Le décès du président tchadien des suites des blessures reçues au combat contre un groupe de rebelles ouvre une période d’incertitude, non seulement dans son pays, mais aussi dans toute la région sahélienne. Le Maréchal était un champion de la lutte contre le terrorisme dans l’espace sahélo-saharien
Le Tchad pleure, depuis hier, le président qui le dirigeait depuis 30 ans. «Le président de la République, chef de l’État, chef suprême des armées, Idriss Déby Itno, vient de connaître son dernier souffle en défendant l’intégrité territoriale sur le champ de bataille. C’est avec une profonde amertume que nous annonçons au peuple tchadien le décès ce mardi 20 avril 2021 du maréchal du Tchad», a annoncé le porte-parole de l’armée, le général Azem Bermandoa Agouna, à la télévision nationale du Tchad.
Le porte-parole de l’armée était accompagné d’une escouade d’officiers dont le fils du président défunt, Mahamat Idriss Déby. Ce général quatre étoiles de 37 ans, qui commande la garde présidentielle, a été proclamé chef du Conseil militaire de Transition qui a pris le pouvoir à N’Djamena, après la mort du maréchal Déby.
Avant l’annonce de son décès, des ministres et des officiers avaient indiqué lundi que le chef de l’État s’était rendu le week-end sur le front opposant l’armée à une colonne de rebelles ayant lancé une offensive à partir de leur base arrière en Libye, le 11 avril. Il s’agit du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), un groupe politico-militaire dont l’objectif est clairement le renversement du régime du président Déby.
Durant toute la journée du lundi, la guerre des communiquées faisait rage entre les deux parties belligérantes. L’armée tchadienne assurait avoir défait les rebelles, précisant qu’elle avait neutralisé plus de 300 hommes du lors de combats le samedi 17 avril. Le FACT, de son côté, soutenait que son offensive se poursuivait normalement et qu’il avait dû faire un repli tactique par endroits.
Le président Idriss Deby Itno avait acquis ces dernières années une stature de premier plan en positionnant sa redoutable armée à la pointe de la lutte contre le terrorisme. En témoigne la présence des troupes tchadiennes en première ligne aux côtés des soldats français et maliens au Nord du Mali en 2013, en Centrafrique et sur le front de la lutte contre Boko Haram. En 2015, les troupes tchadiennes avaient lancé une vaste offensive contre cette secte islamiste au Cameroun, au Nigeria et au Niger. Idriss Deby qualifiait Boko Haram de «horde d’illuminés et de drogués».
Réprobation- Après une attaque meurtrière lancée par ladite secte contre son armée en 2020 ayant fait une centaine de morts, le président Deby était monté au front pour diriger l’opération «Colère de bomo». Au cours des combats, Boko Haram avait subi de lourdes pertes l’ayant sérieusement affaibli. C’est cet exploit militaire qu’Idriss Deby voulait sans doute rééditer contre les rebelles du FACT, mais le destin en a décidé autrement.
Après l’annonce de son décès, les choses sont allées très vite du côté de N’Djamena. Le Conseil militaire de Transition dirigé par son fils Mahamat Idriss Déby a, dans un communiqué, indiqué qu’il va assurer la défense du pays dans cette guerre contre le terrorisme et les forces du mal afin d’assurer la continuité de l’État pour une durée de 18 mois. La nouvelle junte militaire a dissout le gouvernement et l’Assemblée nationale.
La charte de la transition a été promulguée et 15 généraux ont été nommés membres de l’organe qui préside désormais aux destinées du pays. Le nouvel homme fort a aussi annoncé un deuil national de 14 jours, un couvre-feu allant de 18 heures à 5 heures du matin, la fermeture des frontières terrestres et aériennes jusqu’à nouvel ordre. Il a assuré que de nouvelles institutions républicaines seront mises en place à l’issue de la transition après des élections libres, démocratiques et transparentes. Les obsèques nationales sont prévues vendredi à N’Djamena.
Le Conseil militaire de Transition suscite déjà la réprobation de l’opposition civile. Sans compter que les rebelles ont assuré que leur lutte est loin d’être terminée après la mort du président Déby. L’un des principaux opposants au régime d’Idriss Déby, Saleh Kebzabo de l’Union nationale pour le développement et le renouveau (UNDR), a critiqué le caractère anticonstitutionnel du Conseil militaire de Transition.
L’opposant évoque les articles 81 et 82 de la Constitution tchadienne qui stipulent que la vacance définitive du pouvoir présidentiel doit être dûment constatée par la Cour suprême saisie par le gouvernement et statuant à la majorité absolue de ses membres. En outre, ils estiment que la Transition doit être présidée par le président de l’Assemblée nationale ou à défaut, par son 1er vice-président.
Le nouveau pouvoir pourra-t-il s’imposer à la fois contre les groupes armés qui guerroient dans le désert et les opposants civils dans la capitale ? Le Tchad va-t-il renouer avec une période d’instabilité ? Nul ne le sait. À coup sûr, cette disparition du président Déby risque d’ouvrir au Tchad de nouveaux épisodes d’incertitudes. Et assurément, la lutte contre le terrorisme au Sahel sera orpheline du maréchal du Tchad.
Dieudonné DIAMA
IDRISS DEBY ITNO, UN PARCOURS MILITAIRE RICHE
Idriss Déby est né le 18 juin 1952 à Berdoba. Après son baccalauréat, il entre à l’École des officiers de N’Djamena puis obtient en 1976, une licence de pilote professionnel en France (spécialité transport des troupes). Il soutient le président Félix Malloum jusqu’à sa chute en 1979. De retour au Tchad, il collabore avec Hissène Habré entré en rébellion en mars 1980 contre Goukouni Oueddei après l’éclatement du Gouvernement d’union nationale de transition (GUNT) formé cinq mois plus tôt.
Habré nomme alors Déby comme commandant en chef des Forces armées du Nord (FAN). Le 7 juin 1982, Habré rentre dans la capitale N’Djamena avec Déby à ses côtés, poussant le président Goukouni Oueddei à s’exiler en Algérie. Promu colonel, Déby devient chef des armées adjoint en 1983. Après avoir suivi les cours de l’École de guerre inter-armées entre 1985 et 1986 en France, il retourne au Tchad où il est nommé conseiller d’Habré pour la défense et la sécurité.
À la fin des années 1980, les relations entre les deux hommes se détériorent. Un de ses cousins, Hassan Diamous le remplace au poste de commandant en chef tandis qu’un autre, Ibrahim Mahamat Itno, devient ministre de l’Intérieur. Accusé de complot en 1989, il s’enfuit en Libye puis au Soudan et fonde le Mouvement patriotique du salut (MPS). Le 2 décembre 1990, avec l’appui de la France, il chasse du pouvoir Hissène Habré et le remplace le 4 décembre avec le titre de président du Conseil d’État.
Il est ensuite désigné président de la République du Tchad après l’adoption de la Charte nationale. Il remporte les élections présidentielles de 1996, 2001, 2011, 2016 et d’avril 2021. Il avait été promu maréchal en août 2020.
D. D.
Source : L’ESSOR