On le disait dégoûté du Mali après son échec à la présidentielle de 2013, trop esseulé ou encore à la tête d’un micro-parti. Tous ceux qui l’enterraient déjà se sont trompés. Pas étonnant. Cheick Modibo Diarra est un personnage plein de surprises. A la tête de la coalition CMD 2018, il arrive en quatrième position du premier tour de la présidentielle du 29 juillet.
Vendredi 27 juillet, dernier jour de campagne pour le premier tour de l’élection présidentielle. Cheick Modibo Diarra, candidat de la coalition CMD, tient son meeting final non loin de la place de l’Obélisque (Bougie Ba). Peu avant 18 heures, il fait son entrée, accompagné de Moussa Mara, et salue chaleureusement les militants qui l’attendent. « Enfin, voici Cheick Modibo de la NASA », laisse échapper, émue, Bintou. La cinquantaine révolue elle assure être venue par ses propres moyens assister au meeting. Sur les podiums, artistes et humoristes se succèdent. Détendu et naturel, l’astrophysicien de 66 ans se délecte du spectacle. « Regardez, il rit, lève son poing, j’ai même peur qu’il ne se lève pour danser », plaisante Moussa Mara, s’adressant aux militants venus nombreux. « Il ne s’en cache pas, il aime le Mali et les Maliens et notre pays a besoin d’un dirigeant qui l’aime », ajoute-t-il. Alors que les dernières lueurs du soleil laissent place à l’obscurité de la nuit, Diarra, physique de rugbyman, s’adresse à ses partisans. Dans un discours en bambara, il harangue ses « troupes » et leur promet un Mali différent si la confiance du peuple lui est accordée. « Me choisir, ce n’est voter pour moi mais pour un groupe. Si vous pouviez acheter une paire de chaussures 1 000 francs CFA ou en avoir cinq de qualité pour le même prix, que choisiriez-vous ? » questionne-t-il.
Revenu de loin
C’est peu de le dire. Nommé Premier ministre durant la transition, le 17 avril 2012, Cheick Modibo Diarra voit sa carrière politique accélérer. Avec les pleins pouvoirs, il a la difficile tâche de redresser un pays au bord du précipice, miné par la rébellion et sous embargo. L’ancien de la Nasa parvient tout de même à contenir l’hémorragie. De cette période, les Maliens gardent de lui l’image d’un homme intègre et rigoureux dans le travail. Plus tard, contraint à la démission par la junte militaire de Amadou Aya Sanogo, le gendre de l’ex Président Moussa Traoré confiait dans une interview à Journal du Mali avoir eu ensuite à soigner une « infection respiratoire inexpliquée », après un rythme de travail infernal. Désireux « d’être au chevet » du Mali, il se présente à la présidentielle de 2013. En dépit d’un certain engouement, il ne fera « que » 2,14%, bien en deçà de ses attentes. Une déception qui le fait s’éloigner de la scène politique. Atrophié par cette catatonie politique, on aurait pu craindre un retour silencieux. Il n’en a rien été, car CMD a été bien aidé par des « béquilles solides », qui ont su le pousser.
Choix consensuel
La décision de Moussa Mara, Président du parti Yelema, de retirer sa candidature au profit de Cheick Modibo Diarra en a étonné plus d’un. L’ancien Premier ministre d’IBK, dépeint comme orgueilleux et très ambitieux, a vu ce choix faire l’objet de certaines controverses, y compris au sein de son parti. « Il est vrai que certains l’ont accepté avec des grincements de dents. Cela a été très difficile mais le parti a joué le jeu », confie-t-il. Car certains n’acceptaient pas qu’en dépit de son vécu politique et du poids de son parti il s’efface au profit du Président du RPDM. Les discussions furent longues. En décembre 2017, Mara, Diarra, Aliou Boubacar Diallo et Hamadoun Touré, entre autres (ils étaient une dizaine), entament des discussions dans le but de présenter un candidat unique à la présidentielle de 2018. « Nous n’avons pas pu nous entendre. Nous avons donc libéré les uns et les autres en mars », raconte Mara. Affaire pliée ? Pas vraiment. Deux mois plus tard, en mai, le Forum des organisations de la société civile a démarché Mara, Diarra, Oumar Mariko et Zoumana Sako afin qu’ils se mettent ensemble. « Ce fut l’élément décisif. Ils nous ont fait savoir qu’ils verraient Cheick Modibo Diarra comme le candidat de cette coalition. J’ai dit oui, Mariko a refusé, en avançant que son parti l’avait déjà investi, et Sako a demandé un temps de réflexion », poursuit Mara. Désireux d’élargir la coalition naissante, ils prospectent auprès de politiques qui partagent le même désir de changement qu’eux. Convaincu, Konimba Sidibé, Président du Mouvement pour un destin commun (MODEC) adhère au projet. « Nous voulions un candidat qui soit à la fois intègre, d’une grande compétence et d’un grand engagement vis-à-vis du Mali. Tout cela, on le retrouvait chez Cheick Modibo Diarra. Pour nous, il incarne le vrai changement », confie l’ancien ministre de la Promotion de l’investissement et du secteur privé.
Campagne de proximité
Pas de concert géant, ni de meeting dans les grands stades du Mali. La coalition CMD a misé sur une campagne de proximité, au plus près des Maliens. « Dans certaines localités, quand les gens apercevaient les véhicules aux couleurs de la coalition, ils accouraient vers nous en nous présentant leurs initiatives personnelles, qu’ils finançaient eux-mêmes. En plus de 20 ans de politique, je n’avais jamais vu cela », assure Sidibé. La réputation de Diarra, l’implantation de Yelema et l’apport de Sidibé dans les zones rurales : la machine électorale du tryptique se met en place. « Notre résultat, c’est grâce au citoyen lambda, qui a vu en la coalition le début de quelque chose. Nous nous sommes rendu compte que des centaines de citoyens menaient campagne pour nous sans que nous le sachions. Cela a été un moteur important de succès, surtout à Bamako », affirme Mara. Des bénévoles ont donné de leur temps et quelquefois puisé dans leur portefeuille pour le succès de la campagne. Un accent particulier a été mis sur les réseaux sociaux et sur les radios communautaires. La coalition affirme avoir diffusé des messages dans plus de 300 radios à travers le pays. Approche différente dans un écosystème politique très porté sur le règne de l’argent, auquel Cheick Modibo Diarra et ses soutiens ont refusé de prêter allégeance. Yehia Maiga, l’un des chargés de communication de la campagne de Diarra, assure que dans certaines localités il leur a été demandé de l’argent contre un vote. « Ils avaient reçu des sommes d’argent de la part d’autres partis et ils voulaient que nous fassions de même ». Surenchère à laquelle le candidat, passablement énervé par ces demandes, a refusé de se soumettre. Tranchant avec ses adversaires, il s’est retenu de faire campagne à Kidal, qu’il estime n’être que « symbolique ». « Il ne voulait pas singulariser Kidal, être pris en charge par les groupes armés et avoir les drapeaux de l’Azawad derrière lui. Cela ne fait pas « Mali » et il a eu raison », révèle Mara.
Faiseur de roi ?
Les premières tendances officieuses qui se dessinent le placent dans cette position. «L’effet Moussa Mara y est pour beaucoup. Les Maliens ne votent pas pour le programme, mais pour la personne, et Check Modibo Diarra est souvent présenté comme le renouveau », analyse Khalid Dembélé, économiste chercheur au Centre de recherche et d’analyse politique, économique et sociale (CRAPES). Position enviable diront certains, mais dans ce cas assez épineuse. Avant le scrutin, des rumeurs affirmaient que le seul but de la coalition était d’apporter son soutien au Président IBK, candidat à sa réélection. Rapidement balayées d’un revers de la main par les principaux acteurs du mouvement. « C’est un vent nouveau qui souffle dans le pays et il en a rendu fou certains. Cela ne m’étonne pas, ce vent est un tourbillon pour beaucoup. Je vous l’affirme, nous n’allons soutenir personne au second tour, car nous y serons nous-mêmes. Nous n’aiderons personne », clamait l’ancien Directeur de Microsoft Afrique lors de son dernier meeting de campagne. Mais avec les résultats provisoires qui le place en quatrième position, tout juste derrière Aliou Boubacar Diallo, ce scénario ne tient plus. « Cela m’étonnerait que le candidat de la CMD donne des consignes de vote. Et je pense que dans ce cas la coalition éclatera, car tous ses membres ne respecteront pas ce positionnement », prophétise le chercheur. La candidat Diallo étant un plus que probable soutien au challenger Soumaila Cissé, tous les regards sont donc fixés sur la coalition CMD 2018 et son candidat. Qui ont les cartes en main, avec leur 7% de suffrage, pour faire la différence. Alors, joker ou poker face?
Journal du mali