Il a été célébré comme un héros, invité dans le monde entier, érigé comme un symbole de l’intégration… Deux ans après l’attentat de l’Hyper Cacher, le jeune Franco-Malien, qui avait réussi à cacher six clients et fourni des informations aux policiers, raconte sa nouvelle vie à franceinfo.
Place de la République, à Paris. C’est le lieu choisi par Lassana Bathily pour notre rencontre. Forcément, la tentation est grande d’y voir un clin d’œil à sa propre histoire, celle d’un jeune migrant malien arrivé en France à 16 ans qui, pour son acte de courage lors de la prise d’otages de l’Hyper Cacher, le 9 janvier 2015, a été naturalisé par le président de la République en personne.
Mais Lassana, 26 ans aujourd’hui, qui répète à longueur d’interviews “ne pas être un héros” a surtout choisi cet endroit symbolique, lieu de départ de la grande marche du 11-Janvier, pour sa proximité avec son domicile. En deux ans, sa vie a basculé. “Je ne serai jamais comme le Lassana d’avant”, répète-t-il. La surexposition médiatique a rendu le jeune homme plus méfiant, il restreint désormais ses déplacements. Car personne n’a oublié son histoire.
“C’est mon destin”
Dans une France traumatisée par l’attentat de Charlie Hebdo puis celui de l’Hyper Cacher, le geste d’un employé musulman d’un supermarché juif de la porte de Vincennes aidant six personnes à se cacher a bouleversé le pays. Depuis, Lassana porte sur ses épaules le poids du symbole. Le symbole d’une France fraternelle, solidaire et diverse dans ses origines. Difficile à concilier avec une vie qu’il aimerait tant “normale” car, dit-il, “quand on n’a pas une vie normale, on n’est pas heureux”. Si c’était à refaire, Lassana montrerait moins son visage et privilégierait les interviews écrites et radio.
Lorsqu’il repense au tourbillon médiatique, le jeune homme fait de grands gestes avec ses mains. “Des appels du monde entier, de l’Europe, de l’Afrique, de l’Asie. J’avais peur, je me disais mais qu’est-ce qu’ils me veulent ? Et si ce n’était pas des journalistes ?” Durant les trois mois qui ont suivi l’attentat, une attachée de presse est même appelée en renfort pour répondre aux demandes des médias. Deux ans après, les sollicitations des journalistes se sont calmées. Mais son anonymat a brutalement pris fin le 9 janvier 2015.
Avant, je sortais dans la rue et personne ne savait qui j’étais. Maintenant, les gens me reconnaissent. Ce n’est pas méchant, ils m’encouragent et on fait des selfies.
Méfiance et fin de l’imprévu
Mais tous ne sont pas bienveillants. “Il y a peu de temps, des personnes sont venues me chercher dans mon ancien foyer porte de Clichy, ils ont dit à mes cousins de faire attention. Un jeune a même montré ma photo. J’étais en Tunisie à ce moment-là, mais ça fait peur”, témoigne-t-il. Depuis, Lassana s’interdit de retourner à son entraînement de football. “Le stade est à côté du foyer, je ne veux pas mettre d’autres personnes en danger.”
L’imprévu ne fait désormais plus partie de son quotidien qui se résume à ses amis, son travail à la mairie de Paris comme technicien dans l’événementiel sportif et les invitations. “Si j’ai une invitation, on ne se voit que si l’on se connaît déjà et pas loin de chez moi. Je ne sais pas ce qui peut m’arriver après. Je suis beaucoup plus méfiant.”
Une vigilance qui se comprend, Lassana le dit lui-même : “Je me suis sorti de la mort plusieurs fois.” Il énumère les hasards de la vie : sa présence lors des attentats du 13 novembre 2015, à 300 mètres du Bataclan. Il passera la nuit terré dans un café jusqu’à 5 heures du matin. Et puis, quelques jours après, son séjour au Radisson Blu de Bamako, juste avant l’attaque terroriste du 20 novembre qui fera 20 victimes. Lui est plutôt fataliste : “De toute façon, tout ce qui va m’arriver, m’arrivera, je ne peux rien faire dessus. C’est le destin.”
“Le bon Dieu a facilité pour moi”
Son destin, c’est maintenant celui d’un grand témoin, d’une personne que l’on écoute, d’une “personnalité respectée”. Lassana en est conscient : la surexposition médiatique mise à part, sa vie ressemble à un conte de fée moderne. Outre son nouveau travail proposé par la mairie de Paris, la Ville lui a aussi octroyé un logement dont il paie le loyer. Et puis, il y a ce jour “inoubliable et spécial” où, devant un parterre de ministres et de personnalités, Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur, lui a remis son passeport français. “Le bon Dieu a facilité pour moi, j’ai mon logement, j’ai mes papiers, j’ai mon travail, j’ai la santé… J’ai envie de partager maintenant”, dit-il.
Lassana compte désormais répondre dès qu’il le peut aux invitations d’associations, d’écoles ou de pays étrangers. Sur ses doigts, le jeune homme compte : “Je suis parti cinq fois aux Etats-Unis à l’invitation des policiers mais aussi des communautés juives et musulmanes. Je suis allé en Allemagne, ils avaient invité toutes les grandes personnalités de 2015. J’ai fait la Tunisie pour les commémorations de l’attentat du Bardo. Et il y a six mois, j’étais en Italie, j’y ai fait mes meilleures rencontres. C’était très impressionnant, les jeunes avaient appris la Marseillaise juste pour moi.”
Les rencontres avec la jeunesse, c’est sans doute ce qu’aime le plus Lassana dans sa nouvelle vie. Il se sent investi d’une nouvelle responsabilité.
Je n’ai pas le droit à l’erreur, moi. Je suis beaucoup regardé alors je fais très très attention à ce que je peux dire. A mes comportements aussi.
Le jeune Franco-Malien repose son café et cherche ses mots. Son français s’est nettement amélioré depuis que la mairie de Paris lui a proposé des cours intensifs. “Beaucoup de jeunes ne croient plus en l’avenir, ils sont vraiment perdus, constate-t-il. Je leur dis qu’il faut qu’ils soient des combattants.” Comme un boomerang, sa vie d’avant, de migrant et de travailleur illégal lui revient. “Certaines personnes, comme moi, on vient en Europe pour réussir notre vie. Les jeunes d’ici, ils ont beaucoup d’avantages par rapport à ceux qui viennent d’ailleurs. Ils ont fait des études, ils ont presque tout. Il faut les motiver, et leur dire que ‘ça ne vient jamais tout seul’.”
“On va s’en sortir”
Et s’il y a bien un domaine où Lassana pèse chacun de ses mots, c’est celui de la religion. “Les musulmans, on est mal vu avec ces problèmes d’attentats. Mais mon cas a montré le contraire. Les autres personnes ont tué des gens pour la religion, moi j’en ai sauvé”, relève-t-il. Une phrase lui revient en mémoire, celle prononcée par le président malien Ibrahim Boubacar Keïta : “Avec Coulibaly, notre drapeau était tombé, vous l’avez relevé.”
L’islam radical, les départs des jeunes pour la Syrie, l’attrait pour le jihad. Voilà des questions que les journalistes posent souvent à Lassana. Lui est peu confronté à ces problématiques. Sauf une fois. Il se souvient de ce jeune qui, lors d’une visite à Montpellier en novembre 2016, l’a interrogé. “Il m’a dit : ‘Je ne comprends pas, les gens ils tuent pour la religion mais pourtant toi, tu es musulman, tu as sauvé des gens, où doit-on se situer ?’” Lassana se souvient de sa réponse : “Je lui ai dit : ‘Ces gens ne connaissent pas la religion, ils ne savent même pas lire le Coran. Ils sont partis combattre pour leur intérêt. La religion ne nous demande pas de tuer des gens pour elle.'”
Si Lassana assure qu’avec les attentats qui ont suivi ceux de janvier 2015, les Français se sont rendu compte que “les terroristes attaquent tout le monde maintenant”, le jeune homme se veut optimiste pour son pays d’adoption : “Il y a toujours du monde qui sort, on continue à vivre. On va s’en sortir hein…”
Source: francetvinfo