L’ancien Président de la Côte d’Ivoire, M. Laurent Gbagbo est certes en prison à La Haye, mais il reste toujours au contact de l’actualité de la Côte d’Ivoire et celle de l’Afrique. Lors d’une visite de son conseiller spécial M. Bernard Houdin à La Haye, il a évoqué le changement de cap amorcé par le président du Ghana M. Akufo-Addo, un de ses anciens pourfendeurs lors de la crise ivoirienne.
Laurent Gbagbo, ce qu’il dit du président ghanéen Akufo-Addo Akufo-Addo joue aujourd’hui à fond la carte du panafricanisme chère à Kwamé NKrumah, l’ancien Président ghanéen du 1er juillet 1960 – 24 février 1966. Le chef de l’État du pays voisin de la Côte d’Ivoire, ancien représentant de Kufuor dans les négociations de paix entre Laurent Gbagbo et les anciens rebelles, s’est de l’avis du détenu à La Haye complètement transformé.
C’est Bernard Houdin qui raconte une anecdote d’une de ses visites à Laurent Gbagbo dont il dit : « Laurent Gbagbo est la personne la plus extraordinaire que j’ai pu rencontrer dans ma vie. Après sept ans de détention, après tout ce qui s’est passé en Côté d’Ivoire, il fait preuve d’une résilience et d’une sérénité exceptionnelles. Il se projette déjà dans le futur. Pas pour lui, mais pour la Côte d’Ivoire. »
Poursuivant, Bernard Houdin évoque un échange avec l’ex-président ivoirien. “Je suis en prison depuis sept ans. Je regarde les informations à la télévision. Ce qui me fait plaisir, c’est de voir nos idées progresser en Afrique », lui aurait-il dit avant de lancer : « C’est une victoire. »
Bernard Houdin : Je lui ai demandé s’il pensait au président du Ghana qui avait prononcé un discours retentissant quelques jours plus tôt. Akufo-Addo avait notamment déclaré que les Africains devaient se prendre en charge, que l’aide extérieure n’allait pas leur permettre de s’en sortir et qu’ils devaient compter sur leurs propres forces.
Les confidences de Laurent Gbagbo sur Nana Akufo-Addo
Gbagbo m’a répondu : “Oui ! En plus, ce que tu ne sais pas, c’est que ce Nana Akufo-Addo était ministre des Affaires étrangères du président ghanéen Kufuor pendant la crise ivoirienne, au début des années 2000. Il venait à Abidjan pour des réunions de travail avec les autres membres du panel qui était censé nous trouver une sortie de crise. Autour de la table, Akufo-Addo était un des gars les plus virulents contre moi ! Aujourd’hui, il répète ce que je dis. C’est pour ça qu’on a gagné.”
Le président ghanéen avait affirmé entre deux yeux au président français Emmanuel Macron que les pays africains étaient matures et capables de se prendre en charge. Il prônait lors de cette cérémonie un discours qui rappelle plusieurs autres tenus par l’indépendantiste ex-président ghanéen Kwamé NKrumah.
Laurent Gbagbo qui s’inscrit dans la même philosophie sur l’avenir de l’Afrique pense avoir été enfin compris par Akufo-Addo, anciennement très proche du Président Alassane Ouattara.
La pression de Nana Akufo-Addo sur Laurent Gbagbo
Des pressions de Nana Akufo-Addo pour faire plier Laurent Gbagbo avaient été révélées par Wikileaks. L’actuel chef de l’État ghanéen avait confié au Département d’État américain que « Gbagbo doit parvenir à un accord avec Soro, Ouatarra, Bedie et d’autres », car selon lui : “Il n’y a pas d’options”.
Il avait adopté cette posture parce qu’il croyait que Laurent Gbagbo “essayait de manquer une réunion à Abuja où les personnalités engagées dans les négociations devaient délibérer sur la crise ivoirienne”.
Selon Nana Akufo-Addo, Gbagbo avait initialement accepté de participer à la réunion, mais avait changé d’avis suite à une invitation à voyager aux États-Unis. “Nous voulons savoir si Gbagbo joue avec nous”, avait demandé Nana Akufo-Addo à l’ambassadeur des États-Unis. Il souhaitait savoir si les États-Unis avaient ou non adressé une invitation au leader ivoirien aujourd’hui déchu.
L’Ambassadeur des États-Unis de l’époque lui aurait répondu qu’aucune réunion n’avait été organisée avec le Département d’État et que la visite dont parlait Gbagbo pourrait être une invitation des Nations Unies. Un Akufo-Addo, peu convaincu, aurait répliqué: “Kofi Annan est au courant de la réunion et veut Gbagbo à Abuja.”
Nana Akufo-Addo avait aussi déclaré à l’Ambassadeur qu’en ce qui concerne le Ghana, l’Accord de Linas-Marcoussis qui fixait les paramètres de la paix en Côte d’Ivoire ne serait soumis à aucune révision par la CEDEAO. “Il n’y aura pas de LMA2”, avait-il souligné dans ce câble révélé par Wikileaks.
Avec le procès de Laurent Gbagbo qui est en cours à la CPI, le monde entier s’est rendu compte de la complexité de la crise ivoirienne qui avait des ramifications externes, notamment en France où les dirigeants s’étaient précipités à arracher à Gbagbo le fameux accord de Linas-Marcoussis.
Nana Akufo-Addo se veut désormais opposé à l’ingérence occidentale en Afrique depuis qu’il a pris le pouvoir dans son pays. Il n’a d’ailleurs jamais inquiété les filles de Laurent Gbagbo qui s’étaient réfugiées au Ghana après la crise.
Mieux, il a même refusé à plusieurs reprises de livrer à la Côte d’Ivoire des officiers ivoiriens présents sur le sol ghanéen.
L’affaire du conflit entre le Ghana et la Côte d’Ivoire autour de champs pétroliers a aussi refroidi les relations entre Nana Akufo-Addo et Alassane Ouattara, les deux anciens bras droits.
La pique que le président du Ghana avait adressée à Emmanuel Macron, lors de sa visite au Ghana, avait justement été interprétée par certains analystes de l’actualité africaine comme un contre-pied à la politique d’ Alassane Ouatara, tourné vers l’endettement de la Côte d’Ivoire et la demande d’aide aux pays occidentaux.
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