Le général Moussa Traoré a dirigé le Mali de novembre 1968 à mars 1991. Renversé par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré, il a passé 10 ans en prison avant d’être gracié par le président Alpha Oumar Konaré en 2002. Depuis, l’ancien chef de l’État menait une paisible retraite dans sa résidence à Djicoroni-Para
«Je n’ai jamais désespéré de mon pays. Il y a eu trop de gâchis, je l’affirme. Mais il y a encore parmi nous des patriotes. Ces jeunes là vont les chercher et les faire sortir pour mettre le Mali sur ses jambes». Ce propos est de l’ancien président de la République, général Moussa Traoré lors de la visite que lui ont rendue les membres du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) qui venait de prendre le pouvoir aux lendemains des événements du 18 août dernier. On n’entendra plus une nouvelle déclaration de celui qui a dirigé le Mali de novembre 1968 à mars 1991. La nouvelle de sa disparition a plongé hier tout le pays dans la tristesse.
Né le 25 septembre 1936, Moussa Traoré aura connu cinq vies. La première est celle d’un jeune officier que rien ne distinguait particulièrement et qui fait ses études à l’École des enfants de troupe de Kati avant de les poursuivre à l’École préparatoire des officiers d’Outre-mer. Il est aspirant lorsqu’il regagne le Mali nouvellement indépendant. Nommé sous-lieutenant en 1961, il passe lieutenant en 1963.
Le Mali socialiste d’alors est engagé au côté des forces qui se battent pour l’émancipation totale du continent et le jeune officier est envoyé au Tanganyka (partie intégrante de l’actuelle Tanzanie) en qualité d’instructeur auprès des combattants des mouvements de libération. Rentré au Mali, Moussa Traoré est affecté, toujours comme instructeur, à l’École militaire inter-armes de Kati. La seconde vie de Moussa Traoré commence en 1968. Avec un groupe de jeunes officiers inquiets de la dévalorisation croissante de l’armée et de la montée de la milice populaire devenue une institution para-militaire toute-puissante, il organise le coup d’État du 19 novembre 1968 qui aboutit au renversement du président Modibo Kéita.
Le jeune officier est porté à la tête du Comité militaire de libération nationale (CMLN), nouvel organe dirigeant du pays et il cumule assez vite ces fonctions avec celles de chef de l’État. Mais malgré ces responsabilités en apparence prestigieuses, Moussa Traoré n’est en fait que le premier parmi les égaux, le fonctionnement collégial du CMLN restreignant sa marge de prise de décision. Si bien qu’il apparaît non pas comme l’homme fort du pays, mais plutôt comme le pondérateur des luttes d’influence qui font rage à l’intérieur du Comité.
Sa troisième vie date du 28 février 1978. Ce jour-là, il fit arrêter quatre de ses compagnons parmi lesquels deux (Tiécoro Bagayoko et Kissima Doukara) traînent une réputation désastreuse au sein de l’opinion publique nationale et sont considérés comme les faucons du CMLN.
La quatrième vie de Moussa Traoré débute lorsque prend fin l’état de grâce qui a suivi les événements de février 1978. L’agitation estudiantine de 1980 s’achève sur la mort du leader du mouvement Abdoul Karim Camara dit « Cabral ». Le président Traoré dans cette crise a dû se sentir bien démuni puisque le parti unique et constitutionnel qu’il a créé – l’Union démocratique du peuple malien (UDPM) – n’a pas su se poser ni en intercesseur auprès du monde scolaire, ni en mobilisateur de l’opinion publique.
L’ancien pensionnaire de l’École des enfants de troupe de Kati, qui était devenu général de brigade en octobre 1978 (il sera promu général d’armée en mars 1982), commence alors son apprentissage de la solitude du pouvoir. Celle-ci allait lui faire abandonner progressivement ses réelles aspirations d’ouverture de 1978 pour se laisser enfermer dans une logique de cénacle.
Au début des années 90, cette évolution atteint sa forme la plus aboutie. Au-delà du parti et au-dessus du gouvernement, c’est un cercle restreint de proches et d’intimes qui exerce la réalité du pouvoir et conseille le président sur la conduite des affaires du pays.
Moussa Traoré s’est de plus en plus coupé des réalités du pays dont il ne percevait pas les profondes modifications. Le destin lui réserva tout de même un ultime chant du cygne en 1988, année où il assume la présidence de l’Organisation de l’unité africaine en même temps que se fêtait le 20è anniversaire de sa prise de pouvoir.
Deux ans plus tard, survenait le temps des épreuves. Les associations politiques lançaient les premières revendications pour l’ouverture démocratique. Imperméable à l’air du temps, insensible aux avis favorables au multipartisme qui surgissaient au sein de son propre camp, Moussa Traoré laisse passer deux occasions historiques d’accepter l’ouverture, et sans doute de la contrôler. Voulant à tout prix rester maître du calendrier et reporter une prise de décision au congrès de l’UDPM de mars 1991, il se fait déborder par la montée des impatiences populaires.
La répression sanglante de la marche estudiantine du 22 mars 1991 sonne le glas de son régime. Renversé par le coup d’État du 26 mars, Moussa Traoré est condamné à mort lors du procès « Crimes de sang », puis du procès « Crimes économiques» (les peines seront ensuite commuées en détention à perpétuité).
En ces deux occasions, il s’employa à justifier et à valoriser sa gestion des affaires maliennes pendant 23 ans, mettant sa chute au compte d’un complot ourdi de l’extérieur.
Gracié en mai 2002 par le président Konaré, l’ancien chef de l’État fait alors le choix de se mettre en retrait de la vie publique. Féru de la lecture des Saintes écritures, il a certainement puisé dans celles-ci la sérénité de comportement et l’égalité d’humeur que tous lui reconnaissent aujourd’hui. S’il prodigue encore de discrets conseils et recommandations aux forces politiques qui lui demeurent fidèles, il s’abstient résolument de tout ce qui pourrait apparaitre comme une immixtion directe.
Ce qui ne l’empêchera pas cependant le 4 septembre 2013, de rehausser l’éclat de la cérémonie de prestation de serment au CICB du président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, fraichement élu. Seul ancien chef d’État présent, Moussa Traoré a été alors porté au pinacle par celui qui venait de prendre les rênes du pays qui le qualifia de «grand républicain».
Ayant franchi l’âge de la sagesse, celui que ses compatriotes appelaient «Tarata Balla» qui signifie «Balla de mardi» (les événements importants de la vie de Moussa Traoré sont intervenus un mardi Ndlr), aura compris que c’est désormais le costume de conciliateur et de rassembleur qui lui sied. Au lendemain du coup d’État qui a renversé le président Amadou Toumani Touré en 2012, les responsables de la junte militaire l’ont rencontré plusieurs fois pour prendre ses conseils.
Plus récemment, le Comité national pour le salut du peuple (CNSP), avec le colonel Assimi Goïta en tête, est aussi allé à «l’écoute du général président à la retraite». Puisant dans son riche fonds politico-militaire, Moussa Traoré a dû prodiguer d’utiles conseils aux jeunes officiers de 2012, tout comme à ceux de 2020 qui dirigent actuellement le pays.
Auparavant, le général Moussa Traoré avait contribué à chercher une issue favorable à la crise sociopolitique en invitant à son domicile le président Ibrahim Boubacar Keïta et l’autorité morale du M5-RFP, l’imam Mahmoud Dicko afin qu’ils fassent la paix.
Dors en paix «Tarata Balla»
Massa SIDIBÉ
Source : L’ESSOR