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Centrafrique: «Nous sommes face à un cercle de vengeance»

Dans un rapport publié mercredi 12 février, Amnesty International dénonce les attaques de grande ampleur menées en Centrafrique contre des civils musulmans par les milices anti-balaka. L’ONG fait également état de l’échec des forces internationales à faire cesser ces exactions qui menacent la stabilité du pays et de la région. Explications avec Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty France.

MORT TUERIE DECES MANIFESTANT SERVAL SANGARIS BANGUI CENTRAFRIQUE

JOL Press : Pourquoi les musulmans sont-ils la cible des milices anti-balaka ?

Geneviève Garrigos : Tout est parti de la Séléka, coalition constituée en août 2012 par des groupements armés opposés à l’ancien président François Bozizé, et composée en majorité par des musulmans. Après que les rebelles de la Séléka, à l’origine menés par Michel Djotodia, ont pris Bangui au printemps 2013, ils ont commis des exactions contre les chrétiens, malgré la dissolution de la coalition par Djotodia. C’est dans un désir de vengeance que les milices anti-balaka, milices d’auto-défense à majorité chrétienne, s’en sont donc pris aux musulmans. Les autorités religieuses, qu’elles soient chrétiennes ou musulmanes, ont pour leur part toujours appelé à la réconciliation et à la fin des violences.

JOL Press : Le « nettoyage ethnique » frappe-t-il seulement les musulmans ?

Geneviève Garrigos : À l’heure actuelle, ce sont plutôt les musulmans qui sont touchés. Depuis décembre 2012, il y a eu trois phrases : le début de l’attaque de la Séléka qui est arrivée au printemps à Bangui, a pris le pouvoir et a commis de nombreuses violations. Il y a ensuite eu l’arrivée des forces françaises et de la Misca (la force africaine en Centrafrique) en décembre 2013 après la résolution du conseil de l’ONU. Les rebelles de la Séléka se sont enfin complètement retirés depuis le départ de Michel Djotodia et l’arrivée de la présidente de transition en janvier 2014. Dans leur retrait, ils ont cependant continué à commettre des massacres, à brûler des villages et à attaquer des chrétiens.

Dans l’ouest et le nord-ouest du pays, où les membres de la Séléka étaient très implantés, ce sont les anti-balaka, les milices à majorité chrétienne, qui les ont remplacés, ont occupé l’espace vide – de pouvoir – et ont décidé de faire partir tous les musulmans. C’est là qu’a commencé le nettoyage ethnique, c’est-à-dire la volonté de les faire partir ou de les tuer pour faire partir les autres. Au moment où Michel Djotodia a quitté la présidence, le 10 janvier, plus de 900 000 personnes avaient déjà fui de chez elles, soit près de 20% de la population centrafricaine.

JOL Press : Comment les populations réagissent-elles face à ces massacres ?

Geneviève Garrigos : Nous avons récolté des centaines de témoignages dans différents villages centrafricains. Face à l’horreur, les gens fuient. Certains villages sont désertés. Parfois, il reste quelques personnes cantonnées près des églises et des mosquées, qui attendent d’être secourues ou évacuées vers un endroit plus sécurisé. Car les routes sont peu sûres et nombreux sont ceux qui subissent des massacres dans leur fuite.

JOL Press : Quelles conséquences cet exode forcé entraîne-t-il ?

Geneviève Garrigos : C’est bien évidement dramatique pour toutes ces personnes, mais c’est aussi une menace pour la région : la situation déjà instable en l’Afrique centrale et dans la région des grands lacs pourrait empirer.

En Centrafrique, l’état de droit sera aussi très difficile à rétablir : même si le gouvernement de transition doit remettre en place les forces de police, tant que les anti-balaka installeront des « checkpoints », contrôleront des bases de l’armée et revendiqueront une certaine forme de pouvoir, il sera très difficile pour le gouvernement de transition de remettre sur pieds cet état de droit.

Le dernier point, c’est que cet exode et ces massacres risquent d’aggraver la situation économique du pays. Les musulmans détenaient en effet principalement tout ce qui touche au commerce et participaient donc à l’activité économique du pays. Leur départ risque de poser encore plus de problèmes au niveau de l’approvisionnement, alors que l’on sait qu’il y a déjà d’importantes carences alimentaires.

JOL Press : Pourquoi la réponse de la communauté internationale à ces massacres est-elle « trop timorée », comme le dénonce Amnesty International dans son rapport ?

Geneviève Garrigos : Nous tirions la sonnette d’alarme depuis des mois. Dès le début du conflit, nous demandions qu’il y ait une force de maintien de la paix envoyée en Centrafrique. Il n’y a pas assez de forces sur place, que ce soit celles de la Misca – les forces africaines – ou lde l’armée française. Il est aujourd’hui très difficile de déloger les anti-balaka.

Nous avons également demandé à ce que des enquêteurs des Nations unies soient envoyés sur place pour montrer que la justice sera faite et que les Centrafricains ne doivent pas rentrer dans le cercle vicieux de la vengeance. Aujourd’hui, de fait, les musulmans ne croient plus que l’on va les aider, et les autres n’attendent plus de justice, ce qui aggrave bien évidemment la violence. Depuis le départ nous disions qu’il fallait envoyer des signaux très forts pour montrer qu’il y aurait une justice suite aux exactions commises dans un premier temps par la Séléka.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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