« L’Afrique n’a pas besoin d’Hommes forts mais plutôt d’institutions fortes ». Cette assertion de l’ex-président américain, Barack Obama, sonne aujourd’hui encore comme une vérité implacable dans un continent en pleine mutation démocratique et encore à la recherche de ses marques. Et cette vérité vaut, aujourd’hui, encore plus pour les pays de la sous-région ouest-africaine où de Bamako à Conakry en passant par Ouagadougou, le printemps des Hommes forts a balayé autant de régimes élus pour ouvrir la voie à des transitions dont l’un des objectifs principaux reste la refondation de l’Etat sur fond de lutte contre l’hydre terroriste dans les pays du Sahel. C’est dans un tel contexte que le président de la transition malienne, le colonel Assimi Goïta, a reçu, le 11 octobre dernier, un avant-projet de nouvelle Constitution dont il n’a pas manqué de rappeler l’objectif, à savoir « repartir sur de nouvelles bases » avec « l’espoir commun d’une démocratie rénovée et d’un Etat mieux organisé ». Un objectif, ô combien noble, en vue de doter le Mali non seulement de dirigeants vertueux, mais aussi d’institutions appelées à jouer franchement leur partition.
Le tout n’est pas d’avoir de beaux textes
Mais en attendant que le peuple malien soit convié à se prononcer par référendum (prévu pour mars 2023) sur ce texte qui devra auparavant passer en Conseil des ministres avant d’être soumis au Conseil national de Transition, on peut dire que le Mali est aujourd’hui à une étape charnière de son histoire, avec cet avant-projet de nouvelle loi fondamentale aussi porteuse d’espoirs que de changements novateurs. Des changements censés consolider les fondements démocratiques du pays et l’orthodoxie dans la gouvernance au plus haut sommet de l’Etat. L’occasion est d’autant plus belle que cette proposition de nouveau texte, intervient en pleine transition politique qui, au-delà des vicissitudes de la période d’exception, est l’un des rares moments opportuns à l’adoption de textes véritablement révolutionnaires pour un changement de paradigme sous nos tropiques. Mais le tout n’est pas d’avoir de beaux textes. Du reste, c’est ce qui manque souvent le moins dans nos républiques où les Constitutions sont garnies de clauses et autres articles pertinents qui se veulent autant de balises pour la bonne gouvernance. Mais encore faudrait-il que de tels instruments de régulation de la vie publique, puissent avoir une valeur totémique aux yeux de tous les citoyens. A commencer par les dirigeants au sommet de l’Etat dans leur fâcheuse tendance à désacraliser la Constitution au profit d’intérêts circonstanciels qui n’ont pour conséquence que de biaiser les règles du jeu démocratique. Il y a ensuite ces hommes en kaki qui ne manquent pas d’occasion d’interrompre les processus démocratiques en mettant leurs grosses godasses dans le plat du débat politique, mais dont les fréquentes irruptions sur la scène politique sont loin d’être des garanties de stabilité et de bonheur pour des populations aux fortes aspirations.
Avec la nouvelle Constitution en gestation, il y a aussi lieu de songer à construire le Malien nouveau
Mais si le militaire n’est pas la solution, le civil ne paraît pas plus méritant mais devrait au moins s’astreindre à un minimum d’éthique et de probité morale pour tendre vers la vertu dans la gestion de la chose publique. Cela s’appelle du patriotisme. C’est pourquoi les innovations portées dans l’avant-projet de nouvelle Constitution, doivent impérativement s’accompagner d’un changement de mentalités de l’ensemble des Maliens par rapport à la loi fondamentale. Car, une loi, en elle-même, n’est jamais vraiment mauvaise. Mais c’est dans son application que surgissent souvent des problèmes quand certains trouvent des moyens d’en trahir l’esprit et/ou la lettre pour servir des desseins inavoués. Et cela semble tenir plus de la mentalité des gens et de leur rapport au pouvoir, que de la teneur des textes. Autrement, pourquoi ne viendrait-il jamais, par exemple, à l’esprit d’un officier américain, de faire un coup d’Etat contre le locataire de la Maison Blanche pour se faire calife à la place du calife alors que le pays ne manque pas de généraux capables de renverser le président de la République ? Mais dans le même temps, en Afrique, on ne compte pas le nombre de coups d’Etat qui ont parfois porté au pouvoir, des gens qui ont plus brillé par leur côté ubuesque que par leurs qualités de dirigeants visionnaires. C’est dire si au-delà du Mali, il est temps, pour les militaires africains, d’avoir une idée éminemment haute de leur rôle, de leur mission et de leur place dans la gestion de nos Etats modernes. C’est dire aussi que tant qu’il n’y aura pas d’institutions fortes, la démocratie restera toujours une gageure pour l’Afrique. Et dans le cas du Mali, tant que Kati restera une forteresse d’où sortiront des militaires qui se croient investis d’un destin messianique, les Constitutions resteront toujours fragiles à force de suspension et de rétablissement, si elles ne font pas, entre-temps, l’objet de relecture ou de nauséabonds tripatouillages pour des intérêts partisans. C’est dire si avec la nouvelle Constitution en gestation, il y a aussi lieu de songer à construire le Malien nouveau.
« Le Pays » .bf