Il n’y a pas eu de scrutin vendredi dernier au Maroc, mais une simple validation du choix de Patrice Motsepe. Comme en 2017, c’est encore la FIFA qui a décidé à la place des présidents de fédération, en imposant son candidat. Lamentable
En politique, on appelle ça une parodie d’élection. Vendredi dernier au Maroc, le football africain a essuyé l’un des plus cuisants revers de son histoire, avec l’élection de Patrice Motsepe à la présidence de la Confédération africaine de football (CAF). Le Sud-Africain était le seul candidat en lice et c’est sans surprise qu’il a été élu par les présidents de fédérations affiliées à l’instance dirigeante du football continental. Comment en est-on arrivé à une seule candidature pour une élection qui se présentait comme l’une des plus ouvertes de l’histoire de la CAF, après le dépôt initial de quatre dossiers de candidature ?
La réponse à cette question est à la fois simple et choquante : parce que trois candidats ont décidé de se retirer de la course et de s’aligner derrière un seul candidat. Et pourquoi ont-ils décidé de retirer leur candidature ? Parce que leur mentor, le tout puissant président de la FIFA, Gianni Infantino voulait qu’il en soit ainsi. L’Italo-Suisse ne s’est pas contenté d’imposer la candidature du Sud-Africain, il a également choisi les proches collaborateurs du nouveau président, notamment le 1er et 2è vice-présidents et le conseiller spécial.
Ces postes ont été confiés, respectivement à Augustin Senghor, Ahmed Yahya et Jacques Anouma. Il a donc suffi que Gianni Infantino décroche son téléphone et propose ces postes et peut-être d’autres choses aux trois candidats cités plus haut pour que ces derniers décident de se retirer de la course. Pourtant, il y a encore quelques semaines, le Sénégalais Augustin Senghor, comme l’Ivoirien Jacques Anouma et le Mauritanien Ahmed Yahya, clamait chacun leur volonté d’aller au bout, refusant catégoriquement toute idée de candidature unique. Mais le patron n’était pas encore entré dans la danse et tous les observateurs se disaient que le rendez-vous du Royaume chérifien allait marquer une étape importante pour le football du continent. Tout a basculé avec la tournée effectuée en Afrique par le président de la FIFA. Gianni Infantino a visité, entre autres, le Mali, le Sénégal, la RD Congo, le Congo, la Tanzanie, la Centrafrique, le Rwanda, le Bénin, le Maroc, la Mauritanie et d’un coup de baguette magique, il a réglé le problème. Ahmed Yahya, Augustin Senghor et Jacques Anouma ont jeté chacun l’éponge pour se ranger derrière Patrice Motsepe comme des pétards mouillés. Lamentable.
Il n’y a donc pas eu de scrutin au Maroc, mais une simple validation du choix de Patrice Motsepe. En fait, l’homme d’affaires sud-africain est devenu président de la CAF depuis le 6 mars date à laquelle ses concurrents ont décidé de se ranger derrière lui, sous la pression de Gianni Infantino. Sans préjuger des qualités de celui qui préside aux destinées des Mamelodi Sundowns depuis 2004 ou encore de sa capacité à donner un nouveau souffle au football continental, on peut rappeler qu’en 2017, le président de l’instance dirigeante du football mondial avait pesé de tout son poids pour faire partir Issa Hayatou et mettre ou plutôt imposer Ahmad Ahmad à la tête de la CAF. Tout le monde connaît le résultat.
RÉFORMES PROFONDES-Loin de nous toute idée de faire une comparaison entre le Malgache parachuté à la tête de la CAF et dont le mandat a été un échec total et le Sud-Africain, une personnalité bien connue du monde du football continental. Cependant, on ne peut s’empêcher de se poser cette question : le multi milliardaire sud-africain pourra-t-il se départir de la pression de Gianni Infantino après le rôle crucial joué par ce dernier dans son élection à la tête de la CAF ? L’avenir du football africain dépendra en grande partie de la réponse à cette question. Si Patrice Motsepe se comporte en suiveur de la FIFA, comme l’a été Ahmad Ahmad, ce sera un retour à la case départ pour la planète foot du continent, mais si le Sud-Africain se montre courageux et fait des réformes profondes au sein de la CAF, il peut redorer le blason de l’instance continentale et par la même occasion, remettre le football africain sur de bons rails. Que cela soit clair, la FIFA est un partenaire privilégié pour ne pas dire incontournable pour la CAF et dans le développement du football sur le continent.
Mais aussi longtemps que l’instance dirigeante du football africain restera scotchée à la FIFA et vivra des subventions de l’instance suprême du football mondial, elle restera toujours une caisse de résonance de celle-ci. Avec Issa Hayatou, la CAF avait une certaine notoriété et était respectée par la majorité de ses partenaires. C’est vrai qu’à force de durer à la tête de l’instance, le Camerounais a été usé par le pouvoir au point d’apparaître comme un dictateur aux yeux de nombre d’observateurs, mais disons-le sans ambages l’ancien président de la CAF n’a jamais accepté le diktat de la FIFA pendant les vingt-neuf ans qu’il a passés à la tête du football continental (1988-2017). Sa décision de se présenter en 2002 à l’élection du président de la FIFA, contre le puissant Josep Blatter illustre parfaitement cette réalité. Et sur le plan financier également-le nerf de la guerre-presque tout le monde s’accorde à dire que le natif de Garoua a renfloué les caisses de la CAF grâce notamment aux multiples partenariats qu’il a négociés avec les firmes internationales.
Tous ces acquis (il y a également eu des dérapages de la part du Camerounais) sont tombés à l’eau avec l’arrivée aux commandes du Malgache Ahmad Ahmad, un personnage controversé qui aura passé quatre ans à la tête de la CAF, sans jamais mesurer à sa juste valeur le poids de ses responsabilités. Et comme il fallait s’y attendre, le successeur d’Issa Hayatou a été rattrapé par sa mauvaise gestion ou plutôt les affaires, avec cette sanction prononcée à son encontre, le 19 novembre 2020 par la Commission d’éthique de la FIFA : une suspension de cinq ans de toute activité liée au football, nationale ou internationale, assortie d’une amende d’environ 124 millions de Fcfa. Distribution de cadeaux et autres avantages, abus de pouvoir, détournement de fonds, tout y passait avec Ahmad Ahmad, faisant ainsi perdre sa crédibilité à l’instance dirigeante du football continental. Aujourd’hui, la CAF est au bord de la banqueroute et il n’y aurait que 30 milliards de Fcfa dans ses caisses, un montant qui correspond à peu près ce que touche le vainqueur de la Premier league, le championnat anglais (environ 25 milliards de Fcfa).
Le premier défi de Patrice Motsepe sera donc de redorer le blason de la CAF et cela passe d’abord par une politique de rupture avec celle de son prédécesseur. Ensuite, le Sud-Africain devra s’atteler à mettre en place une équipe dynamique et soudée capable d’élaborer un vrai projet de développement du football continental. Et qui parle de projet, parle forcément d’argent. Il faut que le football africain s’autofinance lui-même, c’est-à-dire génère des ressources financières suffisantes pour l’organisation de ses compétitions et la réalisation de ses projets de développement.
Avec ses 54 associations membres sur les 211 que compte la FIFA, l’Afrique mérite mieux que ce qu’elle a aujourd’hui, c’est-à-dire plus de respect et de considération de la part des autres confédérations, en général et de la FIFA, en particulier. Il se murmure que Patrice Motsepe est un multimilliardaire et qui n’a pas besoin de l’argent de la CAF (sa fortune est estimée à environ 1300 milliards de Fcfa), mais le problème n’est pas une question d’argent, de riche ou de pauvre. Aujourd’hui, la CAF a besoin d’un président qui a une personnalité, qui sait se faire entendre et se faire respecter, qui a un vrai projet et une vision pour le football du continent. Bref, un homme qui sait où il doit aller. Patrice Motsepe sera-t-il cet oiseau rare ? Il faut vraiment l’espérer après les couleuvres que nous ont fait avaler Ahmad Ahmad & Co ces quatre dernières années.
Souleymane B. TOUNKARA
Source : Le Challenger