Amadou Toumani Touré, Soumaïla Cissé, hier ; Ibrahim Boubacar Kéita et Soumeylou Boubèye Maïga, aujourd’hui… Le décompte macabre ne cesse de se dérouler pour les démocrates maliens de la première heure ces deux dernières années. Et le danger d’orphelinat se précise justement avec la disparition de l’ancien Premier ministre en détention préventive. Y a-t-il encore un pilote pour faire face à la restauration que beaucoup craignent ?
La démocratie malienne serait-elle exposée au danger d’orphelinat avec la mort en détention, lundi 21 mars à Bamako, de Soumeylou Boubèye Maïga ? La question vaut son pesant d’or tant la personne que la nation tout entière, à travers une foule des grands jours, a enterrée hier, était omniprésente aux avant-postes de la scène politique au Mali, ces trente dernières années. Quitte à avaler des couleuvres !
Mais pas que cela. En l’absence des autres ténors du Mouvement démocratique (morts ou rentrés dans l’anonymat) des années 1990, Soumeylou Boubèye Maïga était véritablement l’un des rares démocrates sincères survivants qui incarnaient le souvenir de la lutte héroïque du peuple contre la dictature militaro-civile du général Moussa Traoré, renversée le 26 mars 1991 lorsque l’armée, sous la conduite du lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré, a pris ses responsabilités en mettant fin au bain de sang qui découlait de la contestation-répression alors en cours dans le pays.
Ce serait pourtant faire injure à la mémoire de l’homme que de croire que lui et la plupart de ses compagnons de 1990-1991 n’ont profité que de l’oukase du Sommet France-Afrique de La Baule, dont la substance avait trait à l’ouverture démocratique dans les pays d’Afrique francophone où les partis-Etat étaient de saison, après la chute du Mur de Berlin, pour en découdre avec le régime du Cmln-Udpm.
Membre du Parti malien du travail (PMT, clandestin dirigé par le Pr. Abderrahmane Baba Touré), militant anti-coup d’Etat du 19 novembre 1968 qui a renversé le père de l’indépendance nationale, le président Modibo Kéita, Soumeylou Boubèye Maïga avait réellement donné du fil à retordre au régime du parti-Etat toute sa vie durant, que ce soit dans la clandestinité ou à visage découvert.
Souvenez-vous des échanges directs que le président Moussa Traoré avait instaurés avec les couches socio-professionnelles du pays au milieu des années 1980 en vue de recenser les préoccupations de ses concitoyens ! Si le chef de l’Etat s’employait à rassurer les intervenants que rien ne leur arriverait à la suite des propos même graves qu’ils tiendraient, la plupart des orateurs préféraient la langue de bois.
Toutefois, l’opinion retiendra que seuls “Boubèye” et une tête brûlée ont pris leur courage à deux mains pour dénoncer ouvertement ce qui ne pouvait se dire à l’époque que dans des gourdes. Le débit lent, la franchise dans le regard. Au grand dam du Grand Matou Tueur (GMT), tenu pour une fois par sa parole. Moussa était dans les cordes.
Dans ce Mali de 2022, à la croisée des chemins à cause d’une nième Transition qui s’étire, où les hommes politiques sont vilipendés, pourchassés et livrés à la vindicte populaire ; où la restauration semble avoir de beaux jours devant elle, la disparition de SBM constitue une immense perte pour les démocrates, et partant le pays.
Muni d’un haut potentiel intellectuel, rusé, cultivé et très connu à l’international, il pouvait être d’un apport considérable pour la restauration de la démocratie vraie dans notre Maliba. Incontestablement. Malheureusement, Allah Tout-Puissant l’a décidé, en le rappelant à lui.
Malgré les vicissitudes de la vie et de la politique en particulier, il faut dire que Boubèye n’a pas du tout démérité. En dépit de forts soupçons qui pesaient sur lui, force est de reconnaître qu’il a servi du mieux qu’il a pu la République du Mali.
Journaliste-réalisateur à sa sortie du Centre d’études des sciences et techniques de l’information (Cesti de Dakar), il a sillonné le pays de long en large pour informer, éduquer et sensibiliser les populations à travers ses écrits de belle facture dans le quotidien national “L’Essor”, le mensuel “Sunjata” dont il était le rédacteur en chef, tous deux édités par l’Agence malienne de presse et de publicité (Amap) sous l’égide du ministère de la Communication.
Un parcours honorable
Parallèlement à son travail de journaliste, il a été un grand sportif, entraîneur de l’équipe féminine de basket-ball du Club olympique de Bamako (COB), qui trustait les trophées. Il se rendra ensuite en France où il obtint un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) de diplomatie et administration des organisations internationales en 1987 à l’Université de Paris-Sud et un diplôme de relations économiques internationales à l’Institut d’administration de Paris (IAP).
Né le 8 juin 1954 à Gao (Nord-est du Mali), SBM devint homme d’Etat dès l’avènement de la démocratie et du multipartisme le 26 mars 1991. A la chute de Moussa Traoré, il est appelé au cabinet du président du Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP, nouvel organe dirigeant du pays) en qualité de conseiller spécial, d’avril 1991 à juin 1992.
Vice-président et membre fondateur de l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adéma/PASJ), il est nommé en juin 1992 chef de cabinet au Palais de Koulouba par le président Alpha Oumar Konaré, nouvellement élu à la tête du Mali.
En janvier 1993, il a été désigné directeur général de la Sécurité d’Etat (les services de renseignement). A ce poste, il déjouera plusieurs coups d’Etat avant d’entrer au gouvernement de Mandé Sidibé en tant que ministre des Forces armées et des Anciens combattants. En 2002, Soumeylou Boubèye Maïga est candidat à la candidature de l’Adéma/PASJ pour l’élection présidentielle de 2002, qui choisit Soumaïla Cissé.
En 2006, son parti, l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adéma) décide de soutenir la candidature probable du président sortant Amadou Toumani Touré à l’élection présidentielle de 2007. Soumeylou Boubèye Maïga est contre cette décision et annonce son souhait de se présenter.
Pour cela, il fonde l’association “Convergence 2007”. A la suite de cela, il s’est fait exclure de l’Adéma. A la conférence nationale des 24 et 25 février 2007 du parti de l’Abeille, les délégués votent son exclusion ainsi que celle de plusieurs de ses sympathisants. Au 1er tour de l’élection présidentielle, le 29 avril 2007, il est arrivé en 6e position. Le président sortant Amadou Toumani Touré est réélu.
Avec les autres candidats de l’opposition regroupés au sein du Front pour la démocratie et la république (FDR) – Ibrahim Boubacar Kéita, Mamadou Bakary Sangaré et Tiébilé Dramé – il conteste les résultats d’un scrutin “entaché de fraudes” et dépose un recours devant la Cour constitutionnelle. Celui-ci est rejeté le 12 mai 2007.
Le 6 avril 2011, Soumeylou Boubèye Maïga est nommé ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale dans le gouvernement de Mme Cissé Mariam Kaïdama Sidibé. Lors du coup d’Etat du 22 mars 2012 d’Amadou Sanogo, il est fait prisonnier et entame une grève de la faim avec plusieurs hauts officiels.
Le 8 septembre 2013, Soumeylou Boubèye Maïga est nommé ministre de la Défense et des Anciens combattants dans le gouvernement d’Oumar Tatam Ly. Dès le 1er tour de la présidentielle, il avait soutenu le futur président Ibrahim Boubacar Kéita, malgré des inimités passées.
Il démissionne de ce poste le 27 mai 2014 en réaction à la défaite de l’armée malienne à Kidal, face à des groupes rebelles.
Revenu en grâce comme secrétaire général de la Présidence de la République, SBM est appointé Premier ministre par le président IBK le 30 décembre 2017, mais sous la menace d’une motion de censure, il va abdiquer le 18 avril 2019.
Le 26 août 2021, Soumeylou Boubèye Maïga est inculpé puis arrêté par la chambre d’accusation de la Cour suprême du Mali, dans l’affaire de l’achat d’un avion présidentiel pendant la présidence d’Ibrahim Boubacar Kéïta.C’est au cours de l’instruction de ce dossier qu’il a trouvé la mort en détention dans une clinique de Bamako, alors que sa famille ne cessait de demander son évacuation à l’étranger pour des soins appropriés.
La mort est parfois inattendue, mais toujours inexorable.
Dors en paix cher confrère et doyen !
Qu’Allah Soubhanah Watallah ait Miséricorde de ton âme, Amen !
La Rédaction
Source: Aujourd’hui-Mali