Nos leaders cherchent dans le religieux une légitimité qu’ils n’ont pas dans le politique. Ce qui fait que les guides religieux influent la vie politique malienne.
Au sein d’une population fortement croyante, les guides religieux maliens bénéficient d’une grande influence ce qui leur donne souvent un ascendant sur les hommes politiques. Ainsi, les Imans et Guides religieux devenus tous des hommes d’affaires pour la plupart sont souvent des acteurs phares dans des prises de décisions majeures.
Certes les guides religieux ont un rôle phare à jouer parce qu’au-delà de la politique il y a la religion et le Mali est « un pays où les gens accordent une grande importance à la religion ». Mais de là à cautionner tolérer certaines sorties des guides religieux qui font l’apologie du terrorisme ou de la chute d’un régime en place fait jaser.
Et le cas de l’Iman Mahmoud Dicko devient plus qu’inquiétant. Des années durant, il a présidé le Haut Conseil islamique. Un poste qu’il vient de quitter mais qui lui a donné une capacité de mobilisation inédite. Chef religieux formé en Mauritanie et en Arabie saoudite, devenu le chantre de l’islam wahhabite au Mali, Dicko n’en est pas à sa première démonstration de force. En 2009 déjà, il avait fait plier le pouvoir d’Amadou Toumani Touré sur la réforme du code de la famille. En décembre dernier, il a fait reculer le gouvernement sur un projet de manuel d’éducation sexuelle. En février de l’année écoulée l’Iman Dicko fustige la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta tout en réclamant la démission de son Premier ministre lors de son meeting au stade du 26 mars.
Au fil des années, auréolé du prestige de guide spirituel, Dicko s’est forgé une image de gardien des bonnes mœurs. Chaque fois, il appelle à défendre les « valeurs sociétales et religieuses » du Mali et pourfend « la mauvaise gouvernance ». Ce faisant, il a acquis une capacité de mobilisation indéniable que lui envient bien des hommes politiques. Avec lui, les islamistes sont aussi devenus l’une des premières forces de contestation politique du pays. Ainsi donc le risque d’une influence grandissante de l’islam politique venu du Golfe est en train de s’ancrer au Mai tout doucement.
Aujourd’hui, tous les entrepreneurs politiques s’inscrivent dans cette politique-là, pour chercher des voix, gagner en légitimité ou utiliser les guides religieux comme un levier d’influence sur le plan politique, économique et social.
Le Mali est un Etat laïque dans une société confessionnelle dirigée par trois confréries les Tidjanias, les wahhabites et les soufies. Le Mali est dans une contradiction entre sa sphère religieuse, qui s’impose comme stabilisatrice, et sa sphère politique qui use du religieux à son bénéfice. Surtout que le leadership politique est en perpétuelle quête de légitimité et s’adonne à des formes de compromis voire de compromission avec la sphère religieuse qui, à terme, peut remettre en cause, selon de nombreux analystes, nos fondements républicains.
La classe politique ne mettra jamais en doute la capacité des chefs religieux à leur apporter des voix supplémentaires. Ce qui fait qu’au Mali, l’imaginaire nationaliste se confond à l’imaginaire religieux. Il est clair que la pression religieuse pèse sur la pensée de notre classe politique qui n’aborde pas des questions sociétales. Les questions économiques sont débattues en premier lieu. La question des talibés et de la mendicité infantile est un problème qui traîne depuis l’indépendance. C’est une question sensible dont aucun régime n’a osé s’emparer. Ce que l’on peut reprocher à nos gouvernants, c’est leur manque de courage, leur quête éternelle d’une légitimité qu’ils n’ont pas dans le politique et qu’ils cherchent dans le religieux. Sans changement, nous ne pourrons pas répondre aux véritables défis politiques auxquels le pays fait face.
Nous vivons dans une société complexe et changeante. Mais pour bien des choses, nous nous fions toujours aux bonnes vieilles méthodes, aux traditions et aux dictons. On se réfère à nos grands-mères et à leurs vieilles expressions que Jean Lapierre sait si bien déformer. On se fait dire que dans la vie il y a deux certitudes: la mort et les taxes. En pub, on reprend le modèle en nous disant, des centaines de fois par jour et par toutes sortes de canaux, que tout va bien avec le lait (après «source naturelle de réconfort», «deux c’est mieux», «comme ça me plaît», etc.), que Brault & Martineau, «c’est pour le meilleur et pour le prix», et – ma préférée, car elle capture tellement bien la culture de la marque, mais aussi la personnalité de son illustre propriétaire – que Vidéotron, c’est «le pouvoir infini». Mais c’est excellent. On nous en dit des choses.
Oui nos dirigeants ont cautionné l’imaginable, à tel enseigne que les religieux se permettent toute sorte de dérive sans avoir peur de l’autorité. Au contraire il la défie ! Car aujourd’hui un guide religieux sous IBK est une personnalité à ne pas toucher. Ah oui, l’argent, la religion et la politique. C’est ça, le problème. Et pourtant.
A.D