Jacques ATTALI, ça vous dit ? Forcément ! Outre la musicalité de son nom, nous avons tous entendu parler, à un moment ou à un autre, de ce brillant intellectuel juif français né en Algérie. « Polytechnicien, énarque, ancien conseiller spécial du président de la République (François MITTERAND) pendant onze ans, créateur et premier président de la BERD, président de Planet Finance, Jacques Attali a brillé comme auteur dans de nombreux genres différents. Il a récemment publié avec succès chez Fayard Tous ruinés dans dix ans ?, Phares. 24 destins et Diderot ou le bonheur de penser… »
Plus jeune, j’étais intrigué par le personnage de ce touche-tout et me demandais régulièrement : « Comment pouvait-on écrire à la fois sur l’histoire, la philosophie, la religion, les mathématiques, l’astronomie, l’économie, la sociologie, la science-fiction… ? Auteur prolifique s’il en est, Jacques ATTALI a une bibliographie si longue qu’elle ne tiendrait pas dans les pages d’un livre de poche.
Mon admiration pour ce brillant esprit n’a d’égale que l’aversion que lui portent certains intellectuels français qui soutiennent que le rythme de sa production intellectuelle ne peut que mal cacher une superficialité dans la voracité avec laquelle il traite des questions complexes qui sont parfois aux antipodes les unes des autres. Ca, c’est une autre paire de manches qui ne me concerne pas et qui présente le risque de m’éloigner de mon sujet : l’Afrique !
« Avant qu’il ne soit trop tard, s’occuper de l’Afrique », c’est le titre d’un article que Jacques ATTALI a posté le 18 juin dernier sur le réseau social LinkedIn, dans lequel il propose son analyse glaciale du sort funeste du continent… si rien n’est fait pour arrêter sa dérive en cours.
Avec une brutalité déconcertante, il annonce la couleur qui n’est ni azur ni pourpre encore moins rose : « Il m’arrive, assez souvent, dans ces pages, de dire notre responsabilité à l’égard des générations futures, dans bien des domaines, et de penser que, si nous n’y prenons garde, ceux qui seront vivants et actifs en 2050 maudiront ceux qui l’étaient en 2020, pour n’avoir rien fait pour leur épargner l’enfer dans lequel ils seront entrés ».
Cet « enfer » selon lui, ce ne sont pas que le changement climatique, la dette publique abyssale de l’Afrique, son absence de maîtrise des technologies, la paupérisation galopante, les guerres… Mais bien plus graves, ce sont à la fois l’explosion démographique, les migrations et surtout la dynamique créée par ce cocktail détonnant dont la déflagration prévisible – mais réversible – ne pourrait pas être contenue dans les limites territoriales d’un continent devenu subitement exigu
Dans les 30 prochaines années et malgré l’émergence d’une classe moyenne et d’une bourgeoisie aisée, Jacques ATTALI pointe la misère dans laquelle sera plongé plus d’un milliard d’Africains. De son analyse, ceux-ci « souffriront gravement de carences diverses : eau, nourriture, éducation, soin, logement, emploi ». Et ces Africains n’auront d’autres choix que de vouloir déménager vers d’autres continents en profitant de facteurs encourageant la mobilité que sont les routes, les trains, les automobiles, les camions, les ports, les bateaux, les aéroports et les avions.
Et où croyez-vous que l’excédent démographique africain cherchera-t-il à s’exporter ? Bien sûr, si vous avez suivi l’analyse, vers l’Europe, « continent le plus riche, où il fera le meilleur vivre ; et le plus proche. Aussi, chaque année plusieurs millions d’Africains tenteront de venir vers l’Europe ».
Pour mieux frapper nos esprits, Jacques ATTALI nous invite à imaginer une flottille de migrants composée de « cent, deux cents, 2000 bateaux équivalents à l’Aquarius » transportant chacun dans ses entrailles un millier de migrants. Scénario-catastrophe pour l’Afrique, certes, mais apocalyptique pour « l’Europe qui tentera sans doute alors de se fermer à l’Afrique ». Bien plus grave, prédit-il, « La Méditerranée sera parcourue par nos flottes de guerre, qui refouleront ceux qui tenteront de la traverser ».
Jusque-là, vous suivez le raisonnement. Le moindre mal, selon M. ATTALI, serait d’amener les Africains à « se prendre en main, de maîtriser leur natalité, de développer leur marché intérieur. Et les Européens resteront entre eux ». En somme, chacun chez soi : les riches profitant de leurs richesses, les pauvres croupissant dans leur indigence. Malheureusement, lui-même l’admet, les relations entre les peuples, entre les Etats… sont plus complexes que cela et l’histoire est là pour nous enseigner que les courants migratoires font partie des constances de la vie sur terre. Conséquences, « … les Africains réagiront en trouvant des façons de contourner ces interdits ; et à moins de bombarder ces bateaux de migrants, ils passeront de plus en plus nombreux. Au total, l’Europe y perdra son âme, la démocratie n’y résistera pas, le niveau de vie des Européens sera remis en cause, et nous serons en guerre permanente à nos frontières ».
Toutefois, et je me réjouis que M. ATTALI ne soit pas définitivement obnubilé par son « européocentrisme » de mauvais aloi, la cause n’est pas définitivement perdue : « Pour éviter ce désastre, nous n’avons donc pas d’autres solutions que de comprendre, au plus vite, qu’il est dans notre intérêt de développer massivement ce continent voisin, de l’aider à accélérer au plus vite sa transition démographique ; à organiser l’accueil de migrants à l’intérieur du continent ; et de créer chez nous les conditions d’un accueil, temporaire ou durable et d’une intégration dans nos cultures (qu’ils rapporteront chez eux s’ils y retournent) de millions de personnes venant de ce berceau de l’humanité. Et pas seulement dans nos équipes de football ». A l’heure où la Planète Foot est en effervescence en Russie où se joue la Coupe du monde, les politiques en Europe et en Afrique ainsi que les dieux qui gouvernent la « République de la FIFA » capteront et décortiqueront ce message. Sacré Jacques ATTALI !
Serge de MERIDIO
Source: infosepte