Les difficultés s’accumulent pour l’armée française en Centrafrique, pays en proie à des violences trois semaines après le début de l’opération Sangaris, incitant plusieurs experts à prôner un renforcement militaire français pour éviter l’enlisement.
Jeudi, les soldats français patrouillaient dans deux quartiers de Bangui, au lendemain d’un Noël sous tension qui a vu des centaines d’habitants tenter d’échapper à des tirs à l’origine non identifiée, ainsi que la mort dans des affrontements de cinq soldats tchadiens. Au moins une dizaine de civils ont été tués dans cette nouvelle flambée de violences.
Ces développements alimentent le débat en France, comme après chaque intervention militaire, autour d’un éventuel enlisement des forces françaises, 1.600 hommes, qui interviennent en vertu d’un mandat de l’Onu obtenu à l’initiative de Paris.
“Une situation humanitaire dramatique, un mandat unanime du Conseil de sécurité, un théâtre d?opérations bien connu de la France: toutes les conditions morales, politiques et opérationnelles paraissaient réunies pour conduire une intervention brève et réussie en République centrafricaine”, rappelle François Heisbourg, de la Fondation pour la recherche stratégique, dans une tribune publiée par le quotidien Le Monde daté de vendredi.
“Au lieu de cela, nos soldats se trouvent seuls, face à une situation locale nettement plus dure que prévue. Il n?y aura pas de succès rapide et nos troupes devront probablement être renforcées”, ajoute-t-il, déplorant que la France ait choisi en Centrafrique une “dimension nationale” pour son intervention et non européenne.
Combattre un incendie avec un verre d’eau
Pour le général à la retraite Vincent Desportes, “la France n’a que deux solutions: soit se retirer, soit se renforcer”. Un retrait n’étant pas politiquement envisageable, “il faut donc renforcer sérieusement, monter très vite à 5.000, 6.000 hommes, avoir un effet de masse immédiat. Sinon on va combattre un incendie avec un verre d’eau”, prévient-il.
Autre expert à souhaiter des renforts, le général à la retraite Bertrand Cavallier, citant le précédent du Kosovo, juge dans le magazine Le Point que “la France pourrait déployer ses unités de gendarmerie mobile” en Centrafrique afin d’y “restaurer la sécurité”.
Alors que le pays semble au bord de la guerre civile, alimentée par des tensions religieuses dans un cycle de représailles entre chrétiens et musulmans, la tâche des Français est rendue plus compliquée encore par l’attitude et les ambiguïtés de son allié tchadien, qui joue le rôle de protecteur de la minorité musulmane et est considéré comme la puissance régionale qui a mis en place l’ex-chef rebelle et président Michel Djotodia. Le Tchad fait aussi partie de la force africaine (Misca), censée être neutre.
“Les violences de Bangui, les manifestations antifrançaises, le rôle trouble de l’armée tchadienne annoncent des lendemains qui déchantent”, écrit jeudi le quotidien Libération, tandis que Le Figaro estime qu’en Centrafrique “le scénario déraille” et que “les troupes françaises sont au c?ur d’une situation quasi inextricable qui menace à tout moment de dégénérer”.
Pour Vincent Desportes, professeur à l’Institut de sciences politiques et ancien directeur de l’Ecole de guerre, interrogé par l’AFP, “c’est typiquement le genre d’opération le plus compliqué pour une force militaire: être une force d’interposition entre deux parties dans une guerre civile”. Pour autant, il juge qu'”il n’y a que les rêveurs de la guerre courte et propre qui pouvaient imaginer que ça allait se passer en quelques jours”.
La réelle difficulté, selon lui, provient du faible appui procuré par la Misca à Sangaris: “On ne peut pas imaginer une force cohérente avec des contingents qui se font la guerre entre eux”, souligne-t-il en référence aux récents tirs fratricides entre militaires tchadiens et burundais.
Député européen de l’opposition de droite et spécialiste des questions de défense, Arnaud Danjean craint un enlisement, notamment parce que “on doit séparer des gens qui ne sont pas constitués en armée, c’est quasiment du désarmement et de l’interposition individuelle (…). Et il n’y a pas de processus politique en toile de fond, même si on nous dit qu’il y aura des élections en 2014. Pour l’instant, c’est l’anarchie, le chaos absolu”.
Selon M. Danjean, “on a voulu entrer très vite dans un processus de désarmement avec un mandat visiblement très intrusif”, avec un double risque inhérent: “être pris à partie très violemment, comme on l’a vu dès le début de l’opération avec la perte de deux de nos soldats, ou alors commettre des bavures”.
source : afp