Le Soudan du Sud marque samedi le 5e anniversaire de son indépendance. Mais de célébration, il n’y aura guère : l’accord de paix censé tourner la page d’une guerre civile dévastatrice ne tient qu’à un fil et la population n’a jamais eu aussi faim.
Plusieurs dizaines de milliers de personnes sont mortes depuis décembre 2013 et le début de la guerre civile qui a ravagé la plus jeune nation du monde et son économie, conduisant le gouvernement à annuler pour la première fois les festivités de l’indépendance.
L’International Crisis Group (ICG) a enjoint les Etats garants de l’accord de paix d’agir “de toute urgence” pour le sauver et ainsi “empêcher le pays de retomber dans un conflit à grande échelle”.
Les combats ont provoqué une crise humanitaire d’envergure, forçant deux millions d’habitants à fuir leurs foyers et quelque cinq millions, plus d’un tiers de la population, à dépendre d’une aide alimentaire d’urgence.
“Les conditions de vie n’ont jamais été aussi mauvaises au Soudan du Sud”, résume David Deng, un avocat spécialiste des droits de l’homme, énumérant une inflation galopante, des combats toujours en cours, la faim et le degré de défiance entre les parties au conflit.
“Si on ne redresse pas rapidement la situation, je crains que nous ne soyons confrontés à un conflit aussi dur que les 22 ans de guerre dont le pays est récemment sorti”, a-t-il averti, en référence à la guerre d’indépendance avec le Soudan.
Les prix des biens et services ont explosé depuis l’indépendance en 2011, avec une inflation (frisant) actuellement les 300% et une devise qui a perdu 90% de sa valeur cette année.
“Le fait que le gouvernement n’a même pas assez d’argent pour célébrer l’anniversaire (de l’indépendance, ndr) montre la magnitude des difficultés économiques”, relève James Alic Garang, un économiste au sein du groupe de réflexion Ebony Center installé à Juba, la capitale sud-soudanaise.
– ‘Nous souffrons ici’ –
Au terme d’une guerre civile qui a duré de 1983 et 2005, l’actuel Soudan du Sud a acquis son indépendance de Khartoum le 9 juillet 2011, dans la foulée d’un référendum.
Très vite, en décembre 2013, il a plongé dans une nouvelle guerre civile.
Le conflit a éclaté au sein de l’armée nationale, minée par des dissensions politico-ethniques alimentées par la rivalité entre le président Salva Kiir et son vice-président Riek Machar.
En avril, Riek Machar est rentré à Juba dans le cadre d’un accord de paix signé en août 2015 et a formé avec Salva Kiir un gouvernement d’union nationale. Mais sur le terrain, les hostilités se poursuivent.
Babikr Yawa, 31 ans et mère de trois enfants, a fui les combats le mois dernier dans le district de Kajo-Keji, près de la frontière avec l’Ouganda.
“Nous souffrons ici, il n’y a pas de nourriture, pas de vrai abri. Ce que nous voulons, c’est que le président Salva Kiir et Riek Machar mettent un terme à la guerre”, a-t-elle déclaré à l’AFP.
En juin, dans la ville de Wau – devenue la deuxième plus grande du pays après que celles de Malakal, Bor et Bentiu eurent été partiellement détruites pendant la guerre – les combats ont forcé quelque 88.000 habitants à fuir leurs maisons, 20.000 d’entre eux cherchant refuge aux abords de la base des Nations unies.
– ‘Un espoir trahi’ –
L’accord de paix est tout simplement ignoré, dénonce ICG, et “les anciennes parties au conflit (…) se préparent de plus en plus à un conflit à grande échelle”.
Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a récemment rappelé “la fierté, l’état d’esprit et l’espoir” qui animaient le pays il y a cinq ans.
Mais à l’issue de sa dernière visite dans pays en février, M. Ban n’a pu que constater “un espoir trahi (…) par ceux qui ont placé le pouvoir et le profit au-dessus (des intérêts) de leur peuple”, dénonçant “les violations massives des droits de l’homme et une corruption monumentale”.
Les organisations humanitaires à pied d’oeuvre dans le pays soulignent que l’économie en ruines menace les chances de voir l’accord de paix appliqué.
“Sans réformes économiques, la population va continuer à souffrir et le fragile processus de paix sera en péril”, analyse Zlatko Gegic, responsable du Soudan du Sud pour l’ONG Oxfam.
Pour autant, estime M. Deng, “il serait difficile de trouver un Sud-soudanais qui regrette l’indépendance, en dépit de tout ce qu’il se passe”.
“Il est désormais très clair que, même sans le rôle de Khartoum ici, en terme de déstabilisation du Soudan du Sud, nous avions notre propre lot de problèmes à régler”.
Avec AFP