue était bouchée. Dans un climat éruptif empreint de mépris, d’une part, et de défiance, d’autre part, il était heureux d’entendre le Président IBK dire, lors de sa rencontre avec la Majorité : «je ne considère aucun de mes frères comme un ennemi. Aucun ! Nous pouvons avoir des divergences sur la même manière de conduire les affaires, sur la Vision à terme, mais s’il est vrai que nous avons le même amour de ce pays, nous ne pouvons que nous retrouver en un pont de convergence pour le bonheur du Mali et des Maliens ». Et surtout cette phrase : « la grandeur s’accompagne toujours d’humilité, de grande humilité. (…) Chacun de nous devrait, en toute humilité, savoir qu’isolément nous ne sommes rien ». L’humilité, c’est le maître mot, c’est certainement ce qui avait le plus manqué et conduit à une exacerbation des frustrations et une cristallisation des tensions.
L’on ne saurait non plus perdre de vue que le fossé qui séparait les deux hommes était abyssal au point de ne pouvoir envisager une rencontre entre eux : le projet de révision constitutionnelle qui a été suspendu avant d’être remis au goût du jour ; les résultats de l’élection présidentielle de juillet/août 2018 qui ont donné lieu à une crise post-électorale et la non reconnaissance du Président élu ; la réforme administrative ; la démarche bringuebalante pour les réformes politico-institutionnelles en chantier.
La rencontre entre le Président IBK et Soumi champion est historique, parce que c’est la planche du salut pour un Mali toujours englué dans une crise protéiforme. Désormais, il y a acceptation de part et d’autre, des exigences de se transcender et de placer le Mali au-dessus des intérêts personnels. Le Président IBK, l’a clairement assumé lors de sa rencontre avec sa majorité : « pour moi rien n’est au-dessus du Mali, aucun sacrifice, aucun ego, de quel ego ? Je ne suis pas ici pour cela. Je suis ici pour que ce pays s’adonne à la seule mission qui est la sienne et qui lui est assignée par l’histoire : venant d’où il vient, il est condamné à rester grand ».
De son côté, le Chef de file de l’Opposition avait déjà fait pareil, lors de sa présentation de vœux aux militants de son Parti et à la Nation, en annonçant d’inscrire désormais ses décisions et ses actions «uniquement dans l’intérêt du Mali, dans le sens de l’avenir de notre pays et du bien-être de nos concitoyens ».
Or, le Mali d’aujourd’hui n’est pas celui des fastes de Kankou Moussa, mais de celui qui est assailli par des revendications syndicales, des tensions de trésorerie ; le Mali d’aujourd’hui n’est celui de l’Empire du Mali à son apogée, mais le Mali qui est caractérisé par une instabilité politique ; le Mali d’aujourd’hui n’est pas celui qui allait rétablir, avec brio, l’ordre et la sécurité chez les autres, mais un Mali assisté par la Communauté internationale pour assurer sa propre sécurité, un Mali où les équilibres sociaux sont au point de rupture. C’est de ce Mali qu’il s’agit et certainement de ce Mali dont parle le Président IBK et le chef de file de l’Opposition, Soumi champion. Trouver un pont de convergence au nom de ce Mali est indubitablement historique, pour des responsables politiques qui se vouaient quasiment une aversion. Comme quoi, comme le disait l’ancien Président ATT : « ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous divise ».
Pour autant, la rencontre IBK/Soumi champion ne saurait être considérée comme une fin en soi, une espèce de poudre de perlimpinpin, mais un puissant catalyseur de l’apaisement politique. La clé de voûte pour s’extraire de la crise multiforme que connaît le Mali réside dans notre résilience, notre aptitude à rebondir. Le chantier est donc ouvert…
PAR BERTIN DAKOUO
Info-matin