Pour le président de l’Association malienne des procureurs et poursuivants, non moins président du Syndicat autonome de la magistrature, cette grève très légitime du Syntade, plus qu’un devoir syndical, n’était point une surprise. La loi en cause n’avait pu être adoptée que difficilement et très tardivement la nuit. Les circonstances tourmentées et la tension peu habituelle dans lesquelles cette loi a été adoptée étaient des signes qui présageaient ces soulèvements unanimement soutenus et dont le bien-fondé est reconnu par le gouvernement lui-même, auteur du projet de texte de ladite loi.
Selon Chérif Koné, cette grève légitime se justifiait par la raison d’être même du Syntade auquel «j’exprime tout notre soutien et notre solidarité. Il ne pouvait, ne pas réagir contre des violations manifestes des droits légitimes des cadres administratifs, du fait d’une loi injuste et impopulaire par son caractère discriminatoire et sa démarche inintelligible. Par cet acte responsable et hautement salutaire à tous points de vue, le Syntade vient de conforter nos observations faites le 14 mai 2014 à l’occasion de la séance des écoutes parlementaires, de même que nos contributions déposées depuis le 30 août 2017 pour la prochaine édition de l’Espace d’Interpellation Démocratique». Interview.
Si la résolution de créer une structure indépendante de lutte contre l’enrichissement illicite a été bien accueillie, force est de reconnaître que la loi portant création de l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite était source de difficultés réelles.
Elle est étonnamment passée à côté des personnalités politiques et du monde des affaires lesquelles sont les plus potentiellement exposées à cette forme de criminalité, pour s’attaquer de façon outrageante et discriminatoire aux agents de l’Etat, même ceux n’ayant aucune implication dans la gestion des biens ou des deniers publics. Ce caractère discriminatoire et cette démarche obscure présageaient ces perturbations dans le fonctionnement des services publics étatiques que le pays vient de vivre. Nous adhérons sans réserve à toutes ces réactions et réticences des cadres de l’Etat qui sont justifiées et légitimement bien fondées.
Manifestement cette loi réprimant l’enrichissement illicite, tout en portant gravement atteinte à l’ordre public et aux droits élémentaires du cadre travailleur s’avérait inapplicable…
Elle noircissait les cadres de l’Etat et faisait passer les cadres politiques comme étant des sains en dehors de toutes malversations. Cela contrastait avec ce qui nous est donné de voir et de comprendre par la réalité quotidienne. Pour ne pas dire qu’une loi n’est pas bonne, elle est souvent qualifiée d’inapplicable. La notion de richesse restait floue et la fameuse loi ne précisait pas le seuil à partir duquel un fonctionnaire pourrait être considéré comme riche.
Se braquer sur de simples apparences matérielles, relevait d’une légèreté injustifiable et indéfendable. Sans compromettre ses fonctions administratives ou officielles reconnues, le travailleur peut parallèlement exercer d’autres activités licites avantageuses ou même plus rémunérées. La liste des assujettis, démesurément longue et inutilement encombrante, ne répondait à une aucune logique.
Pourtant il a été rapporté que les avis des magistrats à travers le SAM et l’Association des Procureurs avaient été recueillis par la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale, avant même que cette loi soit adoptée. Qu’en est-il exactement ?
S’il est vrai que le SAM et l’Association des Procureurs avaient été sollicités par la commission des lois, pour donner leurs avis, il est surtout constant que nos observations jugées pertinentes par ladite commission ont été purement et simplement écartées par la plénière sous la pression de la partie gouvernementale qui avait fait de l’adoption de son projet de loi, une question d’honneur et même une passion.
Ayant été taxés de corporatisme en faveur des magistrats, la Commission des Lois n’avait pu faire adhérer la plénière à sa cause. Le motif avancé par le gouvernement tenait à un impératif de délai qui s’imposait au Mali pour se doter d’une loi contre l’enrichissement illicite à l’instar des autres qui l’avaient déjà fait. Si cela semblait fondé en partie, il faut reconnaître que tous ces autres pays auxquels elle faisait allusion, avaient eu le mérite d’avoir adapté les directives internationales à leurs réalités propres. L’on aura encore du mal à défendre le bien-fondé de la liste des assujettis à la déclaration des biens.
L’erreur de nos parlementaires, c’est d’avoir suivi inconditionnellement le gouvernement dans une entreprise hasardeuse devenue problématique. Ils sont aujourd’hui les principaux responsables de ces troubles actuels, et non pas le gouvernement. Ils devraient pouvoir en tirer les enseignements pour le bonheur de notre peuple. En tout état de cause, les parlementaires ne doivent pas s’affaisser devant la volonté du gouvernement pour faire voter des lois dans la précipitation.
Votre position en guise de conclusion ?
En parcourant nos observations et contributions auxquelles j’ai déjà fait allusion, vous comprendrez qu’elle rejoint tout naturellement celles du Syntade. L’Etat est tenu au respect de la vie privée du cadre administratif. La vie étant avant tout une question de choix et de priorité, le cadre ne saurait être privé, sous quelques prétextes qu’ils soient, de ses droits élémentaires au confort et au bien-être.
Cette loi, sans être conforme aux directives internationales ou aux valeurs républicaines d’égalité des citoyens, manquait d’équité et de sagesse. Outre les légèretés déjà relevées, c’était aussi un outrage que de se fonder sur de simples apparences, pour soutenir une présomption de crime d’enrichissement illicite contre des cadres aussi respectables. Critiquable et unanimement très contestée, cette loi partait à l’encontre de l’ordre public et de la paix sociale. Si nous devons nous soumettre à la loi, il est essentiel et souhaitable que celle-ci soit aussi juste que possible pour être plus acceptée.
Nous félicitons le Syntade pour sa détermination qui a permis le retrait de cette loi injuste dans notre ordonnancement juridique. Ce n’est pas la qualité des membres qui composent l’office qui est en cause, leur compétence, leur expertise et professionnalisme étant établis. C’est la loi même qui est contestée du fait de son caractère discriminatoire et attentatoire au droit des cadres de l’Etat.
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