Aujourd’hui, une certaine opinion pense que les chefs de quartier sont réduits à jouer les seconds couteaux. C’est du moins ce qu’en pensent beaucoup de nos compatriotes qui n’arrivent plus à situer les chefs de quartier dans notre organisation sociale.
Des analyses croisées de leaders traditionnels et de conseillers municipaux expliquent, d’abord, qu’un chef de quartier est une autorité traditionnelle, une sorte d’interface entre les individus représentant une même communauté et la collectivité locale. C’est lui qui porte les préoccupations de la communauté et reste un médiateur. Il est consulté dans les situations de conflit où il est censé arbitrer avec équité et justice. Malheureusement, les chefs de quartiers sont réduits à jouer, dans un système de décentralisation, le rôle de relais des collectivités territoriales.
Kabouné dit Bemba Diakité est le chef de quartier de Djicoroni-Para. L’homme de 51 ans, entouré d’une cour, nous accueille avec la plus grande hospitalité mais, surtout, l’énorme considération qu’on accorde à l’hôte dans la tradition malienne. Il est à la tête de la chefferie traditionnelle depuis un certain temps et partage le même constat sur le rôle actuel des chefs de quartier. Lui même reconnaît que les chefs de quartier occupent de moins en moins le devant de la scène comparativement à une certaine époque où, ils régentaient tout.
Il précise qu’auparavant, toutes les questions étaient débattues dans le vestibule du chef de quartier avec ses conseillers. Ceux-ci étaient capables de mener de grandes réflexions sur la situation et de proposer au chef de quartier des solutions incontestées et incontestables au sein de la communauté. Parce qu’au sein de la communauté on savait, pour reprendre à notre compte l’expression d’un homme politique français, en l’occurrence Jean-Luc Mélenchon commentant ces rapports avec un de ses collaborateurs, qu’un conseiller «n’emmènera personne dans le mur par lubie». Les analyses des collaborateurs du chef de quartier étaient empreintes de sincérité, de vérité, d’équité mais surtout de sens de responsabilité.
Bemba Diakité explique pourquoi la chefferie est tombée dans son giron familial. «Nous sommes les autochtones de la localité. Dans notre lignée, la chefferie se transmet par descendance, précisément de père en fils», explique le 13è chef de quartier dans sa lignée qui a hérité du trône.
MODIQUE SOMME – La rémunération des chefs de quartier est en train de devenir un sujet de discussion sur toutes les lèvres. Les chefs de quartier, eux-mêmes, ont des scrupules à aborder la question. Mais puisqu’il faut bien qu’on en parle, Bemba Diakité accepte de verser son avis dans la discussion. Il confirme que les chefs de quartier perçoivent une indemnité trimestrielle de 15.000 Fcfa, soit 5.000 Fcfa par mois. Il donne la provenance de cette modique somme pour l’autorité morale que représente un chef de quartier. La mairie apporte 10.000 Fcfa et le gouvernorat contribue à hauteur de 5.000 Fcfa. Même s’il ne cracherait pas sur une augmentation de cette indemnité, il requiert d’abord que l’Etat accorde plus de considération, plus d’attention aux leaders traditionnels.
Namory Keita est conseiller du chef de quartier de Djicoroni-Para Troukabougou. Il fait un large tour d’horizon des procédures de désignation des conseillers. Ceux-ci sont désignés pour un mandat de cinq ans renouvelable après concertation de la population du quartier. Au détour des explications sur le mode de désignation des conseillers du chef de quartier, notre interlocuteur du troisième âge nous laisse entendre qu’il a 108 ans et vit depuis 30 ans cette expérience. Il précise que chaque chef de quartier est entouré de 15 conseillers en charge de différents domaines. Pour ce qui le concerne directement, il précise être chargé du règlement des conflits au sein de la communauté.
En outre, Namory Keita relève qu’aujourd’hui, leur rôle est méconnu du grand public parce que les gens préfèrent porter leurs différends devant la police ou la justice. Alors que ces incompréhensions peuvent avoir des solutions au niveau de la chefferie traditionnelle.
Le chef de quartier et ses conseillers étaient les premiers médiateurs dans les conflits. L’aîné confiera que la chefferie traditionnelle travaille moins avec l’administration. Si pour lui, les chefs de quartier dans la capitale n’ont plus le même privilège qu’avant, il est catégorique que leurs collègues des villages gardent toutes leurs prérogatives. Il fait aussi sienne la requête de Bemba Diakité d’accorder plus d’importance à la fonction de chef de quartier et de conseiller dans la chefferie traditionnelle.
Mme Massitan Touré, est officier d’état civil au Centre secondaire de Kalabancoura, en Commune V du district de Bamako, la capitale malienne. Elle explique les liens spécifiques qui unissent la collectivité et la chefferie traditionnelle. Selon elle, l’autorité communale a pris seulement une petite partie de la gouvernance traditionnelle dans la forme et non le fond. Il s’agit, selon elle, de la gestion du foncier. Toutefois, ils n’ont pas les mêmes statuts en la matière. Mme Touré fait remarquer que la collectivité s’occupe de la gouvernance locale qui était déjà faite par l’administration centrale. Celle-ci a transféré ses compétences aux élus communaux. Donc pour elle, les chefs de quartier continuent de jouer un rôle important, celui de règlement des différends dans la société.
Pour le choix des chefs de quartier, Massitan Touré précise que le dernier mot revient toujours à la tutelle, le gouvernorat d’entériner le choix. Elle invite les chefs du quartier à garder une neutralité dans le règlement des conflits. Pour elle, il est clair que certains chefs de quartier laissent transparaitre leur appartenance politique dans leur jugement ou dans leurs analyses.
Dr Brema Ely Dicko, sociologue rappelle l’utilité des chefs de quartier dans la société. Il souligne, à titre d’exemple, que « si on prend une ville comme Bamako, on peut avoir plus de 80 quartiers et à l’intérieur de ces quartiers même on peut trouver des secteurs, notamment à Banconi et Niamakoro qui peuvent contenir au moins 10 quartiers. Il indique que les chefs de quartier sont, aussi, importants dans la sensibilisation, l’information et la mobilisation sociale.
AOT/MD
Source: L’Essor