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DR LAMINE KEITA « La BCEAO est sortie de son rôle »

DR LAMINE KEITA, ECONOMISTE SPÉCIALISTE DE LA MONNAIE

« La BCEAO est sortie de son rôle »

Déjà connu de nos lecteurs, Dr KEITA est auteur de 9 livres portant spécifiquement sur l’économie des pays utilisateurs du FCFA, des pays au destin unique, aujourd’hui. Un mois après la déclaration des sanctions contre le peuple malien, il fait une analyse de la situation.

– Que pensez-vous des sanctions prises par la CEDEAO-UEMOA-BCEAO à l’encontre du Mali ? Quel bilan après 1 mois et quelles perspectives ?

– Dr Keïta : Il me revient de faire remarquer que la question mérite quelques précisions. En effet, telle que formulée, on a l’impression d’avoir à faire à un professeur émérite qui a décidé de recaler son élève indélicat, alors qu’en matière de sanctions, plusieurs questions importantes doivent être examinées pour cerner le contour de toute la problématique.

D’abord, quel était l’objectif recherché par la CEDEAO ?  Il s’agissait de sanctionner les autorités de la transition au Mali. Qu’est-ce qu’elle a effectivement pris comme décisions ? La fermeture des frontières, le blocage des transactions commerciales et financières, plus le gel des avoirs publics du Mali.

La CEDEAO s’est trompée de cible car ces types de décision n’affectent pas spécifiquement les autorités visées, mais plutôt les populations de la CEDEAO et plus fondamentalement celles de l’UEMOA, en empêchant les mouvements des personnes et des biens, bloquant l’économie et détruisant des richesses.

Elle a activé des décisions impopulaires et très contestées au sein des populations dans les différents pays : lorsque les populations durement éprouvées par ces décisions se feront entendre de belle manière par des manifestations au Mali et dans d’autres pays en soutien aux populations maliennes, ces dirigeants africains comprendront la mauvaise inspiration qui a dû les conduire à de telles extrémités dans les décisions.

Le support inexistant pour les décisions adoptées. Ces décisions ne sont nulle part inscrites, dans aucun des textes de la CEDEAO, de l’UEMOA, quand elles sont contraires à l’esprit d’entraide et de solidarité qui sont censés régir les Traités entre des pays proches par l’histoire et la géographie.

Par ailleurs, dans les STATUTS DE LA BANQUE CENTRALE DES ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (BCEAO), l’article 4 précise :

Article 4 : Dans l’exercice des pouvoirs et dans l’accomplissement des missions qui leur sont conférés par le Traité de l’UMOA et par les présents Statuts, la Banque Centrale, ses organes, un membre quelconque de ses organes ou de son personnel ne peuvent solliciter, ni recevoir des directives ou des instructions des institutions ou organes communautaires, des Gouvernements des Etats membres de l’UMOA, de tout autre organisme ou de toute autre personne. Les institutions et organes communautaires ainsi que les Gouvernements des Etats membres de l’UMOA s’engagent à respecter ce principe.

Ce qui montre encore la pertinence de tous les qualificatifs utilisés pour dénoncer la profondeur et l’injustice des fautes commises, quand il ne s’agit même pas d’irresponsabilité : aussi bien de la part des Etats, qui ne respectent pas leurs engagements, que des institutions qu’ils ont mises en place.

– Quelles sont les conséquences négatives immédiates ?

– Dr Keïta : Les conséquences négatives immédiates sont : une hausse des prix sur les marchés, du fait de la perturbation des anticipations des agents alors que l’article 8 des statuts de la BCEAO stipule que « L’objectif principal de la politique monétaire de la Banque Centrale est d’assurer la stabilité des prix ».

  • Pour les produits périssables, des milliards seront perdus, chaque jour par les populations africaines, sans aucune garantie d’être compensés et sans aucune faute de leur part ;

  • Les 400 milliards de FCFA d’importation annuelle du Mali au Sénégal signifient chaque jour plus d’un milliard d’activités sans compter les mouvements en sens inverse, des ventes du Mali au Sénégal.

  • Le refus de la BCEAO de jouer son rôle induit l’accumulation d’arriérés pour les populations et autres investisseurs disposant des créances arrivant à échéances sur le Mali, pourtant potentiellement solvable.

  • Un très mauvais signal est ainsi donné aux investisseurs internationaux en introduisant un facteur supplémentaire de risque nouveau dans le climat des affaires qui a plutôt besoin d’être rassurant.
  • Une hausse générale des prix des produits difficilement contrôlables, au Mali comme dans les pays de l’UEMOA de manière plus rapide et directe.

– Peut-il y avoir des opportunités ?

– Dr Keïta : La fermeture des frontières a fortement limité les capacités de nuisances des forces terroristes, privées de moyen d’approvisionnement en carburant pour leurs motos dans les zones frontalières, à un moment où l’armée malienne montait également en puissance ;

  • Les sanctions ayant été perçues comme une agression contre leur pays, les populations maliennes en patriotes se sont liguées majoritairement derrière leurs autorités, qui gagnent chaque jour en crédibilité, par la réussite de leurs actions sur le terrain, ainsi que par les maladresses injustes des institutions africaines, qui se sont montrées aux ordres esclavagistes.

  • Le bon sens prenant la place à la passion injustifiée des premiers instants passés sous l’effet des ordres reçus, il est à parier que ces institutions régionales, fortement discréditées aux yeux des populations, vont éprouver le besoin de se ressaisir pour renouer le dialogue avec les autorités de la transition et pour sauver la face, en ayant montré au maitre qu’ils auront tout essayer pour lui donner satisfaction.

  • Il appartiendra aux autorités de la transition de rappeler à ces institutions, qu’en réalité, ce qu’elles leur proposent aujourd’hui dans leur plan d’action, n’est rien d’autre que la proposition de cette même CEDEAO lors de la précédente crise lorsque le Président de l’époque a plutôt préféré organiser les élections plutôt que de mettre en place des institutions et organes qui sont préalables à une bonne organisation des élections.

  • Le résultat de ce choix aura été que le Président mal élu a été chassé par la rue pour voir apparaître les présentes autorités de la transition sur la scène politique, que rien d’objectif ne les empêche d’occuper.
  • Il faut donc savoir ce qu’on veut ou pas.

– Quelles perspectives et quels conseils pour que le pays puisse faire face aux conséquences financières ?

– Dr Keïta : Attaquer toutes ces décisions, y compris devant d’autres instances de rang mondial, sans douter de la défaillance qui puisse caractériser ces institutions régionales et les instances qu’elles auront mises en place,

Engager la responsabilité de la BCEAO sur les défaillances en matière de continuité de service public ; prendre l’initiative de se protéger à jamais contre ces abus d’autorités en développant des partenariats économiques, commerciales et financières, plus appropriés. Engager les responsabilités des Etats qui ne respectent pas leurs engagements en violant le principe d’indépendance de la BCEAO.

Source: Les échos Mali

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