Il prendra ses fonctions le 15 juin pour un mandat de neuf ans, et succédera à la magistrate gambienne, Fatou Bensouda.
La fumée blanche est enfin sortie de l’Assemblée des 123 États parties à la Cour pénale internationale (CPI), réunie à New York ce 12 février. Le Britannique Karim Khan, actuel chef de l’enquête de l’ONU sur les crimes de Daech en Irak, a été élu par 72 voix au second tour de scrutin. Il succèdera à la magistrate gambienne Fatou Bensouda, qui quittera la Cour le 15 juin.
Le premier procureur, l’Argentin Luis Moreno Ocampo, avait été élu en 2003 dans l’idée d’amadouer les Américains avec l’espoir illusoire qu’ils adhèrent un jour à cette Cour. Son adjointe, Fatou Bensouda, lui avait succédé dans l’objectif de réconcilier les Africains, fustigeant une juridiction devenue, selon eux, l’instrument de politiques de changements de régime. Le troisième procureur de la Cour, fondée par traité en 1998 et établie à La Haye quatre ans plus tard, devra être celui de « la réforme ».
Car le bilan de ses deux prédécesseurs frôle désormais, pour les États, et notamment ceux qui paient l’addition, l’inacceptable. Seules cinq condamnations ont été prononcées en dix-huit ans tandis que de nombreux dossiers se sont soldés par des non-lieux ou des acquittements. Au-delà des statistiques, un audit de 350 pages conclu en septembre dresse un bilan sévère de la Cour et de la politique pénale des deux premiers procureurs.
Karim Khan devra donc réformer, renouveler ses équipes, rebâtir des stratégies d’enquêtes et de poursuites et créer de nouveaux rapports de coopération avec les États. Il prendra la tête d’un bureau de plus de 300 enquêteurs, analystes, procureurs, doté d’un budget de quelques 50 millions d’euros.
Des enquêtes dans plus d’une dizaine de pays
Lorsqu’il prendra ses fonctions, le nouveau procureur trouvera sur son bureau des dossiers d’enquêtes ouvertes dans plus d’une dizaine de pays, dont celles, les plus sensibles, sur l’Afghanistan et la Palestine pour lesquelles Fatou Bensouda fait l’objet de sanctions de l’administration Trump et que l’administration Biden n’a toujours pas levées. Au cours de la campagne, le Britannique a énoncé quelques lignes directrices de ses choix à venir. Karim Khan entend rapprocher la Cour des principaux intéressés, le plus souvent des survivants, favoriser des procès proches des sites de crimes et impliquer les ressortissants des pays sous enquête.
À 50 ans, le très charismatique avocat compte 23 ans de carrière dans la justice internationale. D’abord conseiller juridique du procureur au sein des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et le Rwanda, il a ensuite plaidé, pour la défense ou les victimes, sur les bancs des tribunaux pour la Sierra Leone, le Timor oriental, le Kosovo, le Cambodge, le Liban, etc. À la CPI, il a défendu avec succès le vice-président du Kenya William Ruto, le rebelle soudanais Idriss Abou Garda, et pour quelques mois, Saïf Al-Islam Kadhafi. Dans les salles d’audience, ses plaidoiries claquent, comme lorsqu’il plaidait le non-lieu en faveur de William Ruto. L’avocat parle vite, comme tous les passionnés, et emporte les succès. À l’aube des neuf années à venir, son élection à la tête du bureau du procureur aura été une véritable bataille.
Une campagne de deux ans
Le processus électoral aura duré presque deux ans. Karim Khan l’a finalement emporté face à l’avocat irlandais Fergal Gaynor, l’Espagnol Carlos Castresana et le procureur de Palerme, Francesco Lo Voi. Le Britannique, de père pakistanais, aurait dû être désigné par acclamation le 8 février, mais à 15 minutes du gong final, l’Espagne a rompu le consensus et avancé son candidat, forçant ainsi les États parties à procéder au vote. Un choix qui alors interroge car Carlos Castresana n’est soutenu que par une dizaine de pays. « Un coup d’État ! », commentent donc tour à tour un juriste et un diplomate. Ce coup de théâtre est le énième d’une rude bataille, débutée en octobre 2019. Quatre-vingt neufs candidats prenaient la ligne de départ.
Pour dépolitiser l’élection, les États avaient mis sur pied un Comité censé sélectionner les plus qualifiés. Mais sans craindre l’absurde, ils ont nommé des diplomates plutôt que faire appel à d’anciens procureurs internationaux, plus qualifiés pour évaluer les compétences des candidats. Dès le départ, des ONG, dont au premier chef Open Society, entreprennent un intense lobbying, exigeant une procédure de contrôle serrée destinée à garantir la « haute moralité » des candidats. Les problèmes de gouvernance de la Cour émaillent son histoire. L’initiative est donc salutaire et partout saluée.
Mais au fil du processus, Open Society utilise cette procédure de contrôle pour freiner ou accélérer le processus, en faveur, semble-t-il, du candidat Gaynor. « Les organisations de la société civile jouent un rôle sans précédent dans ce processus électoral de la CPI » regrette, dans un courrier de septembre 2020, Gunnar Ekeløve-Slydal, du Comité Helsinki Norvège, qui les invite à « prendre du recul ». Depuis New York, un administrateur de la Cour estime que « les ONG ont joué un drôle de jeu dans cette histoire ». Elles sortiront indéniablement divisées de ces deux années électorales.
Le veau d’or
Cette campagne aura été émaillée de rumeurs et d’accusations anonymes. Dans la dernière ligne droite, les partisans de Fergal Gaynor ont mobilisé des moyens considérables, dénoncés par les soutiens de Karim Khan comme une véritable « campagne de dénigrement ». Car au lieu de vanter les qualités de l’Irlandais, ses partisans, comme l’ancien ambassadeur américain Stephen Rapp, membre du bureau de la Commission pour la justice et la responsabilité (CIJA), une ONG où a longtemps travaillé Fergal Gaynor, décident de salir Karim Khan.
Cette campagne aura en grande partie délaissé les questions de fonds et d’avenir de la Cour pénale internationale, pour se concentrer sur les carrières des uns et des autres. Avec la création de la CPI, une multitude de fondations, de consultants ou d’entreprises privées, ont émergé et gravitent autour d’elle, multipliant les risques de conflits d’intérêt, et suscitant des guerres de tranchées d’autant plus agressives que l’industrie de la paix est un marché étroit. Il y a des risques à laisser la CPI « devenir le veau d’or autour duquel quelques individus dansent à la recherche d’un poste ou d’une promotion », écrivait d’ailleurs récemment le professeur norvégien Morten Bergsmo.
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