Les deux hommes se sont rencontrés à Bruxelles, en vue de l’élection présidentielle de 2020. Leur objectif commun : faire chuter l’actuel chef de l’Etat, Alassane Ouattara.
Aucune photo n’est venue immortaliser la rencontre, qui s’est tenue lundi 29 juillet à Bruxelles, et les entourages respectifs ont insisté avant tout sur le caractère « fraternel » de ces retrouvailles. « Dans la logique africaine, c’est au petit frère de rendre visite à son aîné. Cette tradition ne pouvant être respectée du fait des obligations judiciaires du président Gbagbo, Henri Konan Bédié a donc émis le souhait de venir le voir », relate Me Habiba Touré, l’une des avocates de Laurent Gbagbo, tout en expliquant que son client « n’avait aucune réticence à retrouver son grand frère car, depuis sa remise en liberté conditionnelle [par la Cour pénale internationale (CPI), le 1er février],il reçoit beaucoup de monde dans une logique de réconciliation. »
Le ton est tout aussi courtois dans la délégation de M. Konan Bédié (1993-1999), partie la veille de Paris, où l’on signale, pour renforcer l’idée de cette nouvelle proximité, que les deux ex-chefs de l’Etat de Côte d’Ivoire étaient accompagnés de leurs épouses respectives. La rencontre a duré environ deux heures, le tête-à-tête à huis clos une trentaine de minutes. « Quand ils en sont sortis, on a retrouvé deux frères », se félicite Pierre Narcisse N’Dri Kouadio, le directeur de cabinet de M. Konan Bédié.
Si un rapprochement est engagé depuis plusieurs mois entre le Front populaire ivoirien (FPI) fondé par Laurent Gbagbo et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) de Henri Konan Bédié, il y a aussi entre ces deux figures centrales de la vie politique locale des trente dernières années de vieux contentieux à régler. Il fut en effet un temps pas si lointain où Laurent Gbagbo, l’opposant rompu à la prison et à l’exil, ne cachait pas son peu d’estime pour celui qui n’avait eu qu’à hériter du pouvoir légué par le père de l’indépendance, Félix Houphouët-Boigny. Pour sa part, M. Konan Bédié ne manquait pas de déclarer Laurent Gbagbo « indigne » de sa fonction lorsque ce dernier était aux commandes de la Côte d’Ivoire, entre 2000 et 2011.
« Réconciliation internationale »
Comme il se doit en politique, la sincérité de cette nouvelle amitié est questionnable. Cependant, elle s’appuie sur un socle qui pourrait lui donner davantage de solidité. Sous le couvert d’une recherche de la « réconciliation nationale », les deux hommes poursuivent, a priori, le même objectif pour l’élection prévue à l’automne 2020 : faire chuter Alassane Ouattara ou celui qu’il désignera comme son successeur sur le fauteuil présidentiel. Dans leur communiqué commun, préparé à la veille de leur rencontre, les deux anciens présidents ne nomment à aucun moment l’actuel chef de l’Etat mais accablent sa politique. Ils déplorent ainsi « les atteintes portées aux acquis démocratiques et à l’Etat de droit », appellent à « la libération de tous les prisonniers politiques » ou à « une réforme profonde de la Commission électorale indépendante », dont la nouvelle formule est contestée par toutes les forces d’opposition.
FPI et PDCI sont encore loin d’avoir scellé une union en vue de la prochaine présidentielle. Les deux partis sont soumis à des divisions internes soutenues par le pouvoir en place, et les patrons respectifs des deux formations n’ont pas encore fait connaître leur intention pour 2020. En attendant, une chose est sûre : leur nouvelle entente se construit avant tout contre Alassane Ouattara.
Laurent Gbagbo reste, selon son avocate, « concentré sur sa procédure et les futures échéances judiciaires » – la procureure de la CPI a jusqu’au 16 septembre pour faire appel, à la suite de l’acquittement de crimes contre l’humanité prononcé en première instance en janvier. Mais nul doute que la tentative de coup d’Etat du 19 septembre 2002, derrière laquelle il a régulièrement affirmé que se cachait la main de M. Ouattara, son transfert devant la justice internationale après huit mois de détention en Côte d’Ivoire ou le maintien en détention de certains de ses proches demeurent pour lui des motifs de récrimination contre celui qui l’a chassé du palais présidentiel en avril 2011.
Henri Konan Bédié, 85 ans aujourd’hui, attendait pour sa part qu’Alassane Ouattara lui permette de retrouver la fonction qu’il avait fuie dans la précipitation un jour de réveillon de Noël 1999, lorsqu’un groupe de soldats en colère avait pris les rues d’Abidjan et lui, un vol pour Paris. Après s’être rangé en 2010 puis en 2015 derrière celui avec lequel il s’était allié après des années de rivalité féroce, « le Sphinx de Daoukro » escomptait qu’en 2020, l’actuel président le laisse concourir pour le compte de leur alliance politique ou, au moins, pour désigner son candidat. En vain. Depuis, la rupture est consommée entre les deux hommes et Henri Konan Bédié a entrepris un travail de séduction auprès du FPI, bien conscient que l’arithmétique politique ivoirienne a jusqu’ici reposé sur une équation simple : dans un jeu où s’opposent trois grands partis, on gagne à deux et l’on perd seul.
Du côté du pouvoir, on moque cette nouvelle alliance « sans projet politique », « ces politiques qui veulent artificiellement créer un sentiment de crise pour justifier une probable absence à une élection où ils se savent battus ». Plus inquiet, un observateur s’interroge sur les conséquences d’une union PDCI-FPI qui, du fait de la base régionale de chaque parti, « reconfigurerait une séparation Nord-Sud ». Celle-ci pourrait permettre au pouvoir de remobiliser ses bastions du nord face à la crainte d’une défaite électorale, mais elle rappellerait aussi que les démons ivoiriens de la division n’ont pas disparu.