Neuf ans d’un long silence médiatique. Et cette interview que personne n’attendait. « Dans ce combat qui se mène aujourd’hui autour du 3e mandat, je suis, moi Laurent Gbagbo, ancien chef d’Etat, ancien prisonnier de la CPI, je suis résolument du côté de l’opposition. Je suis résolument dans l’opposition à la pratique du 3e mandat. Mais je dis, vu mon expérience, qu’il faut négocier. » Pour son retour en politique, Gbagbo a décidé de se placer au-dessus des tensions en cours. Il affiche la figure du sage sorti de l’épreuve de la prison.
Laurent Gbagbo dissipe d’abord toute ambiguïté sur son positionnement politique. Alors qu’on parle beaucoup de son retour en Côte d’Ivoire, il rappelle à tous ceux qui auraient pu s’interroger sur ses relations avec le pouvoir qu’il est bel et bien opposant. La colère des anti-troisième mandat ? « Je la comprends, dit-il, et je la partage ». La faute dans les tensions actuelles ? Elle incombe, explique-t-il, au chef de l’Etat Alassane Ouattara. « Les autres, dit-il, qui se révoltent parce que leur bien commun, la Constitution, a été déchiré, on ne peut pas leur imputer la même faute qu’à lui. »
Selon l’analyste politique Sylvain N’Guessan, qui dirige l’Institut de stratégie d’Abidjan, cette mise au point est « la bienvenue dans son camp » : « Depuis un certain temps, des rumeurs ont circulé sur le fait qu’il pourrait y avoir eu des échanges en vue d’une non-participation de M. Laurent Gbagbo au jeu politique pour éventuellement un retour en Côte d’Ivoire après la présidentielle. Je pense que M. Laurent Gbagbo essaie de rassurer son camp qu’il est toujours avec eux, qu’il demeure le capitaine, il joue toujours son rôle de leader du FPI et donc de l’opposition ».
Résolument dans l’opposition, Laurent Gbagbo porte dans cette interview quelques coups au pouvoir en place, en se positionnant comme le gardien du droit. Un positionnement d’autant plus pratique à adopter qu’il est resté, par contrainte, en retrait du jeu politique ivoirien de ces dernières années. « L’un des problèmes politiques en Afrique, explique l’ancien professeur, c’est qu’on écrit des textes sans y croire. On écrit dans la Constitution que le nombre de mandats est limité à deux. Pourquoi veut-on faire un troisième mandat ? »
L’ancien président invoque notamment le droit dans deux affaires qui le concernent : celle de sa candidature et celle du passeport qui tarde à lui être remis pour un retour en Côte d’Ivoire. Sur sa candidature, et la candidature d’ailleurs des 39 autres candidats exclus de la compétition, il parle de comportement « enfantin ». La non-remise de son passeport est décrite, elle, comme une « mauvaise manière », une règle non respectée.
Symbolique religieuse
« C’est comme une résurrection politique, analyse Arsène Brice Bado, enseignant-chercheur au CERAP, le Centre de recherche et d’action pour la paix d’Abidjan, parce que depuis longtemps ses partisans attendaient qu’il parle. Il prend la parole en invoquant sa responsabilité pour la paix en Côte d’Ivoire et appelle à une reprise du dialogue politique. »
Selon le chercheur en sciences politiques de l’université de Bouaké, Ousmane Zina, les propos de Laurent Gbagbo ont même des résonnances religieuses : « Ce retour a quelque chose du retour de pèlerinage, explique l’universitaire, quelque chose de spirituel. Il revient avec le manteau de la pureté après son incarcération par la CPI, comme lavé de ses péchés. Et il fait en sorte que ce manteau de la pureté colle aux contradictions du moment ».
Le principal message de cette interview est en effet l’appel à la négociation pour éviter ce que l’ancien président décrit comme un « gouffre », une « catastrophe ». « C’est pour cela que je parle, explique Laurent Gbagbo, pour qu’on sache que je ne suis pas d’accord pour aller pieds et poings liés à la catastrophe. Pour qu’on sache que je dis qu’il y avait autre chose à faire. » Il interpelle alors les politiques ivoiriens comme le ferait un sage de retour dans une famille déchirée. « C’est la paix qui est menacée en Côte d’Ivoire, c’est ça qu’il faut négocier. Et pour cela, je les appelle tous à se rassembler, à s’asseoir ». Pour l’opposant, c’est au président Alassane Ouattara de faire le premier pas car, dit-il, « c’est par lui que la faute est venue, la faute de violer la Constitution ».
Bien qu’il brise le silence, Laurent Gbagbo s’est tu sur les éventuelles consignes à ses partisans. Il ne les a pas appelés à descendre dans la rue comme il l’avait fait en octobre 2000, les laissant tirer eux-mêmes les leçons de son double positionnement d’opposant et de défenseur du dialogue. Pour Ousmane Zina, cela fait partie d’un discours politique parfaitement maîtrisé : « Il sait tout d’abord que son procès n’est pas totalement terminé, qu’il est toujours en appel. Il ne pouvait donc pas prendre le risque de lancer un signal à ses partisans qui aurait pu se retourner contre lui… Ensuite, vu qu’il négocie son retour en Côte d’Ivoire, vu la solidité du pouvoir actuel, il aurait plus à perdre qu’à gagner d’une confrontation dans la rue. Enfin, quand bien même la stratégie de la rue aurait fonctionné, il n’aurait pas pu en tirer les fruits, puisqu’il est en exil. »
Sylvain Nguessan, estime, lui, que l’ancien président a mesuré les changements qui se sont produits en une décennie : « Les souvenirs de 2010-2011 sont encore vivaces dans les esprits. Donc prendre des risques dans les rues, je ne crois pas que ce soit la volonté de nombreux Ivoiriens aujourd’hui. À mon avis, la rue ne peut pas se mobiliser comme elle l’a fait dans les années 2010-2011. Je ne pense pas. Donc la négociation va être le meilleur moyen, dans un tel contexte, de trouver la solution idoine pour la Côte d’Ivoire post 31 octobre ».
Source: RFI
Laurent Gbagbo dissipe d’abord toute ambiguïté sur son positionnement politique. Alors qu’on parle beaucoup de son retour en Côte d’Ivoire, il rappelle à tous ceux qui auraient pu s’interroger sur ses relations avec le pouvoir qu’il est bel et bien opposant. La colère des anti-troisième mandat ? « Je la comprends, dit-il, et je la partage ». La faute dans les tensions actuelles ? Elle incombe, explique-t-il, au chef de l’Etat Alassane Ouattara. « Les autres, dit-il, qui se révoltent parce que leur bien commun, la Constitution, a été déchiré, on ne peut pas leur imputer la même faute qu’à lui. »
Selon l’analyste politique Sylvain N’Guessan, qui dirige l’Institut de stratégie d’Abidjan, cette mise au point est « la bienvenue dans son camp » : « Depuis un certain temps, des rumeurs ont circulé sur le fait qu’il pourrait y avoir eu des échanges en vue d’une non-participation de M. Laurent Gbagbo au jeu politique pour éventuellement un retour en Côte d’Ivoire après la présidentielle. Je pense que M. Laurent Gbagbo essaie de rassurer son camp qu’il est toujours avec eux, qu’il demeure le capitaine, il joue toujours son rôle de leader du FPI et donc de l’opposition ».
Résolument dans l’opposition, Laurent Gbagbo porte dans cette interview quelques coups au pouvoir en place, en se positionnant comme le gardien du droit. Un positionnement d’autant plus pratique à adopter qu’il est resté, par contrainte, en retrait du jeu politique ivoirien de ces dernières années. « L’un des problèmes politiques en Afrique, explique l’ancien professeur, c’est qu’on écrit des textes sans y croire. On écrit dans la Constitution que le nombre de mandats est limité à deux. Pourquoi veut-on faire un troisième mandat ? »
L’ancien président invoque notamment le droit dans deux affaires qui le concernent : celle de sa candidature et celle du passeport qui tarde à lui être remis pour un retour en Côte d’Ivoire. Sur sa candidature, et la candidature d’ailleurs des 39 autres candidats exclus de la compétition, il parle de comportement « enfantin ». La non-remise de son passeport est décrite, elle, comme une « mauvaise manière », une règle non respectée.
Symbolique religieuse
« C’est comme une résurrection politique, analyse Arsène Brice Bado, enseignant-chercheur au CERAP, le Centre de recherche et d’action pour la paix d’Abidjan, parce que depuis longtemps ses partisans attendaient qu’il parle. Il prend la parole en invoquant sa responsabilité pour la paix en Côte d’Ivoire et appelle à une reprise du dialogue politique. »
Selon le chercheur en sciences politiques de l’université de Bouaké, Ousmane Zina, les propos de Laurent Gbagbo ont même des résonnances religieuses : « Ce retour a quelque chose du retour de pèlerinage, explique l’universitaire, quelque chose de spirituel. Il revient avec le manteau de la pureté après son incarcération par la CPI, comme lavé de ses péchés. Et il fait en sorte que ce manteau de la pureté colle aux contradictions du moment ».
Le principal message de cette interview est en effet l’appel à la négociation pour éviter ce que l’ancien président décrit comme un « gouffre », une « catastrophe ». « C’est pour cela que je parle, explique Laurent Gbagbo, pour qu’on sache que je ne suis pas d’accord pour aller pieds et poings liés à la catastrophe. Pour qu’on sache que je dis qu’il y avait autre chose à faire. » Il interpelle alors les politiques ivoiriens comme le ferait un sage de retour dans une famille déchirée. « C’est la paix qui est menacée en Côte d’Ivoire, c’est ça qu’il faut négocier. Et pour cela, je les appelle tous à se rassembler, à s’asseoir ». Pour l’opposant, c’est au président Alassane Ouattara de faire le premier pas car, dit-il, « c’est par lui que la faute est venue, la faute de violer la Constitution ».
Bien qu’il brise le silence, Laurent Gbagbo s’est tu sur les éventuelles consignes à ses partisans. Il ne les a pas appelés à descendre dans la rue comme il l’avait fait en octobre 2000, les laissant tirer eux-mêmes les leçons de son double positionnement d’opposant et de défenseur du dialogue. Pour Ousmane Zina, cela fait partie d’un discours politique parfaitement maîtrisé : « Il sait tout d’abord que son procès n’est pas totalement terminé, qu’il est toujours en appel. Il ne pouvait donc pas prendre le risque de lancer un signal à ses partisans qui aurait pu se retourner contre lui… Ensuite, vu qu’il négocie son retour en Côte d’Ivoire, vu la solidité du pouvoir actuel, il aurait plus à perdre qu’à gagner d’une confrontation dans la rue. Enfin, quand bien même la stratégie de la rue aurait fonctionné, il n’aurait pas pu en tirer les fruits, puisqu’il est en exil. »
Sylvain Nguessan, estime, lui, que l’ancien président a mesuré les changements qui se sont produits en une décennie : « Les souvenirs de 2010-2011 sont encore vivaces dans les esprits. Donc prendre des risques dans les rues, je ne crois pas que ce soit la volonté de nombreux Ivoiriens aujourd’hui. À mon avis, la rue ne peut pas se mobiliser comme elle l’a fait dans les années 2010-2011. Je ne pense pas. Donc la négociation va être le meilleur moyen, dans un tel contexte, de trouver la solution idoine pour la Côte d’Ivoire post 31 octobre ».
Source: RFI