Dans une interview accordée à notre Rédaction, Dr. Lamine Sandy Haïdara, sociologue de formation, non moins administrateur de l’action sociale, nous parle de son parcours scolaire et de sa vision pour la question de l’emploi des jeunes sociologues. Celui qui est né en 1973 à Goundam dans la région de Tombouctou, père de six enfants nés de deux femmes, Dr. Haïdara entend s’investir pour les jeunes sociologues.
Pouvez-vous nous résumer votre parcours scolaire ?
J’ai eu mon certificat d’études primaires (CEP) en 1986 à l’école fondamentale de Dravéla. Ensuite, j’ai passé mon diplôme d’études fondamentales (DEF) en 1990 à l’école publique Dioulabougou de Gao. Quant au Bac, c’est au lycée Askia, en série sciences humaines en 1993, que je l’ai eu. Après, je suis allé à l’Ecole normale supérieure (Ensup) de Bamako en 1993-1994 où j’ai fait «Philo-Psycho-pédagogie». Nous avons commencé ce périple d’études, avec deux ans en tronc commun. Ensuite, j’ai opté pour la filière psycho-pédagogie entre 1995-1996. Je suis sorti de l’Ensup en 1998 avec une maîtrise en psycho-pédagogie. La même année, l’État a organisé le concours de la fonction publique, où j’ai été admis deuxième national au corps des administrateurs de l’action sociale. C’est ce qui m’a permis de faire cinq de carrière en travail social.
Comme j’étais trop ambitieux, j’ai donc décidé de faire mon DEA en sociologie de la santé au Mali à l’université Mandé Boukary. Après je me suis inscrit au programme interuniversitaire de coopération (Piuc), financé par «l’Université Libre Bruxelles» (ULB). C’est cette université qui a financé ma thèse de doctorat afin que je m’inscrive à l’institut supérieur de formation et recherche appliquée (Isfra). J’avais deux encadreurs, un au Mali, qui s’appelait Bréhima Bérédogo, et un autre en Belgique qui s’appelait Fenousé Nahawadi. En décembre 2013, j’ai soutenu ma thèse de doctorat avec mention très honorable à l’institut supérieur de formation de la recherche appliquée, appelé couramment (Isfra). Depuis lors, je me suis mis à la disposition de l’institut national de formation des travailleurs sociaux.
Selon vous, les sociologues sont-ils considérés au Mali ?
Je ne dirais pas que les sociologues ne sont pas considérés, mais plutôt qu’ils ne sont pas bien connus au Mali. On se pose la question : quel est effectivement le rôle voire même la vocation d’un sociologue ? C’est inadmissible que dans une société, qu’on ne connaisse pas le rôle des sociologues. Tout le monde sait qu’un sociologue, c’est quelqu’un qui est chargé d’analyser les problématiques sociales. Je pense il y a une insuffisance d’information sur le profil des sociologues au Mali.
Que pensez-vous de l’emploi des jeunes sociologues au Mali ?
Concernant l’emploi, qui est une problématique cruciale au Mali, l’Etat doit revoir sa façon de recruter. J’ai encadré un étudiant qui avait pris un thème sur le chômage des jeunes sortants de la sociologie, qui a d’ailleurs passé au peigne fin le sujet. Je dis simplement qu’en temps normal, un sociologue ne doit même pas chômer un mois. Parce qu’il y a beaucoup de choses à faire dans notre pays. Il y a beaucoup de problématiques sociales dont le sociologue doit s’occuper. Il ne doit pas attendre que l’État s’occupe de lui.
Les sociologues doivent savoir que les problématiques actuelles, c’est-à-dire la crise sociale, la crise sécuritaire et la crise de mal gouvernance, sont aujourd’hui de problématiques dont un sociologue doit s’occuper. Après tout ça, dire qu’ils chôment, moi, je suis vraiment surpris. Ou bien c’est parce qu’ils n’ont pas confiance en soi, il faut le dire. Le problème d’estime de soi, c’est-à-dire les sociologues se sous-estiment. Sinon normalement, un sociologue a plusieurs chats à fouetter. Il ne doit pas chômer, ce n’est pas possible.
Vous voyez comment je travaille ! Je suis en classe, je suis au bureau et je fais le travail administratif. Et présentement, je suis sur les dossiers d’un centre d’études et de recherche sociale (Cerco). Donc je vais m’occuper de beaucoup de prestations, d’enquêtes et d’études sociologiques. Je m’occuperai également de la thématique sur la gouvernance, sur la crise sécuritaire, et sur la gestion environnementale. Il y aura beaucoup à faire pour les sociologues. C’est ce que je disais aux gens : quand mon centre sera créé, je ne dirai pas que je vais lutter contre le chômage des sociologues, mais je vais diminuer leur chômage. Car il sera un centre qui aura des fenêtres sur l’international.
Est-ce-que vous allez créer votre centre pour influencer les politiques ?
Non, désolé de vous décevoir. Je ne suis ni un politicien, ni un membre d’un parti politique. Mon centre n’aura rien à voir avec la politique, parce que la politique qu’on est en train d’exercer au Mali me déçoit beaucoup. La politique au Mali, c’est une politique alimentaire ! Les gens ne s’occupent que de leur ventre et de leurs intérêts. Vraiment, je ne suis pas prêt pour ce genre de politique. Si je peux aider mon pays en analysant ses problèmes, tout en apportant des solutions à ses problèmes, autre que la politique, je serais très heureux pour le faire.
Tout le monde crie, j’aime le Mali ! Mais finalement, on se demande qui aime le Mali réellement. Regardez le référendum, ceux qui disent oui sont en train de s’accrocher au pouvoir, et ceux qui disent non sont en train de se préparer pour 2018, règlement de compte. Mais le Mali n’a pas besoin de ça.
Si on pouvait trouver un terrain d’attente entre oui et non, moi je serais partisan, c’est-à-dire je ne serais ni oui ni non. Mais je dis seulement le Mali et je voterais pour le Mali. Mais oui et non là, les deux camps sont en train de s’entredéchirer parce que chacun vise ses intérêts. Je n’ai pas dit que je ne ferais jamais de la politique ! Mais, pour l’instant, la configuration donnée à la politique ne me plaît pas.
En tant que sociologue, quelle lecture faites-vous du paysage politique malien ?
Ma vision sur la politique malienne, c’est qu’elle n’a pas de beaux jours devant elle. De façon égoïste, on est en train de tirer les ficelles ethniques. On n’en a pas besoin, c’est de la bombe à retardement. On doit se dire qu’on est Malien d’abord, les problèmes sont maliens et les solutions seront maliennes. Mais si on amène les dimensions ou facteurs ethniques dans la politique, je crois que j’ai peur pour le Mali.
Votre dernier mot pour clore cette interview, Dr. Lamine Sandy Haïdara…
Les jeunes sortants ne doivent pas croiser les bras. Ils doivent savoir que, quelle que soit la discipline, pas seulement la sociologie, quand on baisse les bras, on n’aura rien. Il ne faut pas que les jeunes sortants attendent tout de l’État ; l’État ne peut pas tout faire. Il y a la société civile, les ONG, ils peuvent s’organiser et créer des entreprises. Dans le Nord, il y a tellement de problèmes. Les jeunes peuvent aller tâter le terrain et voir ce qu’ils peuvent faire pour la population déplacée.
L’appel que je lance est que les sociologues doivent s’organiser pour créer une association, pour mettre la pression sur l’État, pour que l’État puisse les intégrer dans les différents corps. C’est vrai que l’État ne peut pas trouver du travail pour tout le monde, mais on ne peut pas ouvrir aussi des filières et laisser des gens sortir comme ça, sans pour autant leur trouver des points de chute !
Dans tous les corps, on a besoin de sociologues. Même au niveau des ambassades, on a besoin des travailleurs sociaux. Car les problèmes que les Maliens rencontrent à l’étranger sont des problèmes sociaux. La diplomatie ne s’occupe que de 10% des problèmes de l’étranger, les 90% sont des problèmes sociaux. Il ne faut pas qu’on donne l’impression de la même manière qu’on est en train d’accuser les sortants de la Fsjp, où on forme les gens en paquets, chaque année, sans rien. L’homme de droit s’occupe de droit, d’accord. Mais le sociologue est transversal, c’est-à-dire qu’il s’occupe de tous les secteurs de la vie.
Je reste vraiment confiant quant à l’avenir de la sociologie et des sociologues au Mali, tout en faisant des programmes de vulgarisation de la discipline et de sensibilisation pour que les gens sachent réellement le rôle d’un sociologue.
Propos recueillis par Assétou Y. SAMAKE/stagiaire
Source: Le Reporter