Multiplication des événements extrêmes, fonte des glaces, montée des océans, le nouveau rapport des experts du climat détaille les désordres à grande échelle occasionnés par le réchauffement et propose des mesures pour éviter le pire
Dévoilé le lundi 9 août à Genève, en Suisse, le nouveau rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) vient à point nommé. Les épisodes de canicules et de pluies torrentielles se multiplient depuis plusieurs semaines à travers le monde, à l’image de la vague de chaleur qui occasionne actuellement de gigantesques incendies en Europe (France, Grèce), en Afrique (Algérie, Maroc) et en Turquie.
Cet organisme de l’Organisation des Nations unies (ONU) chargé d’évaluer l’état des connaissances sur l’évolution du climat, ses causes et ses impacts, en publiant la première des trois parties de son 6è rapport d’évaluation consacrée aux « éléments scientifiques » sur le dérèglement climatique, fait un état des lieux implacable et plus alarmant encore que les précédents.
En confirmant ce que pointaient déjà les précédents rapports, le présent relève qu’il n’y a plus aucun doute que ce sont les activités humaines qui sont à l’origine d’un réchauffement global de l’atmosphère, des océans et des terres.
«De nouvelles études approfondies et des nouvelles données sont venues étayer nos connaissances sur les liens entre émissions de CO2 liées aux activités humaines, dérèglements climatiques, phénomènes météorologiques extrêmes et impacts, notamment à l’échelle régionale», indique le rapport.
Dans son rapport spécial sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C, publié en 2018, l’organisme onusien estimait que cette limite serait dépassée entre 2030 et 2052, si l’on ne corrigeait pas la trajectoire actuelle. Des études plus récentes démontrent que les délais sont en fait plus serrés.
Si nous voulons avoir au moins 50% de chances de limiter le réchauffement à 1,5°C, il ne nous reste plus que 440 Gt (unité de mesure carbone en millions de tonne) de CO2 à émettre à compter de 2020. Or, sur la seule année 2019, les émissions mondiales dépassaient 40 Gt de CO2.
En restant sur cette trajectoire, le budget carbone pour limiter la hausse des températures à 1,5°C sera épuisé dès le début des années 2030. Techniquement, l’objectif de +1,5°C reste possible, mais les données scientifiques démontrent très clairement qu’on ne peut pas se permettre «d’attendre encore un peu» et «d’y aller tranquillement», quel que soit le domaine.
DES SAISONS CHAUDES PLUS LONGUES- D’après les analyses des experts, en l’état actuel des politiques (ou de l’absence de politique) climatiques, «nous nous dirigeons tout droit vers un scénario catastrophe à +2,9°C». Même si toutes les promesses des gouvernements étaient tenues, avec la mise en œuvre de mesures adéquates, la probabilité de dépasser une hausse de 2°C serait de 80%.
Quel parallèle peut-on faire entre les résultats du rapport du GIEC à l’échelle globale et la situation de notre pays ? Nous avons posé la question à Sékou N’Faly Sissoko, de la direction nationale de Mali-Météo, point focal du GIEC au Mali. D’après son analyse, nous connaîtrons des saisons chaudes plus longues et des saisons froides plus courtes.
Il y aura une intensification du cycle de l’eau, des inondations et des sècheresses dans certaines régions. On enregistrera une mauvaise répartition des pluies. Des pluies intenses sont prévues sur les hautes altitudes et des baisses projetées dans une grande partie des régions subtropicales. Ceci pourrait sérieusement impacter le Mali, à cause de l’extrême vulnérabilité du pays et la dépendance des systèmes de production des facteurs naturels, indique l’expert national.
En fait, les populations rurales tirent leurs subsistances de l’agriculture et de l’élevage, qui sont fortement tributaires des conditions climatiques précaires. L’économie du pays étant à vocation agro-sylvo-pastorale, une baisse de la pluviométrie et/ou la mauvaise répartition des pluies auront des impacts sur la production agricole, entraînant la pauvreté et la famine.
Ces aléas climatiques joueront sur la disponibilité de fourrage et la santé animale, souligne Sékou N’Faly Sissoko. L’eau et le sol sont les premiers supports de la chaîne alimentaire des écosystèmes qui, en retour, par leur biomasse, alimentent le sol. La dégradation de ces ressources, aggravée par un rythme de succession des extrêmes climatiques, entraînent la diminution des rendements agricoles, entraînant la famine et la pauvreté.
LE MALI N’EST PAS À L’ABRI- Selon Sékou N’Faly Sissoko, les différentes études menées sur le changement climatique au Mali, viennent confirmer les prévisions de ce rapport. De ces études, il ressort que les principaux défis climatiques auxquels le pays est exposé sont, entre autres : les sécheresses, les inondations, les vents forts, les fortes variations de températures. Ces effets climatiques menacent en premier lieu le secteur primaire (l’agriculture, l’élevage, la pêche et la foresterie).
En second lieu, les secteurs clefs pour l’économie du pays comme la santé, les ressources en eau, les infrastructures, l’industrie et les mines, sont aussi exposées au changement climatique.
Le secteur primaire occupe plus de 80% de la population active et représente plus de 38,5% du produit intérieur brut (Pib). Les évènements climatiques extrêmes (sécheresses, inondations, vents forts, et vent de sable, etc.) ont particulièrement augmenté ces dernières décennies et affecté des millions de personnes.
Ces phénomènes climatiques extrêmes dont la fréquence et l’intensité sont de plus en plus grandes et la pression démographique, fortement aggravée par les conflits socio-économiques, qui ont entrainé un déplacement massif du Nord au sud, ont entraîné un épuisement de la fertilité du sol et la couverture des forêts, provoquant une forte dégradation des terres, estimée à plus de 8% du Pib.
En outre, plus de 80% des ménages maliens utilisent le bois/et ou le charbon de bois pour la cuisine et le chauffage. Seules 15% de la population rurale ont accès à l’électricité. Ces ressources sont inégalement réparties entre les sexes (les femmes et les groupes vulnérables ont peu d’accès aux moyens de production, emploi public, crédits, outils agricoles terre) et à l’éducation, bien que la loi prône l’égalité de tous, estime le spécialiste Sissoko.
L’approche territoriale est indispensable pour réussir la mise en œuvre de la Contribution national déterminée au niveau national (CDN) qui est le document de référence pour chaque pays signataire de l’Accord de Paris sur le changement climatique, auquel a souscrit notre pays.
Dans ce document sont consignés les secteurs économiques dans lesquels chaque pays s’engage à diminuer ses émissions de gaz à effet de serre. C’est ce qui explique qu’au cours des deux décennies, le gouvernement du Mali a défini un certain nombre de politiques et stratégies en matière de gestion des ressources naturelles. Elles prônent une gestion participative et décentralisée et une équité dans l’utilisation des ressources naturelles.
Concernant la Politique nationale de changement climatique, elle propose des actions qui visent, entre autres, à veiller à l’augmentation du portefeuille de projets d’adaptation/atténuation, par région. Il faut mener des actions de sensibilisation/information sur les effets climatiques dans chaque région, en fonction des spécificités climatiques, écologiques et socio-économiques.
La mise en œuvre de ces activités nécessite leur prise en compte dans les programmes de développement communaux. Il est absolument vital que les gouvernements s’alignent sur un objectif à 1,5°C et revoient leurs plans en conséquence, notamment à l’occasion de la COP26 qui se tiendra à Glasgow, en Ecosse, en novembre prochain.
Cheick Amadou DIA
Source : L’ESSOR