Beaucoup de mariages continuent d’être refusés ou sont rompus, des jeunes deviennent des déclassés sociaux sur la simple base de considérations infondées relevant de certaines traditions qui devraient être révolues. Sur la base de certains signes ou caractéristiques, des gens sont considérés comme portant en eux une mauvaise guigne ‘’téré’’ qui porte malheur à tous ceux qui les collaborent. Ces croyances portent un coup dur aux liens sociaux.
Dans beaucoup de milieux au Mali, des jeunes garçons ou jeunes filles deviennent du jour au lendemain des déclassés sociaux sur la base de considérations irrationnelles. Nombreux sont ces jeunes qui peinent à réintégrer la société parce qu’ils sont considérés comme possédant une forme de mal intérieur ou de guigne traduite en langue bambara par ‘’téré’’ qui ôterait la vie ou porterait malheur à quiconque veut tenter une aventure amoureuse avec eux. Cela intervient généralement lorsque quelques jours après leur mariage, le conjoint ou la conjointe casse la pipe. Ainsi l’autre partie est considérée comme responsable de la mort. Elle aura toutes les peines du monde à pouvoir convoler en justes noces parce qu’elle est considérée comme un individu malchanceux ‘’téré djugu’’.
La guigne détermine la vie des intéressés
En effet, c’est pourquoi depuis la mort de sa femme en 2017, Adama, blanchisseur, peine à se remarier parce que tout le monde soutient que sa défunte femme n’a jamais eu de bonheur depuis son mariage avec Adama jusqu’à sa mort et que cela ne relève que de la malchance du monsieur. Cela a été le même cas pour Aminata, une ménagère, qui a fini par se remarier à un vieil homme. Dans son roman Une Femme de trop, Issoufi Dicko à travers Sara aborde ce problème. Sara est cette femme qui a toujours vu s’échapper des opportunités de mariage soi-disant qu’elle portait en elle une guigne. Juste après quelques mois de mariage avec Oussou, les problèmes de ce dernier se sont augmentés. Alors, Sara fini ainsi par donner raison à ses détracteurs : « Tu as trop de problèmes à cause de mois, dit-elle à Oussou. Je vais me retirer pour te permettre de souffler, de vivre en paix. » En effet, les femmes sont plus victimes de cette forme de discrimination sociale que les hommes.
C’est pourquoi dans la plupart des sociétés maliennes, les vieilles personnes s’étaient trouvées des signes à travers lesquels elles seraient en mesure de déterminer la guigne d’une jeune fille ou d’un jeune garçon ou encore savoir ce qu’adviendra son mari ou sa femme une fois le mariage consommé. Car cette guigne est sensée également à leurs yeux avoir des effets sur la chance voire les richesses du conjoint ou de la conjointe. En effet, il existerait une bonne guigne ‘’téré nyuman’’ et une mauvaise guigne ‘’téré djugu’’.
Comment procéder à la détermination de la guigne ?
Pour reprendre Hamidou Diarra dit Dragon, traditionaliste et animateur à la radio Kledu, sur Afrikbone, les femmes « dont l’intérieur des genoux se frottent en marchant sont susceptibles de chasser la richesse de la maison conjugale. Certains postérieurs arrondis assortis de hanches développées sous forme de pistolets, sont pour Dragon, des championnes de l’adultère. Même étant vieilles, elles demeurent esclaves de leur libido ». Quant aux hommes, celui-ci explique : « Un homme qui pique le sol avec ses gros orteils en marchant ou même étant arrêté, enterre sa progéniture. Il ne fondera pas de foyer en un mot. Celui qui, étant debout, ne cesse de poser un pied sur l’autre, fait quant à lui, appel à la famine, à la déchéance. »
Beaucoup de mariages sont ainsi refusés à cause juste de ces considérations archaïques ne pouvant relever que de la fantaisie. Cette considération est semblable à cette pratique des barbares de Voltaire dans Zadig ou la destinée où les femmes devaient se jeter sur le bûcher de leur mari parce qu’on trouvait qu’elles portaient malheur à toute la société.
Une considération subjective et irrationnelle à bannir
De la même manière que Zadig a pu mettre fin au bûcher de veuvage, de même il est temps pour nous de mettre un terme à cette pratique qui n’est, selon Sékou Diarra, étudiant en France, que « subjectif et psychologique. Elle n’a rien de concret et de scientifique». Cette position est également celle de Mamadou Coulibaly, Professeur de philosophie : « Ce phénomène ne se justifie pas scientifiquement car toutes les explications sont essentiellement irrationnelles. Ce sont des superstitions et des dogmes. » Il convient alors de mettre la raison en avant afin de ne pas se laisser en ce 21e siècle emporter dans ces genres de préjugés qui ne servent qu’à détériorer nos liens sociaux. Ces croyances n’ayant aucun fondement solide doivent être révolues.
Ce qu’il convient également de comprendre, c’est que dans le temps, ces considérations constituaient un moyen pour ces vieilles personnes d’imposer des choix aux jeunes gens en les qualifiant d’inexpérimentés dans ces pratiques. Le mariage forcé étant révolu, il est temps qu’il le soit également pour ces croyances.
Fousseni TOGOLA
Source: Le Pays