Après la terreur, l’intronisation. Vendredi s’ouvre à Pyongyang le congrès du Parti des Travailleurs qui va consacrer le dictateur en digne héritier de son père.
L’histoire bégaie à Pyongyang. Le 10 octobre 1980, une foule de six mille officiels en uniforme applaudit à tout rompre les deux hommes en costume sombre qui montent à la tribune surplombée d’un immense drapeau rouge. « Manse ! Manse ! » rugit l’assistance bardée de médailles militaires. « Longue vie ! » Le fondateur du régime nord-coréen Kim Il-sung prononce un discours interminable de cinq heures à la gloire du « Juche », l’idéologie nationaliste autarcique qui lui permet d’affirmer sa différence dans le monde communiste. Mais le véritable clou du spectacle est ailleurs. Tous les regards se tournent vers le jeune homme de 36 ans assis au côté du « président éternel ». Le sens véritable de ce sixième congrès du Parti des travailleurs est l’adoubement de son fils Kim Jong-il comme successeur. Une consécration publique pour valider une irrésistible ascension en coulisse lancée sept années plus tôt, éliminant tour à tour les opposants de la vieille garde ulcérée par le tournant dynastique pris par un régime se réclamant du communisme.
Trente-six ans plus tard, le « dirigeant suprême » Kim Jong-un marche sur les traces de son père, reprenant à son profit l’aura dynastique léguée par son grand-père Kim Il-sung. Vendredi 6 mai s’ouvre à Pyongyang un nouveau congrès exceptionnel du Parti aux allures de sacre pour l’héritier de la « lignée du mont Paektu », du nom de cette montagne à l’origine de la nation coréenne où la propagande a opportunément fait naître Kim Jong-il. Presque cinq ans après la mort de ce dernier dans son train blindé, ce congrès marque la fin de la période de transition dynastique et l’entrée de plain-pied dans l’ère Kim Jong-un. Un pied de nez à tous les analystes qui prédisent depuis plus de vingt ans la chute du « dernier régime stalinien » de la planète.
Un habillage idéologique
L’événement, qui s’annonce haut en couleur, à coup de manifestations de masse, vise à signaler la mainmise totale sur l’appareil du jeune dirigeant âgé d’environ 33 ans. Comme son père avant lui, il a fait le « ménage » en purgeant ces dernières années les personnalités capables de lui tenir tête. L’exécution brutale de son oncle Jang Song-thaek, fin 2013, marque avec fracas la détermination du jeune dirigeant élevé en Suisse. Elle sera suivie de purges d’ampleur au sein du Parti et surtout de l’Armée populaire de Corée (APC), devenue un véritable État dans l’État, sous le règne de Kim Jong-il. Plus de la moitié des cadres du Parti auraient été renouvelés, plaçant des hommes « sûrs » devant tout au jeune « Maréchal ». Le chef de l’armée Ri Young-gil en personne aurait été exécuté au début de l’année, accusé de « factionnalisme », avancent plusieurs sources. Un chef d’accusation déjà utilisé dans les années 70 par Kim Jong-il pour éliminer ses rivaux. Car la transmission héréditaire ne va pas de soi dans un système qui se réclame du « marxisme-léninisme ». Le congrès du Parti doit offrir un habillage idéologique inscrivant la geste des Kim dans la marche irrésistible vers la « révolution ».
Pour s’affirmer, le jeune dirigeant s’inscrit dans la continuité de ses aïeux, puisant dans le charisme nationaliste de son grand-père, héros de la lutte pour la libération nationale contre le colonisateur japonais dans les années 40 et placé au pouvoir à Pyongyang par les Soviétiques, avant de leur échapper. D’où l’importance des grands rendez-vous orchestrés par la propagande. « Les rituels commémoratifs ne font qu’affirmer la perpétuité nationale, ils identifient celle-ci à une lignée, reportant le charisme du fondateur sur ses descendants, dépositaires de sa légitimité et, à ce titre, encensée pareillement puisqu’ils poursuivent son œuvre », analyse Philippe Pons dans son nouvel ouvrage Corée du Nord, un Étatguérilla en mutation(Gallimard), qui fera référence. Le roi est mort, vive le roi !
Provocations nucléaires
L’accélération du programme atomique, symbole de la volonté d’indépendance nationale tracée par son père, est donc le meilleur moyen pour le jeune Kim d’asseoir sa légitimité. Un facteur qui nourrit les spéculations sur un possible cinquième essai atomique à l’occasion du congrès. Ces dernières semaines, la Corée du Nord a conduit plusieurs tests, manqués, de missiles balistiques, indiquant sa volonté d’atteindre dès que possible son Graal : une force de frappe crédible, grâce à une ogive nucléaire montée sur un missile intercontinental capable de menacer les États-Unis. Une capacité dont se targue déjà la propagande, mais qui laisse sceptiques nombre d’experts occidentaux, qui notent néanmoins les progrès rapides du programme nord-coréen. La politique des sanctions orchestrée par Washington semble sans effet.
Par-delà les discours louangeurs à la gloire de Kim, les spécialistes scruteront toute inflexion indiquant une possible ouverture économique lors du congrès. Depuis son arrivée au pouvoir, l’héritier a mis sous le boisseau le Songun, la politique de « priorité à l’armée » décrétée par son père pour favoriser la ligne dite « byung jin », plaidant pour le développement en parallèle de l’arme nucléaire et de l’amélioration des conditions de vie.
Alors que la majorité des 23 millions de Nord-Coréens s’est de fait convertie à l’économie de marché pour survivre depuis la grande famine des années 90, le régime affirme vouloir relancer l’activité, suscitant les spéculations sur de possibles « réformes » sur le modèle de la Chine des années 80. Dans les rues de Pyongyang, les taxis, de petites boutiques et des embouteillages témoignent de l’élévation du niveau de vie dans cette capitale de privilégiés. Mais les experts cherchent toujours un signal de la volonté réelle de réforme d’un système dont l’emprise totalitaire est menacée par le retard économique. Un dilemme capital pour l’avenir d’un jeune dictateur isolé sur la scène diplomatique, et qui doit tester sans cesse la loyauté de ces nouvelles élites enrichies, à l’ombre d’un grand frère chinois, chaque jour plus ulcéré par ses incartades. L’ère Kim Jong-un ne fait que commencer…
Source: Le Point