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Délai de viduité : Le pire moment dans la vie d’une femme

Le rituel entraînele traumatisme,la tristesse etla solitude chez certaines femmes

 

Le délai de viduité,en langue bambara « filiya », est un rituel très ancien de la société malienne. Il est obligatoire pour toutes les femmes mariées qui ont perdu leurs maris. Sans distinction de religion. La femme dont le mari décède selon la tradition et la religion musulmane, est tenue de rester dans la maison conjugale jusqu’à la fin du délai de viduité, qui est de quatre mois et dix jours. Dans la tradition chrétienne, le délai de viduité dure 40 jours. L’objectif du délai de viduité est de permettre à la femme de faire le deuil de son mari décédé. Pendant le délai de viduité, une femme n’a pas le droit de contracter un autre mariage, ou d’en parler. Elle doit éviter toute conduite qui pourrait l’exposer.

Assise dans son salon en compagnie de ses enfants et petits-enfants, Djénéba Coulibaly une vieille dame âgée de 62 ans, observe le délai de viduité après la mort de son mari S. Diallo, il y a environ 3 mois. La vieille dame qui habite à N’tomikorobougou révèle que pendant 44 ans, elle a vécu en couple avec son défunt époux. Selon Djénéba Coulibaly, la période de veuvage estdifficile pour une femme. Ce n’estpas facile dans l’immédiat de supporter la perte de son mari.

«Cet délai de viduité a été très dure à supporter. En gardant la chambre tous les jours, je n’arrête pas depenser à mon mari, surtout je ressassetout ce qui s’est passé entre nous. Chaque fois que je vois les affaires de mon mari, je suis triste. Le fait que je suis restée sur place, sans trop de mouvement, j’aidéveloppé des problèmes de santé qui me fatiguent maintenant. J’arrive un peu à oublier grâce auxcauseries avec mes enfants et mes petits-enfants. Je rends grâce à Dieu. »

RESPECT DES RÈGLES- La tradition exige le respect de certaines règles lors du délai de viduité. Djénéba Coulibaly dit que le veuvage commence le jour même du décès du mari. « Juste après le décès de monépoux, on m’a fait asseoir sur une natte neuve sur laquelle je dois dormir et abandonner mon litconjugal jusqu’à la fin de monveuvage. Après l’enterrement, on m’a fait porter le boubou bleu. Chaque semaine, on tresse ma tête avec une baguette de bambou. Et aussi on m’a donnée une nouvelle bouilloire, une nouvelle tasse car je n’ai plus droit de manger avec les autres membres de ma famille. Il m’a été recommandéde ne pas trop parler, surtout avec des hommes. Ma chambreest interdite à tout hommesauf à mes enfants et mes frères », explique la veuve Coulibaly.

La sexagénaire,Ba Bintou Camara, veille sur la veuveDjénéba Coulibaly. Elle précise que la manière dont Djénéba Coulibaly est en train d’observer le délai de viduité est celui qui est recommandée par la tradition. La vieille dame expliqueque c’est elle qui est habilitée à s’occuper de ladame Djénéba, car elle-même a été veuve auparavant. Pour Ba Bintou, seule une veuve est autorisée à tresser, à faire la natte et à préparer la nourriture d’une autre veuve. En plus, seule une femme qui a perdu son mari a le droit de s’asseoir sur la natte d’une veuve.Selon Ba Bintou Camara, le délai de viduité engendre le traumatisme chez certaines femmes, la tristesse et la solitude.La vieille Djénéba arrive parfois à ne pas penser à la mort de son mari grâce à l’aide de sa famille.

A. T A 19 ans. Ellea perdu son conjoint, il y a moins de 47 jours suite à un accident de la circulation.Elle habite à Samé. La tête baissée, les larmes aux yeux, celle qui a préféré garder l’anonymat expliquequ’elle n’a jamais ressenti une telle douleur dans toute sa vie. Tous les jours, depuis la mort de son mari, elle pleure à chaudes larmes. Personne ne lui tient compagnie et elle n’a pas d’enfant. Tous les jours, elle est assise seule du matin au soir sans rien faire, sans le droit de regarder la télévision. Elle a peur de sortir dans la rue craignant le regard des gens.

à chaque sortie,les gens l’observent bizarrement. Elle a l’impression qu’elle inspirele mépris. Elle venait de se marier au mois de juin passé. Perdre son mari à un âge si jeunerend la vie compliquée pour une femmedans notre société. « Après le 40 ème jour du décès de mon mari, ma belle-famille a demandé que je fasse le reste du veuvage chez mes parents.«Selon ma belle mère chaque fois qu’elle me voit avec mon boubou bleu, cela lui rappelle la mort de son fils. Et aussi lefrère de mon défunt mari a dit que j’étais une fille maléfique.La jeune femme explique que chaque fois sa mère la voit, elle pleure et la fuit. «Raison pour laquelle, je pleure tous les jours et je suis traumatisée. Je suis pressée que cette période finisse pourque je puisse voyager et oublier. Là oùje suis, j’ai peur du jugement de la société.Je me demande si je vais trouver un autre mari. Mais, Dieu est grand ».

L’imam de la mosquée 3 de Hamdalaye, Cheick Hamaoulah Sow,précise que, selon la religion musulmane, l’objectif du délai de viduité est de permettre à la femme de faire le deuil de son époux tout en restant fidèle et correcte. Il s’agit de permettre à la femme de se préparer psychologiquement, et physiologiquement parce qu’elle vient de quitter une relation. Cette période consiste à vérifier si la femme est enceinte ou pas. Si la femme attendait un enfant après la mort de son mari, si elle accouche avant la fin de son délai de viduité, celui-ci prend fin ce jour. Selon l’islam, tout ce que la tradition exige en ce qui concerne le délai de viduité n’est pas une obligation. L’imam Sow explique qu’une veuve peut bien utiliser son lit conjugal. Elle peut manger avec les autres et peut se faire tresser par n’importe quelle femme.

Cependant, Cheick Hamaoulah Sow précise qu’une veuve n’est pas obligée de rester sur place. Elle peut souvent se promener mais elle ne peut pas aller n’importe où. La veuve doit vérifier là où elle va et contrôler son langage. S’il arrive qu’une femme fonctionnaire perde son mari, elle continue à aller à son travail après les 40 jours du décès de l’époux.

En ce qui concerne le boubou bleu, l’imam explique que ce n’est pas une obligation. Il faut juste porter quelque chose de décent de n’importe quelle couleur. Il est même possible pour une veuve de changer d’habit pendant la période de veuvage. Par contre, la vielle Djénéba Coulibaly, est d’avis que le boubou bleu doit être une obligation. Elle estime que quand vous portez le boubou bleu, les gens vous respectent. Vous avez la priorité partout où vous allez dans la ville surtout dans les hôpitaux.

Léonie Sangaré, présidente des veuves de la Cathédrale de Bamako, explique que dans la tradition chrétienne, le délai de viduité s’arrête à 40 jours. Et durant ce temps, la veuve n’a pas le droit de sortir. Elle doit rester sur place. Même en cas de besoin. Ce sont les membres de sa famille ou des fidèles chrétiens qui doivent lui venir en aide. Les veuves chrétiennes portent le tissu noir. Après les 40 jours, la veuve peut continuer à porter les habits chrétiens jusqu’à 1an, tout en évitant d’aller dans les cérémonies festives durant une année.

QUÉMANDER-Arrêtée devant une mosquée de la capitale, Aminata Kanté, vêtue d’une tenue bleu, est en train de demander l’aumône. Cette dame âgée de 43 ans habite à Djicoroni-para. Elle vient de perdre son mari M. Soumaoro, il y a deux mois et demi. Elle avoue : «C’est vrai,je dois rester sur place pour observer le deuil de mon mari.

Mais je ne peux pas.Je n’ai personne pour nourrir mes enfants qui sont au nombre de 4 .Le plus grand a 17ans et le dernier a 4 ans. Ils vont tous à l’école. Mon mari n’était pas fonctionnaire. Il était maçon et n’avait pas de revenu mensuel. Je souffre beaucoup en cette période. J’ai honte parfois de sortir étant dans cette situation. Les gens me regardent avec insistance. Je voudrais que les gens comprennent ma situation, car je n’ai pas le choix», plaide Aminata Kanté.

L’imam Cheick Hamaoula Sow, et la vielle Ba Bintou Camara insistent sur un fait.La veuve peut aller chercher à manger si elle est dans le besoin. Mais elle doit surtout rester correcte. Ne pas aller voir d’autres hommes et rentrer vite chez elle avant les heures tardives.La veuve d’un militaire Kadiatou Koné est âgée de 28 ans. Elle a perdu son mari à Bourem dans la Région de Gao, il y a un an. Le couple a eu deux enfants.. Ainsi elle souhaite que le gouvernement honore tous les engagements pris à l’endroit des veuves militaires. Elle demande à la population de ne pas formuler de jugements négatifs à l’endroit des jeunes veuves. Personne ne souhaite la mort de son mari à un si jeune âge.

Selon Younoussa Touré, anthropologue, le veuvage existait dans notre société, bien avant l’arrivée des religions musulmane et chrétienne. à cette époque, juste après le décès du mari, on rasait la tête de la veuve et on lui faisait porter un habit spécialement fait pour elle, explique t-il. « Après, on isolait la veuve », a poursuivi notre interlocuteur, ajoutant que dans certaines communautés, on enfermait la veuve avec le corps de son mari, jusqu’au jour de la célébration des funérailles.

La durée du délai de viduité pour la femme, à cette époque, était tributaire de la durée des funérailles décrétées par les parents du défunt. Les funérailles variaient d’une à deux semaines ou quarante jours pour certains et d’un à trois mois au maximum pour d’autres.

« Les parents du défunt choisissaient le jour des funérailles par rapport au mouvement lunaire », a expliqué Younoussa Touré. Pour l’anthropologue, la célébration des funérailles dépendait, aussi, de la situation économique des parents du disparu. Après les funérailles, la veuve était libérée. Ce qui signifiait la fin du délai de viduité. Dans de nombreux cas, on ordonnait à la veuve, qualifiée de femme de « mauvais sort », de quitter le village après les funérailles. à cette époque, il était alors très difficile pour une femme de se remarier après le décès d’un premier mari.

Baya TRAORÉ

Source : L’ESSOR

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