Emmanuel Macron sera à Abidjan du 20 au 22 décembre. Au menu de cette visite d’État très attendue du Président français, la deuxième en terre ivoirienne après celle de 2017, sont attendues des questions économiques et sécuritaires, avec en toile de fond la présidentielle de 2020. Le politologue Sylvain NGuessan livre à Sputnik son analyse.
La visite d’Emmanuel Macron est l’événement à ne pas manquer en cette fin d’année 2019 en Côte d’Ivoire. Ce deuxième déplacement du Président français en Côte d’Ivoire, qui intervient à dix mois de l’élection présidentielle ivoirienne de 2020, sera consacré, selon l’Élysée, aux relations bilatérales économiques –l’avenir du franc CFA sera assurément discuté– et sécuritaires –notamment la lutte contre le terrorisme qui gagne du terrain en Afrique de l’Ouest.
Emmanuel Macron devrait en outre célébrer Noël en avance avec les soldats des Forces françaises en Côte d’Ivoire (FFCI), basés à Port-Bouët, une commune d’Abidjan.
Les FFCI représentent, avec près d’un millier de soldats, la deuxième base opérationnelle avancée en Afrique, après celle de Djibouti. Elles constituent un hub logistique pour l’opération Barkhane qui lutte contre les groupes djihadistes dans le Sahel.
Par ailleurs, un hommage devrait également être rendu aux neuf soldats français tués le 6 novembre 2004 à Bouaké, la deuxième ville de Côte d’Ivoire.
Au micro de Sputnik, le docteur et politologue ivoirien Sylvain NGuessan a commenté ces différents éléments qui vont meubler le séjour d’Emmanuel Macron en Côte d’Ivoire.
Sylvain NGuessan dirige le Cercle de réflexion stratégique d’Abidjan (CRSA), un centre de recherches, d’études et de renforcement de capacités notamment axé sur les questions de géopolitique et d’intelligence économique.
Sputnik: Comment trouvez-vous les rapports entre le Président Emmanuel Macron et son homologue Alassane Ouattara?
Sylvain NGuessan: «Même si le Président Emmanuel Macron a défrayé la chronique avec ses propos sur le contrôle des naissances en Afrique et que, récemment, il s’est distingué avec sa convocation par voie de presse des dirigeants du G5 Sahel, il n’en demeure pas moins qu’il semble plus discret et diplomate que ses prédécesseurs. C’est le cas dans ses rapports avec son homologue ivoirien.
Mais une réalité qu’on peut difficilement démentir, c’est que les capitales d’Afrique francophone demeurent sous influence de l’Élysée ou du Quai d’Orsay dans différents domaines, que ce soit politique, économique et sécuritaire.
Dans un contexte mondial où les choses ne cessent d’évoluer, les multinationales françaises se battent pour préserver leurs intérêts en Afrique, et notamment en Côte d’Ivoire, ce qui se comprend.»
Cela dit, avec l’avènement annoncé de l’Eco, je me demande si on ne se trompe pas à s’attarder sur le franc CFA dans la mesure où il ne sera plus question de monnaie de l’espace UEMOA mais de la CEDEAO. Tant qu’il s’agit de l’UEMOA, la Côte d’Ivoire est le leader avec près de 40% du PIB de la zone. Mais quand il s’agit de la CEDEAO qui englobe l’UEMOA, c’est le Nigeria qui en détient environ 70%, quand la Côte d’Ivoire est autour de 6%. Ce sera donc le Nigeria qui aura voix au chapitre.
D’un autre côté, quand on voit la crise sécuritaire qui secoue des pays comme le Niger, le Mali ou le Burkina, et qui naturellement a des répercussions sur l’économie, on se demande bien s’il ne faut pas rester sous le parapluie économique de Paris ou s’il faut tout de même tenter l’aventure de l’Eco.»
Sputnik: Qu’il s’agisse du franc CFA ou de l’Eco, l’idée d’une indépendance monétaire pour les pays utilisateurs n’est-elle pas illusoire?
Sylvain NGuessan: «Est-ce qu’il suffit simplement de créer une monnaie pour jouir d’une souveraineté monétaire ? On est en droit de se poser la question. La souveraineté monétaire, ce sont des réserves d’or, c’est la capacité d’éditer soi-même sa monnaie, de contrôler les taux d’inflation et d’intérêt, c’est de pouvoir maintenir sa monnaie vis-à-vis de monnaies fortes comme le dollar ou l’euro.
D’un point de vue technique, est-ce que nos pays disposent de cadres qui sont prêts à gérer une monnaie depuis une certaine banque centrale? On sait que le Nigeria ou le Ghana ont une longue pratique en matière de gestion de monnaie, mais qu’en est-il par exemple de la Côte d’Ivoire?»
Au Mali par exemple, de 2012 à maintenant, avec la présence militaire française, on se demande ce qui a bien pu changer positivement. Quelle était la posture des groupes djihadistes en 2012 et quelle est-elle en 2019? Ont-ils perdu des territoires? La souveraineté de l’État a-t-elle été élargie ou a-t-elle régressé sur cette période? Ce sont autant de questions légitimes qui se posent et qui entraînent parfois des marches de protestation.»
Sputnik: Le dimanche 22 décembre, Emmanuel Macron et Alassane Ouattara rendront hommage aux neuf soldats français tués à Bouaké le 6 novembre 2004, dans des circonstances non encore élucidées. Des nombreux internautes ivoiriens s’indignent de cet hommage alors que justice attend d’être rendue pour les dizaines de manifestants qui ont succombé trois jours plus tard sous les tirs de soldats français à Abidjan. Quel est votre avis sur la question?
Sylvain NGuessan: «Emmanuel Macron est le Président de la France. Il défend naturellement à ce titre les intérêts des citoyens français. C’est son droit de vouloir rendre hommage aux soldats français qui sont tombés à Bouaké en 2004. Dans ce même ordre idée, c’est aux autorités ivoiriennes de rendre hommage et justice aux Ivoiriens tués en 2004, et plus globalement durant toute la crise. Si justice n’a pas encore été faite, ce n’est avant tout pas le fait de la France. Nous avons un ministère de la Justice, nous avons un gouvernement, c’est à nos autorités qu’il revient d’éclaircir cet épisode.»
Jusqu’à présent par exemple, à Bouaké (ex-fief de la rébellion armée de 2002-2011), il y a des ex-rebelles qui estiment n’avoir pas été pris en compte dans le processus de désarmement, démobilisation et réintégration. Ce sont autant de gens susceptibles de reprendre les armes si l’occasion se présentait.
D’un autre côté, au regard de la polémique autour de l’indépendance ou la neutralité de certains responsables de la Commission électorale indépendante (CEI, la structure chargée d’organiser les élections), on est en droit de se demander avec quelle objectivité la commission va aborder la question de l’éligibilité des candidats. Naturellement, s’il devait avoir un parti pris flagrant de la CEI dans le traitement des dossiers des candidats, il y aurait à craindre pour la suite.
Maintenant qu’il est délocalisé à Port-Bouët (dont le maire est du PDCI), où doit atterrir l’avion du Président français et où se trouve la base militaire française, je me dis qu’il va se dérouler là où le pouvoir aurait le moins eu intérêt à ce qu’il se tienne.
Sputnik: Vous disiez tantôt que le Président Alassane Ouattara doit son accession au pouvoir à l’appui de la France. Quelle devrait être la position de la France quant à une potentielle candidature d’Alassane Ouattara pour un troisième mandat en 2020?
Sylvain NGuessan: «Ce n’est pas de la France ou du Président Macron que nous devons attendre la liste de ceux qui seront éligibles pour la présidentielle de 2020. Nous avons à cet effet une commission électorale indépendante, une Cour constitutionnelle, des experts en droit… Ceci étant, des personnalités comme le ministre Cissé Bacongo et le professeur Ouraga Obou, qui ont travaillé sur la Constitution de 2016, ont déclaré clairement que le Président Ouattara n’est pas éligible pour un troisième mandat.
En 2010, avec la crise postélectorale, il y a eu l’implication de la France. Cela fut malheureux et ne devrait plus se reproduire. C’est aux lois ivoiriennes de décider qui peut être candidat et aux Ivoiriens de décider dans les urnes qui sera leur Président.»