Le vivre ensemble n’a jamais été aussi ébranlé au Mali. Depuis les événements de 2012, un climat de méfiance s’est installé un peu partout sur le territoire ouvrant la voie à des attaques sporadiques de campements peuls, dogons, bozos et de toutes autres ethnies au centre comme au nord. Malgré la bonne volonté de l’Etat et des partenaires internationaux pour instaurer la paix, la situation va de mal en pis. Pourtant, des mécanismes traditionnels de règlement de conflits et de promotion du vivre ensemble ont longtemps maintenus les liens chez nous. Il est temps de les réhabiliter.
« Au Mali, nous avons toujours vécu en harmonie. Notre histoire nous enseigne la paix et le vivre ensemble », assurent, depuis toujours, les gardiens de la tradition orale malienne, les griots. Malgré cela, avec les crises récurrentes, le tissu social national s’est déchiré et les mécanismes traditionnels de prévention, de gestion et de résolution des conflits semblent avoir laissé la place à la violence. Le constat qui se dégage, c’est qu’en l’absence de l’autorité de l’Etat, les communautés gèrent malheureusement leurs différends par la violence partout sur l’ensemble du territoire. En plus de la poussée jihadiste, l’Etat se trouve aujourd’hui submergé par des foyers de tension au plan social. Comme il en a été le cas tout récemment en pays Dogon, dans la région de Mopti.
Face à cette recrudescence de la violence, l’Etat doit chercher à redynamiser les mécanismes traditionnels de prévention, de gestions et de résolutions des conflits.
La pluralité humaine de notre pays, qu’on peut aisément constater par l’énumération des ethnies, est évidente. Mandingues, Peuls, Bambaras, Soninkés, Sonrais, Bozos, Miniankas, Sénoufos, Bwas, Dogons, Touaregs, Maures, Arabes… parlent chacun leur dialecte ou langue. De cette diversité sociologique résulte une occupation irrégulière et inégalitaire du territoire national (environ : 1 240 000 km2), entraînant des conflits ouverts ou latents.
Afin de pérenniser la paix et prévenir les conflits, les premiers fondateurs de l’Empire du Mali (1236) ont établi des moyens matériels et immatériels pour la paix mais aussi pour la stabilité de l’Empire, dont le Mali est l’héritier aujourd’hui.
Les valeurs qui s’attachent au dialogue, à la tolérance, l’hospitalité et à la non-violence sont les fondements des traditions maliennes. Les réunions des chefs de famille sous l’arbre à palabre, dirigées par le chef de village, faisaient souvent office de tribunal local, dont les décisions étaient souvent plus suivies que celles des autorités administratives et judiciaires. Ceci s’expliquait par le fait que lesdites décisions émanaient des villageois eux-mêmes ; parce qu’au conseil du village tout le monde occupait, selon son statut, le même rang.
Les moyens de résolution traditionnels
La tradition s’est plus appesantie sur la prévention que sur la résolution du conflit ouvert, comme le dit un proverbe bambara (la langue nationale la plus répandue au Mali) « bana kunben ka foussa ni bana foura kè » : Prévenir vaut mieux que guérir. Du coup, la recherche de la paix reposait sur les principes suivants : on cherchait à prévenir les conflits par des canaux de régulation sociale ou par des actions de médiation ou de communication. Le recours à la guerre était la dernière option pour faire cesser le conflit.
En effet, il est constant que les traditions maliennes ont plutôt une approche dynamique, communautariste et humaniste, fondée sur la solidarité et le « kelenya ». Ce concept malien traduit les mécanismes et règles qui permettent à l’homme de considérer son prochain comme lui-même et est différent du concept d’égalité et de fraternité à l’occidentale. Dudit concept, découlaient tous les mécanismes de prévention et de résolution des conflits au Mali, qui différent selon la communauté ou par le passé selon les royaumes ou les entités organisées (empires).
Il faut revaloriser les mariages inter claniques ou inter entités, renforcer les causeries à plaisanterie et remettre les griots dans leur rôle de médiateur.
Les sociétés maliennes à la base sont claniques. Pour les parties, les alliances constituent l’espoir de prévenir les conflits et de maintenir l’entente sociale ; c’est une sorte de contrat social pour la paix. Le mariage inter claniques ou inter entités forment des liens de sang qui réduiront les risques de conflits. Le « sanankuya » ou « cousinage à plaisanterie », « alliance à plaisanterie » ou même « fraternité à plaisanterie vexatoire », permettant de décrisper les rapports. La méthode donne à l’allié tous les pouvoirs de dire sans détour ni ménagement à l’autre allié tout ce que bon lui semble. En cas de conflit, le « frère à plaisanterie » peut user du pacte qui le lie à son frère pour lui faire entendre raison et le pacifier. Ainsi comme les entités (village, royaume) sont à majorité composée d’un même patronyme, la « fraternité à plaisanterie » peut contribuer à prévenir ou endiguer un conflit dans les sociétés traditionnelles.
Il faut donc faire intervenir les bozos pour désarmer les dogons et les noumous pour désarmer les Peuls.
Salimata Tangara
Source: Le Focus