Le Premier ministre ivoirien, fidèle d’Alassane Ouattara depuis 30 ans, est désormais en première ligne pour la présidentielle de 2020.
Le président ivoirien, Alassane Ouattara, qui a annoncé il y a tout juste une semaine qu’il n’était pas candidat à sa propre succession comme chef de l’État, n’a pas perdu de temps et compte bien garder encore la main. Jeudi 12 mars au soir, à l’issue d’un conseil politique extraordinaire du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), incluant son parti, le RDR, des transfuges du PDCI de Henri Konan Bédié et d’autres, Alassane Ouattara a ouvert la voie à Amadou Gon Coulibaly, qui apparaît comme son successeur désigné lors d’une cérémonie à l’hôtel Ivoire, à Abidjan.
Un plébiscite pour Amadou Gon Coulibaly
Ce qui devait être une séance d’explication entre le président et les militants sur son choix de ne pas briguer un troisième mandat s’est transformé en un véritable plébiscite pour l’actuel Premier ministre. « Amadou Gon Coulibaly est plus qu’un collaborateur pour moi, c’est un fils », a déclaré le président ivoirien. « Je vous exhorte à poursuivre cette dynamique dans l’union et la démocratie en espérant que vous porterez votre choix sur un bon chef d’équipe qui fera mieux que Alassane Ouattara et je serai là pour soutenir cette personne », a insisté le président ivoirien. Comme un air de campagne électorale avant l’heure, le président Ouattara a dit relever « une écrasante majorité de proposer Amadou Gon Coulibaly comme candidat du RHDP et l’unanimité ». Mais qui est Amadou Gon Coulibaly, ce fidèle d’Alassane Ouattara dont le nom revenait avec insistance depuis plusieurs mois ? « Le conseil politique du RHDP (Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix) m’a désigné, à l’unanimité, comme le candidat du parti à l’élection présidentielle d’octobre 2020. Je mesure l’ampleur de la responsabilité et l’ampleur de la charge », a-t-il affirmé dans sa toute première allocution en tant que candidat.
Un homme du sérail, technocrate et fidèle
Âgé de 61 ans, Premier ministre depuis 2017, il a accompli toute sa carrière dans l’ombre du président Ouattara, dont il est un des proches et dont il a la confiance. « Cela fait trente ans que j’apprends aux côtés du président Alassane Ouattara », a-t-il expliqué. Il a été le secrétaire général de la présidence de la République, de l’arrivée au pouvoir de Ouattara jusqu’à sa nomination comme Premier ministre. Ancien haut fonctionnaire et ancien ministre de l’Agriculture, il a été formé en France et, comme son mentor, maîtrise bien les circuits financiers internationaux.
Père de cinq enfants, Amadou Gon Coulibaly, issu d’une grande famille de Korhogo, capitale du pays sénoufo dans le nord de la Côte d’Ivoire, est à ce titre très influent chez les chefs traditionnels. Dans les années 1940, son arrière-grand-père Péléforo Gbon Coulibaly était le chef suprême des Sénoufos et proche de celui qui deviendra le futur premier président de la Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny. C’est donc tout naturellement que les générations suivantes ont suivi la route tracée par le « vieux ». Son père, appelé Gon Coulibaly, était député dans le Nord et le représentant de l’aile houphoüettiste au sein du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) de 1960 à sa mort, en 1990. Amadou Gon, comme on l’appelle en Côte d’Ivoire, prend quelques libertés avec cette tradition familiale après de nombreux déchirements en interne. Il n’est pas rare de voir des membres de la famille, souvent des cousins, s’affronter lors des scrutins locaux. Gon Coulibaly choisit le Rassemblement des républicains (RDR, né d’une scission avec le PDCI), dont il deviendra le secrétaire général adjoint. Pourquoi ? Parce que l’ancien Premier ministre de Houphouët-Boigny, Alassane Dramane Ouattara, en est le chef de file et qu’ils ont déjà eu à travailler ensemble lorsqu’il était conseiller technique chargé du suivi des programmes d’ajustement sectoriel, des entreprises publiques ainsi que des grands projets d’investissements. Depuis, les deux hommes ont tout traversé ensemble : la guerre, les pressions, les séjours en prison avant leur retour en grâce.
Maire de Korhogo de 2001 à 2018, Amadou Gon Coulibaly sait tout le poids qu’il peut avoir dans cette région, dont un autre candidat déjà déclaré, Guillaume Soro, est aussi originaire. « J’ai lancé un appel à toutes mes sœurs et à tous mes frères pour que nous soyons unis. Nous devons gagner ces élections au premier tour ! » a-t-il déclaré. En tout cas, il peut déjà compter sur le soutien de la majorité des membres du gouvernement. Le ministre d’État, ministre de la Défense, Ahmed Bakayoko, emboîtant le pas au chef de l’État, a estimé que son parti doit rester un bloc uni en RHDP. « Pour moi, après Alassane Ouattara, c’est Amadou Gon Coulibaly qui peut diriger cette équipe », a déclaré le ministre d’État, ajoutant : « Il est le mieux placé pour assurer la relève. » Le secrétaire général de la présidence, Patrick Achi, ne dit pas autre chose : « Notre souhait, M. le Président, c’est d’accepter que le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly soit notre candidat (…), c’est un homme compétent et affirmé. » « Nous avons l’obligation de réussir, pour cela nous devons préserver les acquis du président Alassane Ouattara », a soutenu le président du Sénat, Jeannot Ahoussou Kouadio.
Un candidat sans charisme ?
Seule ombre au tableau, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Abdallah Toikeusse Mabri, s’est voulu réservé, lui qui n’a jamais caché son ambition présidentielle. « Je suis un homme de conviction et je préfère dire ce que je pense. Monsieur le Président, vous êtes le fils du président Félix Houphouët-Boigny, qui nous a enseigné le dialogue. Nous nous appuierons sur le dialogue pour régler nos divergences. Ne prenons pas des engagements d’une heure dans une salle qui par la suite ne refléteront pas la réalité sur le terrain. Faites donc comme Félix Houphouët-Boigny. Travaillez à nous mettre en équipe », a-t-il nuancé. Comme lui, plusieurs cadres du RHDP ou des membres de la majorité présidentielle s’étaient montrés sceptiques quant à la candidature de Gon Coulibaly avant cette désignation officielle. Dans les rangs du RHDP, certains estimaient avant le bureau politique sous le couvert de l’anonymat : « Gon n’est pas charismatique. Il est cassant. Il est clivant au sein de notre camp. C’est un grand travailleur, un excellent ministre ou Premier ministre, mais ce n’est pas un bon candidat. » Avec cette désignation sans vote et très rapide, Alassane Ouattara a « sûrement voulu couper l’herbe sous le pied » de ceux qui auraient voulu contrer Gon, estime un observateur avisé de la vie politique ivoirienne cité par l’AFP. Dans l’opposition, on a balayé de la main cette annonce. Assoa Adou, un proche de l’ancien président Laurent Gbagbo, a parlé d’un « non-événement » et d’« une mise en scène » visant « à pérenniser un système ». Dans tous les cas, le candidat du RHDP pour la présidentielle d’octobre 2020 devrait être investi en « juin-juillet » 2020.
Par Le Point Afrique