Si nous prenons les conséquences pour les causes, une fois de plus, nous risquons de passer à côté de l’essentiel, c’est à dire le fond du problème.
C’est un euphémisme de dire que les maux (insécurité, mauvaise gouvernance, corruption et clientélisme, affaiblissement de l’Etat de droit , déficit de confiance des citoyens vis-à-vis de l’Etat , manque de justice sociale, crises scolaire et sanitaire, les mauvaises routes, flambée des prix tout ce que vous voulez et j’en passe ) qui assaillent ce pays sont nombreux et multiformes .
Cependant toutes ces crises découlent de l’absence de modèle socio-économique étatique adapté à nos réalités et garantissant un “équitable” partage de la richesse nationale avec plus de justice sociale et cela depuis l’indépendance. Nous nous sommes contentés « d’administrer » (simple occupation du terrain) au lieu de « gouverner » (prise en compte des véritables préoccupations des populations) .
Comme disait l’autre nous avons remplacé « le colon blanc par le colon noir ».
Aussi notre architecture institutionnelle telle que définie à la sortie de la Conférence nationale de 1991 n’a pas permis (presque 30 ans après) l’expression d’une réelle légitimité au profit des pouvoirs successifs qui pourtant bénéficient du fait de la loi de prérogatives immenses. Et cela tant dans la gestion des hommes que dans celle de la richesse nationale.
Ces deux facteurs principaux (parce qu’il y a en d’autres) combinés contribuent à décrédibiliser l’Etat aux yeux des citoyens qui du coup apparaît comme un prédateur et non protecteur.
Alors le malien de Tessalit en huitième région ne sentira plus cet Etat dans sa vie de tous les jours lui qui manque de tout et qui pour venir à Bamako mettra dix jours au moins. Même le manœuvre de Sougounikoura de Médine dans le district de Bamako (pourtant physiquement très proche du centre névralgique du pouvoir) ne perçoit la présence de l’Etat qu’à travers la répression dont il fait l’objet en longueur de journée par les agents de l’Etat.
Quelle perception d’ailleurs chacun de nous, en tant que usager, a de l’agent public tous secteurs confondus. Surement celle d’un prédateur prêt à bondir sur sa proie (l’usager) que nous sommes.
La manifestation la plus répandue de ce déficit de confiance des citoyens vis à vis de l’état réside dans le fait qu’à chaque fois qu’un malien (et cela qu’il soit allé à l’école ou pas) est amené à faire recours ou est convoqué (à) par l’administration (école, police, gendarmerie, justice, mairie, services des impôts et domaines, hôpital, EDM, SOMAGEP, ONT, etc…) son premier réflexe est de chercher et trouver qui il connaît là-bas. A défaut il faudra payer si tu n’as pas la chance de tomber sur les quelques rares agents consciencieux car il y a en tout de même. Comme s’il ne s’agissait pas d’un service public, comme s’il allait solliciter une faveur alors même qu’en tant que usager l’administration a le devoir de ne pas rompre le principe de l’égalité des citoyens devant la loi. Et il en est ainsi dans toutes nos interactions avec l’Etat.
Lentement, mais surement et progressivement nous avons perdu confiance en l’Etat qui devrait se manifester dans notre quotidien à travers les services sociaux de base (santé, école routes, sécurité etc.) .Une autre illustration de ce déficit de confiance est le recours pour ceux qui ont les moyens aux systèmes privés d’enseignement et de santé au détriment de ceux du public. Et cela concerne en premier lieu le leadership du pays qui ne jure d’ailleurs que par les établissements scolaires et sanitaires privés s’ils ne font pas carrément recours à l’extérieur pour ses besoins.
Quid de la justice socle de l’Etat de droit ? Elle semble être le cadet de nos soucis, alors même qu’elle devrait être le dernier rempart contre tous ces abus qui ne font que creuser malheureusement le fossé entre les gouvernants et les gouvernés
Si l’on ajoute à cela les agissements de certains agents publics véreux pourtant dépositaires de l’autorité publique on peut facilement expliquer la facilité avec laquelle des zones entières du pays échappent à notre contrôle non seulement par l’absence de maillage territorial militaire mais aussi et surtout ( j’insiste sur surtout ) par l’adhésion de certaines couches des populations locales à ce que les nouveaux acteurs ( groupes rebelles et GAT ) leur présentent comme alternative. Surtout que cette alternative offre l’illusion de plus de justice sociale facteur de stabilité. Alors cet état de fait brise tout encrage local, socle indispensable à la réussite de toute action de développement. Alors que pour nous ces groupes peuvent être sur les longs termes plus nocifs que l’Etat même décrié.
Or comme souligné plus haut, seul un pouvoir véritablement légitime ( et peut être juste aussi ) est à mesure de corriger ces insuffisances et nous doter d’un vrai modèle socio-économique avec le citoyen au cœur des priorités définies ensemble assurant une plus juste répartition des maigres richesses du pays. Un pouvoir susceptible d’être sanctionné par le peuple à travers de véritables élections.
A ce jour notre environnement institutionnel ne permet pas l’émergence d’un tel pouvoir.
Inutile de rappeler que de 1992 à nos jours le Mali n’a connu aucune alternance véritable. Tous les présidents élus de AOK à IBK étaient des candidats de l’appareil. Quand les autres pays jadis cités avec le Mali comme modèles démocratiques en Afrique (Sénégal et Benin) ont tous connu au moins deux alternances véritables avec des présidents sortants battus pendant ce temps.
Le Sénégal vient d’ailleurs de s’illustrer à nouveau en envoyant un signal clair au président Maky Sall, à travers les législatives de cette année 2022.
D’ailleurs notre taux de participation aux différentes élections historiquement bas n’est-il pas la conséquence de notre système électoral biaisé du début à la fin ? Ne venez pas me parler de la Cour constitutionnelle ou de l’Administration parce qu’elles ne sont que la partie visible de l’iceberg. C’est toute la chaîne qui est grippée depuis l’élaboration des textes législatifs régissant le domaine jusqu’à la proclamation des résultats en passant par le fichier électoral. Et au regard des nombreux remous ayant marqué l’adoption de la nouvelle loi électorale on peut se poser des questions sur la volonté réelle de sortir de ce guêpier.
C’est dire que vous avez des réglages à faire dans nos textes pour parvenir à faire refléter dans les résultats de nos élections la volonté réelle du peuple. Seul gage de stabilité du pays et de ses institutions.
Voilà brièvement notre cocktail national ayant entraîné ce qu’on a convenu d’appeler nos crises multiformes, mais qui trouvent toutes leur fondement dans nos mauvaises habitudes et des textes obsolètes et inadaptés à nos réalités de cette décennie naissante.
Il convient, dès lors, de trouver des solutions pour qu’ensemble nous puissions nous doter d’un véritable arsenal juridique avec à la clé un nouveau Contrat social plus juste.
Les foras tenus récemment étaient une étape importante dans cette quête de stabilité. Nous devons accentuer la pression sur les gouvernants pour aller vers l’application des autres résolutions sans malice aucun et en n’y apportant les corrections nécessaires.
L’Union sacrée des maliens autour de ces urgences est plus qu’une nécessité. Les équilibres très fragiles que nous avons ne nous autorisent à aucune dispersion d’énergies.
Le salut du pays est à ce prix et à ce prix seulement.
Salam.
Mahamadou Dianka, Juriste
Source: L’Informateur