Un des dysfonctionnements majeurs de la dynamique démocratique, de 1991 à 2020, au Mali a été le manque de civilité entre les partis de la majorité et de l’opposition. Leur rapport était plus une guerre à mort plutôt qu’une compétition civilisée entre projets de société. Cette réalité a mis à mal fondamentalement le sens même de la démocratie au Mali : c’est-à-dire un débat politique policée, une société mieux informée et plus respectueuses des règles, une administration nationale intériorisée comme représentant de l’intérêt général, une alternance pacifique par le choix du peuple…
Tous les moyens devenant bons pour gagner ou ne pas perdre le pouvoir, c’est-à-dire ne pas laisser « l’ennemi politique » accéder ou rester au pouvoir, la guerre des partis politiques ont cassé la dynamique démocratique malienne, permettant un coup d’État militaire.
Et pourtant nous disposions d’institutions traditionnelles qui auraient pu nous permettre de construire un rapport civilisé entre les partis opposés : la sinankouya par exemple ?
On aurait pu transformer les partis politiques opposés dans le Mali en partis sinankou. La pratique de la sinankouya déjà installée dans le moteur culturel des maliens, cette perspective contemporaine de la sinankouya pour policer et faire accepter les contradictions politiques sans que ça ne soit une lutte à mort aurait pu être possible.
C’est quoi même la sinankouya ? D’après plusieurs sources, la sinankouya signifie à l’origine la résilience face à l’adversité (Ka sina koun) : sina (adversaire), koun (résilience).
A l’origine la sinankouya est un pacte de sang, entre Soundiata Keïta et certains de ses ex-adversaires, codifié pendant la rencontre de Kurukanfuga en 1235. Puis au fur des années, elle a été élargie au-delà du Mandé et à des sphères sociales pour devenir une véritable institution politique destinée à maintenir l’équilibre et à entretenir la cohésion entre des clans, des communautés, des familles, des individus. La Sinankouya implique l’entraide et la solidarité totale entre les deux parties. Les partenaires sont liés par une série d’obligations réciproques. Ils ne doivent pas se nuire et ils sont aussi tenus de se secourir dans certaines circonstances même s’ils sont opposés.
Ainsi la notion a évolué et s’est installée entre familles (par exemple entre Traoré et Diarra), entre communautés (entre peulh et noumou par exemple), entre individus (entre grand-parent et petit-enfant par exemple).
Aujourd’hui, la Sinankouya est majoritairement intériorisée par la société malienne pour mitiger les conflits assez mineurs. Elle est surtout devenue un mécanisme pour réguler de la plaisanterie entre les individus. Au point qu’elle ait été traduite en français par le terme “cousinage ou parenté à plaisanterie”. Dans cette pratique, chaque fois que quelqu’un veut détendre l’atmosphère et se permettre de plaisanter avec un étranger, il lui donne le nom de Coulibaly pour le traiter en « cousin à plaisanterie » et aborder avec lui des sujets délicats difficilement tolérables en situation normale. ATT a judicieusement utilisé cette pratique dans sa gestion politique, mais de manière superficielle.
C’est cette intelligence politique de ATT que nous allons humoristiquement traiter, sans épargner le tonton ou le pépé national qu’il est pour nous tous.
La culture, ce n’est pas “retourner à nos valeurs ancestrales”. C’est plutôt nous réinventé. On pourrait par exemple réinventer notre pratique politique par un héritage traditionnel : la sinankouya. On pourrait renommer la démocratie bénkanfaga. Au lieu de nissongon, on pourrait nommer les impôts sous le nom générique de faso nansongon…
Bientôt le spectacle de Kotèba documentaire “ATT, i ni sinankouya” ! Nous avons besoin de vos aides : anecdotes, archives, finances…
Alioune Ifra Ndiaye
Source: Mali Tribune