Officiellement, l’emploi se créé, par milliers, actuellement au Mali. Les opportunités vont croissantes, dans tous les secteurs (formel et informel). Et le programme de création de 200 000 emplois serait sur une bonne lancée. Cette situation (d’autosatisfaction ?) affichée par le département ministériel en charge de la question est sans doute flatteuse pour le régime. Cependant, elle ne reflète pas du tout ce que vivent les Maliens. Un tour dans le « monde » des chômeurs suffit pour comprendre que la problématique d’accès à l’emploi, particulièrement pour les jeunes, se pose encore avec acuité. Quelle lecture, font-ils, de la situation? Que disent les chiffres ? Quelles sont les solutions préconisées par les experts en la matière ? Où sont passées les promesses du candidat Ibrahim Boubacar Keïta ? Enquête.
L’accès à l’emploi fut l’un des sujets phares qui ont animé la campagne de l’élection présidentielle de 2013. Ibrahim Boubacar Keïta, alors candidat du Rpm à cette élection, avait promis de l’emploi « à gogo » aux Maliens. Bon nombre d’entre eux (Maliens), particulièrement les jeunes qui croyaient leur heure arrivée, ont mordu à l’appât. Au finish, l’homme providentiel est élu à 77% des suffrages. Seulement voilà, en deux ans d’exercice du pouvoir, IBK peine à faire fleurir les opportunités d’emplois. Les perspectives s’estompent. Et le beau monde drainé vers les urnes par cette belle promesse, déchante. Une triste réalité tangible ; même si le ministre en charge de la création d’emplois tente de faire valoir le contraire.
« Au Mali, l’emploi est devenu une chimère » dit-on. Le chômage est endémique, touchant durement les forces vives du pays que sont les jeunes diplômés ou non. Aujourd’hui, le chômage après l’obtention du diplôme (excepté quelques privilégiés qui arrivent à tirer leur épingle du jeu) n’est peut-être pas un phénomène nouveau ; mais elle tende à s’ériger en règle depuis l’arrivée d’IBK. Sous ce régime, tout semble aller de mal en pis. Aucune certitude, l’horizon étant bouché par l’amateurisme de ceux-là même qui prônent un Mali nouveau. L’embauche se fait au compte-goutte et l’organisation des différents concours d’entrée à la fonction publique reste en proie à la magouille et à la corruption. Des maux qui ont atteint leur paroxysme sous nos cieux. « Il faut débourser pour être admis ou avoir un parent membre du parti présidentiel », s’indigne Moussa Togola, un diplômé en droit privé. Qui, comme bien d’autres Maliens, avait cru que le « régime IBK allait adopter une certaine transparence et une sincérité dans le recrutement au niveau de la fonction publique ». « Le mérite doit prévaloir au risque de créer une autre situation qui pourrait anéantir les efforts de développement », ajoute Mohamed Touré, aussi diplômé sans emploi.
L’impression générale qui se dégage de la situation actuelle est sans appel. « Aujourd’hui, l’on étudie peut être par devoir, peut-être pour l’acquisition des connaissances pour comprendre la marche du monde mais certainement pas pour se dire qu’on le fait pour un emploi garanti après », explique un autre diplômé sans emploi.
Pour certains jeunes diplômés sans emplois, le statut d’étudiant est finalement meilleur à celui de jeunes diplômés chômeurs dans la mesure où les premiers bénéficient au moins des largesses de l’Etat en termes de bourses d’études. « D’ailleurs, la peur de se retrouver dehors sans emploi et sans revenus pousse très souvent certains étudiants à trainer les pas (redoublement volontaire)», confie M. Touré. Et à Abdoulaye Coulibaly de renchérir qu’ « il est courant de voir aujourd’hui au Mali des étudiants de plus de 30 ans toujours en formation initiale. A se demander quand est-ce que ce dernier sera dans la vie active, sachant par ailleurs que l’espérance de vie dans notre pays n’atteint pas les 60 ans». N’est-ce pas un échec après tant d’efforts que de se retrouver malgré soi dans une situation d’assisté, vivant aux crochets des bonnes âmes ? S’interroge le sexagénaire. Moussa Sagara rebondit et donne un coup de griffe, clamant qu’il ne sert à rien d’investir dans l’éducation et la formation du jeune, et qu’aucune opportunité ne s’offre à lui au moment où il doit être opérationnel.
Les drames sociaux et autres phénomènes tels que l’exode et l’immigration des jeunes expliqueraient en partie cette situation de détresse généralisée. « Qui dit chômage parle forcement de pauvreté dans la mesure où l’inactivité et le manque de ressources induisent fatalement l’idée de pauvreté », conviennent les observateurs. Voilà qui justifie la tentation des milliers de jeunes à s’exiler. Sauf que la plupart d’entre eux finissent au fond des océans. L’on se souvient encore, en avril dernier, près de 300 Maliens (essentiellement originaires de la région de Kayes) ont péri dans les naufrages en Méditerranée.
Les citoyens, encore outrés par les conséquences de l’immigration irrégulière, ne perçoivent pas d’efforts visant à éviter une éventuelle réédition de catastrophes en méditerranée. En lieu et place d’actes concrets, le régime fait de « la tape à l’œil » un refuge. À cet effet, un bilan élogieux est déroulé, tous les trimestres, par le ministère de l’emploi, de la jeunesse et de la construction citoyenne.
Ces chiffres qui font dormir debout…
À croire que nous ne vivons pas sur la même planète que nos gouvernants, tant les statistiques fournies par les services dédiés à la promotion de l’emploi (Directions régionales du travail, la Direction nationale du travail et l’Agence nationale pour l’emploi) sont phénoménales. « Croire à ces donnée relève d’une naïveté sans pareille» affirme un observateur qui a servi dans un des services cités ci-haut. « De même, ce serait le comble de l’hallucination de croire que ce régime honorera les promesses d’emplois faites aux Maliens », ajoute-t-il.
Pour revenir aux statistiques, plus de 20 000 emplois auraient été déjà créés. Rien que pour le deuxième trimestre 2015, les structures de l’Emploi ont enregistré 6458 nouveaux emplois dans le secteur formel contre 6065 au premier trimestre, soit une hausse de 6,48%.
Ces emplois sont ainsi répartis : 4030 emplois à contrat à durée déterminée (62,40%) et 2428 emplois à contrat à durée indéterminée (37,60%). Les emplois occupés par des hommes représentent 82,13% contre 17,87% pour les femmes. Dans le tableau de répartition géographique de ces emplois, le District de Bamako arrive en tête avec plus de 50% de l’ensemble. Il est suivi par les régions de Sikasso et Mopti, respectivement 607 (9,75%) et 465 (7,48%). « Dans chacune des régions (Kayes, Koulikoro, Ségou et Gao), il a été créé plus de 300 emplois » indique-t-on dans un rapport publié à cet effet.
Aussi, l’on rassure que ces emplois sont essentiellement occupés par des Maliens (6227 soit 96,39%), contre 3,61% pour les étrangers.
Que dire du niveau de la demande, sur cette même période? Du 1er avril au 30 juin 2015, 1557 demandes d’emploi ont été enregistrées par les services d’intermédiation sur toute l’étendue du territoire. Vous l’aurez compris, il y a un énorme écart entre le nombre de demandeurs d’emploi et le nombre d’emplois créés.
Renforcer l’existant…
Concernant les chiffres, il faut avoir à l’esprit qu’environ 100 000 nouveaux jeunes se présentent chaque année sur le marché de l’emploi et viennent grossir le nombre assez important de jeunes non occupés estimés à ce jour à plus d’un million. Au-delà de ce premier constat, force est de reconnaître également que le jeune Malien en quête d’emploi est plus confronté au phénomène du sous-emploi qu’au chômage. Selon un spécialiste « le chômage se définit comme une situation d’un demandeur d’emploi à même d’être actif mais faisant aucune activité lui procurant des revenus nécessaires à sa survie. Quant au sous-emploi, c’est la situation d’un jeune travaillant soit dans un secteur ne répondant pas à son profil (juriste travaillant comme serveur) soit en deçà des heures minimales légales exigées 173,33 heures par mois ». Cet autre aspect de la problématique commande à l’actuel régime de travailler à renforcer les structures en vue d’offrir des emplois durables ; au lieu de s’auto-satisfaire avec des chiffres.
Les régimes précédents ont déjà posé les premiers jalons. Il s’agit du dispositif APEJ, et du Programme emploi jeune (PEJ), programme quinquennal destiné à la promotion de l’emploi des jeunes. Ces dispositifs peuvent, selon Cheick Soumano, un expert en emploi jeune, être revus pour répondre efficacement aux besoins des jeunes. S’agissant du correctif à apporter au Fonds National pour l’Emploi des Jeunes (FNEJ), destiné au financement des initiatives de création d’emploi au profit des jeunes et doté de plus de 36 milliards F CFA sur la période 2011-2016. Le constat est qu’à cette date, le taux de mobilisation de ce fonds est très faible car atteignant difficilement les 10%. Donc, il y a lieu de revoir le mécanisme de mobilisation de ces fonds, commande l’expert.
Pour ce qui est du deuxième correctif, il devrait concerner la structure APEJ où son ancrage institutionnel doit être revu. De nos jours, elle relève du ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle. Or, la pratique a montré que la question de l’emploi des jeunes est une question essentiellement transversale.
Enfin, le dernier correctif met en avant la mise en place des programmes spéciaux d’insertion au profit de certaines couches défavorisées surtout des jeunes qui ne sont pas scolarisés ou qui sont alphabétisés en arabe. Ceci peut se traduire par la mise en place d’un bon dispositif de l’entrepreneuriat.
Par ailleurs, il faut également une meilleure connaissance du nombre des partants à la retraite pour une bonne lisibilité des besoins en termes de recrutement. À ce niveau, il est à déplorer que le contrôle physique (fait en grande pompe) ait fini en queue de poisson. Enfin, l’Etat doit mieux organiser le secteur informel qui constitue un « dépotoir » où tous les jeunes chômeurs ont trouvé refuge.
L’Etat est interpellé et se doit d’intervenir en toute responsabilité. Autrement, IBK aura fini de convaincre de son incapacité sur cette question, aussi délicate que la sécurisation du pays.
Issa B Dembélé
source : L Aube