Qui, des djihadistes ou des groupes d’autodéfense, est responsable de l’attaque de 2 villages qui a fait 43 morts. La question est sur toutes les lèvres.
« Dimanche, des attaques ont été perpétrées dans les villages situés dans la commune de Barga, province du Yatenga (nord). Le bilan provisoire fait état de 43 victimes (…) et 6 blessés », a déclaré lundi 9 mars, au lendemain, le ministre burkinabè de la Communication, Remis Fulgance Dandjinou, dans un communiqué. Géographiquement, Dinguila Peul et Barga Peulhet Ramdola Peul sont dans le département de Bars, près de la frontière avec le Mali. C’est-à-dire dans des zones où des groupes djihadistes et des milices dites d’autodéfense s’en sont déjà pris à plusieurs reprises aux populations. Un deuil national de quarante-huit heures a été décrété. Un de plus.
Que sait-on ?
L’Agence France-Presse cite des sources locales qu’elle a contactées et qui confirment que ce sont bien des « villages où vivent majoritairement des Peuls ». « Ce sont des groupes d’autodéfense qui agissent en représailles aux attaques djihadistes », ont même précisé d’autres sources sur le terrain. « Les Forces de défense et de sécurité ont été immédiatement déployées sur les lieux pour sécuriser les villages attaqués », a détaillé le ministre de la Communication. « Le gouvernement condamne avec la plus grande fermeté cette attaque odieuse. Tout est mis en œuvre pour ramener le calme et la sérénité dans les villages touchés », a-t-il poursuivi, précisant que le procureur du tribunal de la ville de Ouahigouya avait été saisi.
Interrogation autour des groupes d’autodéfense des koglewéogo
En tout cas, le journal en ligne Wakatsera met les pieds dans le plat : « Les individus armés ne seraient pas aussi non identifiés que l’affirment les autorités. Des sources reprises par les médias évoquent en effet une expédition punitive de groupes d’autodéfense des koglewéogo contre ces villages qu’ils soupçonnent d’abriter des terroristes. Et c’est là tout le danger », écrit le média dans un éditorial intitulé « Burkina : attention à ne pas faire le jeu des terroristes ! ». Certes, poursuit-il, « le contexte d’insécurité inquiétante que connaît le Burkina et surtout cette guerre asymétrique qui lui est imposée par les forces du mal peuvent conduire à la limite à tolérer quelques entorses que les gens pudiques arrivent encore à maquiller en « bavures » militaires ou policières. Mais de là à abandonner, sciemment ou non, la défense et la sécurité de tout un pays au bout des fusils d’un groupe d’autodéfense dont les dérives ont été toujours pointées du doigt et dénoncées, il faut s’imposer la ligne Maginot et veiller à ne pas la franchir », lit-on plus loin dans le texte.
Une loi pour recruter des « volontaires » armés
Il est en effet largement question de l’adoption par le Parlement burkinabè d’une loi permettant le recrutement de « volontaires » dans la lutte antidjihadiste. Ceux-ci doivent être recrutés dans leurs zones de résidence, après approbation des populations locales, en assemblée générale, et sont censés être placés sous la tutelle du ministre de la Défense nationale. Il est prévu qu’ils exercent des missions de surveillance, d’information et de protection, après une formation militaire initiale de 14 jours sur le maniement des armes, de la discipline et des droits humains. Leur tâche sera aussi de fournir des informations et de défendre le territoire sur leur lieu de résidence en cas d’attaque, en attendant que les forces de défense et de sécurité s’y déploient, selon le ministre de la Défense Moumina Cheriff Sy.
Certains observateurs avaient émis des réserves sur cette mesure, craignant justement des débordements dans un pays où il existe déjà des milices rurales dans certaines régions. Les koglewéogo (gardiens de la brousse, en langue locale), ces milices rurales de défense, se targuent de remplacer les forces de sécurité et la justice qui n’arrivent pas à enrayer la spirale de violences djihadistes malgré l’aide de forces étrangères, notamment de la France, présente dans le Sahel avec 5 100 hommes dans le cadre de l’opération antidjihadiste Barkhane. Mais leurs méthodes – ils sont accusés d’avoir recours à la torture – sont controversées.
Une atmosphère explosive
Il faut souligner que le nord du Burkina Faso est en proie à de fréquentes attaques djihadistes. À l’instar du Mali, du Niger, du Nigeria, les tensions dégénèrent périodiquement en violences entre communautés agricoles et Peuls éleveurs, souvent nomades, présents dans toute l’Afrique de l’Ouest. Les groupes djihadistes attisent ces tensions, et les représailles contre les Peuls se sont multipliées en 2019. En janvier 2019, des individus armés non identifiés avaient attaqué le village de Yirgou et tué six personnes, dont le chef du village. Cette attaque avait été suivie de représailles intercommunautaires faisant 46 morts, selon un bilan officiel. Beaucoup plus, selon des ONG. Pour rappel, les violences djihadistes, souvent entremêlées à ces conflits intercommunautaires, ont fait quelque 4 000 morts en 2019 au Burkina Faso, au Mali et au Niger, selon l’ONU.
Source : Par Le Point Afrique