Comment ne pas s’indigner, pour tout esprit lucide, de la mise en scène de piètre qualité en cours dans un pays qui se voulait un exemple en matière de démocratie et gouvernance ? L’on chante à tout-va le caractère révolutionnaire de la gestion étatique en cours, comme si les tenants actuels du pouvoir sont inspirés par une espèce de souffle divin. Alors que, toute émotion toxique mise de côté, c’est plutôt à l’involution que l’on assiste. Le risque pour le Mali, c’est d’avoir miser sur le mauvais cheval tout en écartant de manière brute nombre et nombre d’alliés fiables. Le phénomène de mouton de panurge n’a jamais été si facilement constatable en République du Mali. La prise de conscience réelle aura pris la poudre d’escampette dès lors que le populisme et le nationalisme auront été érigés comme principe de gouvernance.
Le changement de curseur diplomatique est désormais une réalité au Mali. Grâce à la forte présence russe dans le pays, pas que dans le secteur militaire, le pays des Tsars a un pied dans le pré-carré occidental en Afrique. Un jeu habile de la part de Poutine qui tient entre ses mains un pion dans sa guerre idéologique contre l’ouest. Les russes auraient donné l’assurance aux tenants actuels du pouvoir, que dans leur lutte contre le terrorisme, ils disposeraient de l’appui nécessaire pour le vaincre. En échange, ils auraient intimé aux colonels de bannir, dans la mesure de l’applicable, toute présence militaire occidentale. Un choix stratégique qui fait écho à la forte demande populaire de se tourner désormais vers un allié qui serait sincère et fiable par rapport à l’autre trop intrusif, et surtout entretenant même une certaine complicité avec l’ennemi. Le cocktail ayant conduit à la popularité des colonels est donc simple. Espérons, qu’à Dieu ne plaise, qu’il ne soit un cocktail détonant. Les choix opérés sont d’une telle radicalité que pour le bien du Mali, il faudrait que ce choix, qui rompt avec tout ordre établi, réussisse.
Sauf que l’assurance donnée par la Russie, ne semble pas si fiable. Les russes auraient sous-estimé la guerre contre le terrorisme qui a lieu au Mali, et plus largement au Sahel, tout comme ils l’ont fait avec la guerre contre l’Ukraine. Cette dernière guerre s’enlise, au grand désarroi de Poutine, qui la voulait éclair. Que feront les Russes si ce même scénario venait à se répéter au Mali ? Notons que la guerre asymétrique est d’une telle complexité que même les armées américaines et françaises ne purent vaincre de manière claire et absolue les terroristes respectivement en Afghanistan et au Sahel. La présence de mercenaires de Wagner, jusqu’à présent rejetée par le pouvoir de Transition, ne fait que renforcer la crainte des Maliens quant au sort tragique de beaucoup de leurs compatriotes. Ces mercenaires qui ont la gâchette facile seraient en plus « pilleurs de ressources », chose qui aggraverait la pauvreté déjà endémique dans pas mal de régions du pays.
Quid alors des graves violations des droits de l’Homme que commettraient ces mercenaires ? Le tableau global est inquiétant et tout le monde veut bien croire en la pertinence du choix stratégique de la Transition. Sauf qu’en l’absence de moyens de vérification et compte tenu du musèlement des médias publics, des craintes surviennent. Les autorités de la Transition ont donc une grande responsabilité face à l’Histoire. L’Histoire dont le jugement est d’une justesse implacable.
Halte à l’instrumentalisation de masse en cours
Se pourrait-il qu’aux yeux de l’élite malienne, la masse populaire ne serait constituée que de moutons de panurge, maniables à souhait ? Il suffirait de trouver la bonne formule qui est de surfer sur la vague d’indignations du moment tout en martelant des slogans fouettant la fierté commune. C’est à ce phénomène que l’on assiste depuis l’éclosion des premières manifestations anti-IBK aux moments forts des regroupements politico-civils comme le M5-RFP.
De nos jours, fort malheureusement, ce phénomène continue. Des propos de rues institutionnalisés, ajoutés à des invectives et des sous-entendus loin d’être pertinents tout en omettant de parler de l’essentiel. C’est après cet exercice très peu diplomatique auquel s’est livré le Premier ministre par intérim, Colonel Abdoulaye Maiga, que les Maliens sortirent par centaines, voire par milliers, pour acclamer le prince du jour. A voir la liesse populaire, l’on aurait cru que le Mali venait de décrocher « le contrat du siècle » qui aurait mis un sérieux coup de frein à la pauvreté qui frappe le Mali. Mais non ! Ce qui plut, hélas, à nombre de Maliens, c’est le ton empreint de fierté, quoiqu’inutile, du discours. Point d’analyse n’aura été faite de la pertinence même des propos tenus.
Certes, le discours tenu est historique. Jamais, un officiel de l’Etat du Mali, ne se sera illustré en tenant un tel discours, à une telle tribune, par tant de tacles appuyés à l’encontre de tant de pays. Comment peut-on se permettre de traiter le président élu démocratiquement d’un pays frère et voisin de ne pas être un national de ce pays ?! Où sont passés la bienséance diplomatique et surtout la courtoisie entre deux peuples séparés par des frontières factices ? Depuis quand doit-on s’enorgueillir après de tels propos ?
Ahmed M. Thiam
Source : L’Alternance