Sur un territoire aussi vaste que truffé de défis complexes, Barkhane n’aura pas réussi à se sortir du piège jihadiste aux mille et une ramifications. Année après année, ce fer de lance de la lutte antiterroriste au Sahel a vite pris, dans l’esprit des populations maliennes (et pas seulement), des allures de cheval de Troie d’une réactualisation du colonialisme en version soft. Dès lors, incomprise, rejetée, détestée et accusée de crime de lèse-souveraineté, Barkhane a dû se rendre à l’évidence : PARTIR. Mais comment va-t-on, côté malien, combler le vide dont Dame nature a si fortement horreur ?
Ils sont arrivés en soutien providentiel, en libérateurs adulés, en alliés célébrés, en frères sauveurs et bénis. Presque dix ans après, le charme du partenariat idyllique a fondu comme beurre de karité au soleil de Tessalit, et l’enthousiasme de la coopération idéalisée s’est envolé telles les dunes d’Andéramboukane au gré des tourbillons du désamour. Les bérets de l’opération Barkhane, certainement à cause de leur ambiguïté de stratégie, ont progressivement et inexorablement perdu le crédit de popularité dont ils jouissaient à leur arrivée en Rambo.
Passés d’hôtes acclamés à suspects néocolonialistes, tombés de statut populaire de HÉROS à accusés mis sur le banc de la méfiance indélébile, les militaires français ont déchanté et fait déchanter des millions de Sahéliens (Maliens, Nigériens, Burkinabè) qui voyaient en la force de frappe de Barkhane le rouleau compresseur qui devait balayer tous les étendards terroristes enfouis au fin fond du désert. Mais c’était méjuger le degré de complexité de l’implantation jihadiste dans le Sahel, en général, et dans le nord et centre du Mali, en particulier. Car, tardivement (bien tardivement peut-être), Barkhane, mais aussi toutes les forces nationales, régionales et internationales engagées dans le combat anti-jihadiste, ont réalisé que l’option militaire ne suffisait pas à mettre un frein à l’expansion des groupes terroristes passés maîtres dans l’art de se réadapter et de se réincarner.
La réadaptation et la réincarnation. Voilà justement les deux avenants qui ont manqué à la stratégie d’une opération française autocentrée sur « la neutralisation » des chefs des katibas.
Or, dans un espace immensément vaste, d’autres défis de taille : tensions intercommunautaires, implantation-annexion de vastes portions par des réseaux de narcotrafiquants, mais surtout pauvreté extrême et chômage plus absence de l’Etat etc. ; ont fait de la traque des terroristes (disséminés et fondus parmi les habitants quasi oubliés de leurs Etats) une équation à multiples inconnus.
C’est pourquoi, en dépit de ses succès notoires sur plusieurs repaires terroristes, Barkhane, telle une force condamnée à un travail de Sisyphe, a vu ses efforts réduits à l’image de ces marins voulant vider la mer à la petite cuillère. D’où, conséquence attendue, la colère des populations meurtries qui, attisées par des rhétoriques de tribuns nationalistes au Mali et dans la sous-région, se sont mobilisées pour le départ des soldats français.
N’ayant pas d’autre choix que d’entériner l’évidente logique, Emmanuel Macron, ses pairs européens et certains leaders ouest-africains, ont acté, le jeudi 17 février 2022, le redéploiement de Barkhane hors des frontières maliennes.
Mais, quant à nous Maliens, poussés par une euphorie nationaliste alimentée, et envahis d’une vague d’optimisme facile, faisons attention à ne guère tomber dans le simplisme sécuritaire et géopolitique. Le départ de Barkhane va laisser un grand vide qu’il est urgent d’anticiper. Or, l’armée malienne à elle seule pourra-t-elle mobiliser la puissance opérationnelle nécessaire pour verrouiller une étendue aussi vaste que le nord et le centre-nord ? Les Russes de Wagner, bien qu’aguerris et efficaces, sauront-ils être la seule force de remplacement suffisante face à la forêt des défis jihadistes et irrédentistes ? Et à quel prix super élevé serons-nous contraints de payer les services de ses nouveaux alliés russes ? Autres questions : en demeurant dans la logique du bras-de-fer exacerbé avec la France, celle-ci ne travaillerait-elle pas davantage à étendre autour de nous le piège de l’isolement multiforme ?
Autant d’interrogations dont il est impératif de s’emparer dans l’immédiat si nous ne voulons pas nous retrouver une fois de plus dans la désillusion du nationalisme sans remèdes.
MOHAMED MEBA TEMBELY
Source: Les Echos Mali