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Documentaire : “Salafistes”, la mécanique djihadiste décryptée

Ce film de Lemine Ould Salem et François Margolin interroge la pensée servant de soubassement théologique aux djihadistes de Gao à Rakka, en passant par l’Europe.

oumar ould hamaha

Muni d’une caméra légère, Lemine Ould Salem a pu tourner dès 2012 dans le nord du Mali alors sous contrôle djihadiste. Le journaliste mauritanien a d’abord filmé la vie quotidienne sous la Charia dans la ville de Tombouctou.

Au bord de Charia road

Dès les abords de la ville, de grandes pancartes proclament en arabe et en français : “La charia, c’est le bonheur, la route du paradis”. Des hommes aux traits juvéniles, kalachnikovs en bandoulières, circulent sur des motos, mettent en pratique ces mantras en traquant le voile un peu trop lâche des femmes, la cigarette et l’alcool “haram” (interdit) ou encore la musique prohibée. C’est toute une société mise ainsi sous la coupe de la loi islamique telle qu’elle est imposée par cette police des mœurs islamiques.

Des images exceptionnelles sont montrées aussi du fonctionnement d’un tribunal islamique, où châtiments corporels, amputations pour les voleurs, lapidation pour les adultères sont décidés avec la tranquille et glaçante certitude de bien faire. Dans un saisissant extrait, un homme amputé d’une main pour vol, explique sur son lit d’hôpital qu’il a été médicalement pris en charge, et qu’une fois la punition passée, il serait “anobli et son péché serait oublié”.  Les exécutions publiques aussi sont filmées, tels de vastes dispositifs spectaculaires et tétanisants.

Malgré tout, il y a un front du refus

Des îlots de résistance sont aussi montrés, ceux qui par le simple questionnement refusent l’ordre nouveau. Ainsi, cet adolescent, qui tout en servant du thé à un djihadiste, exprime ses doutes : “Tout ce qui est ancien est effacé. On dirait que ce sont des nouveaux musulmans. Pourtant mes parents, mes grands-parents étaient aussi musulmans. Avant, on avait de la musique pendant le Ramadan, on avait des copines. Tout est interdit aujourd’hui. On doit suivre, car c’est la force. On est obligé”.

Et puis il y ce vieil homme qui exhale à travers sa pipe des volutes de tabac tout autant que son refus de cet islam qu’il considère comme totalement étranger : “Ils m’ont dit de jeter ma pipe, j’ai refusé et leur ai dit de me montrer où, dans le Coran, il était écrit que c’était interdit. Ils n’ont pas pu. Ils m’ont ensuite demandé de venir prier avec eux, j’ai d’abord refusé, puis j’y suis allé, mais leur prière était rapide, c’était celle des voyageurs et des combattants. Après je suis allé prier tout seul à ma manière”.

Djihadisme, romantisme et nihilisme

Le documentaire des deux journalistes donne à entendre aussi les idéologues du djihadisme, théologiens au visage lisse et au discours distordu. Et ce qui frappe de façon évidente est leur connaissance absolument parfaite des mécanismes de communication et du débat intellectuel qui traversent l’Occident. Qu’ils citent les écrits sur le djihad du néo-conservateur américain Robert Spencer ou qu’ils lient dans un continuum idéologique et religieux les évènements géopolitiques. “Ils nous connaissent parfaitement” résume pour le Point Afrique François Margolin. “Ces idéologues lisent beaucoup les journaux mais aussi les théoriciens occidentaux qui sont en face. Ce sont pour beaucoup des intellectuels qui ont beaucoup étudié. La guerre qu’ils mènent est une guerre en connaissance de cause de ce que nous sommes et ils profitent aussi sans doute des failles qu’ils constatent chez nous”, ajoute-t-il. Lemine Ould Salem ne dit pas autre chose : “Ce sont des gens qui ont passé leur vie à lire, réfléchir, étudier. Ils sont très érudits. Ils ont leur rationalité, leurs codes. J’ai été frappé dans le nord du Mali de voir l’autorité qu’ils exercent sur les gens et comment cette autorité est respectée”, insiste le co-auteur de Salafistes.

Un univers singulier, une vision à part

Car à écouter ces “Stavroguine” du désert, tout fait sens et lien, dans une vision du monde totale. Ainsi le 11 septembre, selon le prêcheur de Nouakchott, Mohamed Salem Madjissi, à l’évident charisme, aurait permis aux Etats-Unis de comprendre la souffrance, car, ajoute-t-il, “c’est ainsi qu’on peut imaginer la souffrance des autres”. Charlie Hebdo selon son prisme ? “Il a dépassé les bornes”. Mohamed Merah ? “Le fruit épineux d’une France coloniale”. Selon François Margolin, les djihadistes considèrent que “le colonialisme, l’intervention en Irak, l’existence d’Israël sont des atteintes faites contre eux. Ils considèrent qu’ils sont en guerre contre nous, qu’il faut nous convertir, et que l’Occident doit vivre un jour sous la Charia. La vraie déclaration de guerre des salafistes contre l’Occident est le 11 septembre 2001. C’était l’acte symbolique qui marquait leur entrée en guerre”.

Des jeunes djihadistes en quête d’appartenance

Le film montre bien aussi tous ces jeunes engagés qui partent faire le djihad au nom d’un romantisme morbide et fantasmée. Ils deviennent alors Al-Roumi, Al-Farsi, al-Tounsi, autant de dénominations qui rappellent ainsi leur lieu d’origine mais qui sont également comme une imitation maladroite et outrée des noms des premiers compagnons du prophète Mohamed. Le documentaire fait ainsi succéder un Français au solide accent du sud, un djihadiste aux boucles blondes et yeux bleus visiblement d’origine allemande ou fait entendre encore l’accent cockney des faubourgs londoniens d’un homme masqué ; et tous appellent à les rejoindre en Syrie, dans cette Internationale du Djihad en somme.

Dans cette idéologie totalisante qu’est le salafisme, ces jeunes trouvent, selon François Margolin, “un sentiment d’appartenance et une lutte à mener” : “L’un des idéologues interviewés le dit bien : l’Occident a essayé le communisme, le catholicisme, la laïcité et maintenant il reste l’Islam politique. C’est une idéologie totalisante qui permet de répondre à toutes les questions, de s’y référer aussi pour répondre à tous les problèmes. L’Islam politique, comme d’autres idéologies totalitaires, veut régenter tous les aspects de la vie, il est rassurant en cela. Le salafisme pense tout régler par son idéologie. Ces gens qui vont se battre en Syrie se seraient peut être tournés vers d’autres idéologies auparavant”, explique le journaliste au Point Afrique.

Le Janus salafiste

On demeure également saisi avec ce documentaire par le double imaginaire qui semble coexister, sans heurt visible ni contradiction, dans l’esprit des djihadistes. Le premier imaginaire est tout tourné vers le passé et les premiers temps de l’Islam, “un passé évidemment mythifié”, selon Lemine Ould Salem. Le terme Salafiste signifie d’ailleurs “ancêtres”, “prédécesseurs” et le mouvement prétend à un retour à l’Islam originel. Mais François Margolin insiste sur un distinguo nécessaire entre salafiste et djihadiste car «si tous les djihadistes sont salafistes, tous les salafistes ne sont pas djihadistes».

Le second imaginaire est entièrement innervé par une modernité flagrante, que ce soit à travers les moyens de communication hyper modernes, mais également à travers la mise en scène permanente des actions spectaculaires et autres attentats, toujours filmés et aussitôt diffusés sur les réseaux sociaux. Qu’un des intervenants déclare sans rire, “On peut aller faire le Djihad en Syrie en portant des Nike, ce n’est pas incompatible” ou qu’il s’amuse du fait que “désormais, on peut twitter des combats en temps réel”, l’hyper-spectacle est de mise aussi chez les djihadistes.

Une bonne maîtrise des codes hollywoodiens

Des extraits de la propagande morbide de l’EI entrecoupent aussi le film. Là, toute l’iconographie hollywoodienne ou de jeux vidéo est alors convoquée, mitraillage, poursuites en voiture, attentats spectaculaires. Rien d’étonnant à cela selon François Margolin pour qui “une erreur qui est faite souvent en Occident est de penser que les Salafistes, parce qu’ils prônent un retour à l’Islam de Mohamed sont des gens qui sont contre la modernité, ce qui est tout à fait inexact. Ce sont des gens qui ont intégré les codes de la modernité. Ils sont férus d’internet, de télévision. L’EI consacre ainsi 2,5% de son budget à la communication : ils savent que la guerre se joue aussi sur internet et permet de recruter, de faire de la propagande, de faire peur aussi. Ils ont aussi tous les attributs de la modernité : les derniers modèles de voiture, de portables, d’applications qui leur permettent de communiquer…”.

Ces djihadistes souhaitent-ils limiter leur emprise au Mali ou l’étendre ? Dans une interview rare, le chef djihadiste Oumar Ould Hamaha, membre tour à tour d’Ansar Eddine, puis du Mujao, avant de fonder sa propre Katiba, Ansar al-Charia, explique sans ciller : “Nous voulons juste appliquer la charia dans le Mali. Mais si la Cedeao veut intervenir, (…), nous étendrons la lutte à toute l’Afrique de l’Ouest. Et si l’OTAN intervient, ce sera pire”. Sans commentaire off parfois trop prescripteur d’une opinion, “Salafistes” offre un témoignage brut à voir, entendre et comprendre. Si sa date de sortie exacte demeure encore inconnue, “Salafistes” devrait néanmoins être en salle en janvier 2016.

Source: Le Point.fr

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