La révolte des militaires à Kati et Bamako a abouti au renversement du président Ibrahim Boubacar Keïta. Les auteurs du coup d’État annoncent une Transition et la tenue d’élections
L’histoire s’est répétée ce mardi 18 août 2020 dans notre pays. Comme le 22 mars 2012, une mutinerie au camp Soundjata de Kati, le plus important du pays, se termine par un coup d’État. Les événements du mardi ont conduit à l’arrestation du chef de l’État, suivie de sa démission.
Il faut dire que la journée du mardi a été longue pour les habitants de la ville garnison tirés dans leur sommeil par les coups de feu. Au même moment à Bamako, des tirs de sommation étaient entendus dans le camp de la Garde nationale à N’Tomikorobougou. Rapidement, la nouvelle de l’arrestation du nouveau ministre de l’Économie et des Finances, Abdoulaye Daffé, par des hommes en tenue militaire, a fait le tour des réseaux sociaux.
Les événements s’enchaînèrent rapidement mais aucune information précise n’était disponible ni du côté des mutins ni du côté des autorités. Dans la confusion générale, les rumeurs alimentaient les réseaux sociaux sur lesquels on pouvait apprendre tout et son contraire. Les soutiens des autorités et ceux des mutins s’en donnaient à cœur joie pour diffuser des informations contradictoires. D’un côté, on tentait de faire croire que la situation était sous contrôle. De l’autre, on assurait que le coup d’État était en marche et que des ministres, des présidents d’institutions et des officiers supérieurs de l’Armée étaient déjà arrêtés.
LA PANIQUE
Alors que les coups de feu retentissent toujours dans les deux camps militaires, la panique s’est emparée de la population. Les services publics situés au centre-ville sont évacués. Très vite, la Cité administrative où se trouvent les bureaux du Premier ministre et la plupart des ministères se vide. Le personnel de l’Agence malienne de presse et de publicité (AMAP) est invité à quitter les bureaux. Tout comme une bonne partie des agents de l’Office de radio et télévision du Mali (ORTM). Les banques, les stations service et d’autres établissements cessent également leurs activités. Les commerçants du Grand marché baissent leurs rideaux de fer par crainte de pillages.
À 10 heures, les Maliens ne savaient pas toujours ce qui se passait réellement dans leur pays déjà fragilisé par l’insécurité, la crise sanitaire et la crise sociopolitique. Les principaux accès du Camp militaire de Kati ayant été verrouillés par les mutins, aucune information ne filtrait. Joint par téléphone aux environs de 10h30, un militaire retranché dans le camp dit ceci : «Les hommes sont en mouvement. Ils ont dévalisé les magasins d’armements et de munitions. Tout est fait dans le désordre. La situation est grave». Un autre militaire subalterne que nous avons contacté donne un peu plus de détail. «La mutinerie a été déclenchée par le colonel Malick Diaw, commandant adjoint de la zone militaire de Kati et ses hommes. Ils sont vraiment très déterminés», révèle notre interlocuteur.
Vers midi, un habitant de Kati annonce avoir appris l’arrestation par les mutins du général Moustapha Drabo, directeur du matériel, des hydrocarbures et du transport des Armées. «Il a été arrêté et emmené au poste de commandement des mutins parce qu’il a refusé que le matériel soit pris dans les magasins. Il est avec les autres personnes arrêtées, notamment des ministres», assure notre source.
SOUTIEN AUX MUTINS
À Bamako, des manifestants, pour la plupart des jeunes, investissent la place de l’Indépendance pour apporter leur soutien aux militaires. «Nous avons tant souffert. Il est temps d’en finir avec le régime d’IBK», clame une femme. «Nous sommes l’avenir de ce pays. Rien ne va au Mali, c’est pourquoi nous sommes sortis pour soutenir l’action des militaires», renchérit un jeune garçon sur sa moto. Dans le cafouillage, des badauds en profitent pour piller et incendier l’immeuble du ministre en charge de la Justice, situé à quelques pas du boulevard de l’Indépendance. Son domicile à Titibougou a aussi été visité par les pilleurs.
C’est dans l’après-midi que les frondeurs du camp de Kati s’organisent pour faire mouvement vers Bamako. À bord de blindés et des pick-up, des dizaines de militaires lourdement armés se dirigent vers le domicile du chef de l’État à Sébénicoro. En cours de route, beaucoup de Bamakois se joignent au cortège pour réclamer le départ du président de la République. Selon nos informations, les éléments de la garde présidentielle n’opposent aucune résistance aux mutins arrivés sur les lieux. Aux environs de 16 heures 30, le président Ibrahim Boubacar Keïta, en boubou blanc, monte dans un véhicule 4X4 noir.
Le Premier ministre Boubou Cissé embarque dans un autre véhicule de couleur blanche. Ensuite, le cortège se dirige vers le camp militaire de Kati sous les applaudissements et les cris de joie des Bamakois. Certains n’en revenaient pas de vivre directement ce moment historique.
Le cortège emprunte la route de Samé, actuellement en très mauvais état, pour regagner le camp Soundjata à l’entrée duquel des militaires ont engagé des tirs en l’air comme pour dire que la mission est accomplie.
DÉMISSION DU PRÉSIDENT
Entre les mains des mutins, le président Ibrahim Boubacar Keïta signe sa lettre de démission avant de faire une déclaration qui sera diffusée aux environs de minuit sur la télévision nationale. «…Je voudrais, en ce moment précis tout en remerciant le peuple Malien pour son accompagnement le long de ces longues années, la chaleur de son affection, vous dire ma décision de quitter mes fonctions, toutes mes fonctions à partir de ce moment, et avec toutes les conséquences de droit, la dissolution de l’Assemblée nationale et celle du gouvernement», déclare-t-il. Sur les réseaux sociaux, certains Maliens avouent avoir eu des larmes aux yeux en écoutant cette déclaration de celui qu’on appellera désormais ex-président de la République du Mali. Tandis que d’autres affichent leur joie de voir, d’après eux, IBK sortir de cette manière.
DÉCLARATION DU CNSP
Très tard dans la nuit, les auteurs du coup d’État, par la voix de leur porte-parole, le colonel-major Ismaël Wagué, chef d’état-major adjoint de l’armée de l’air, appellent à une transition politique civile conduisant à des élections et annoncent la création d’un Comité national pour le salut du peuple (CNSP).
Ils instaurent un couvre-feu et ferment les frontières aériennes et terrestres depuis hier mercredi. En outre, les auteurs du coup d’État assurent que tous les accords internationaux seront bien respectés, avant de préciser que la Minusma et la force Barkhane «demeurent des partenaires pour la restauration de la stabilité».
Madiba KEITA
Source : L’ESSOR