Aiguisé. «Les organisations politiques traditionnelles ont été vidées de leur substance par la culture du consensus promue depuis plusieurs années au sommet de l’Etat et par le développement exponentiel du clientélisme, relève l’anthropologue Gilles Holder, spécialiste de l’islam au Mali. Le HCI est un parti politique qui ne dit pas son nom.» Dirigé depuis 2008 par les adeptes du wahhabisme, dont le chef de file est Mahmoud Dicko, le HCI a créé une plateforme politique baptisée «Sabati 2012» pour peser sur l’élection. Sabati a auditionné plusieurs candidats à la présidentielle, avant de trancher en faveur d’IBK. «Après l’avoir entendu pendant trois heures, nous avons estimé qu’il était le mieux à même de diriger le pays au moment où nous sortons de la plus grave crise de notre histoire», souligne Moussa Boubacar Bah, le président de Sabati, par ailleurs chargé de la jeunesse au sein du HCI.
Une décision qui a divisé profondément l’institution et aiguisé les tensions en son sein. Après s’être engagé publiquement durant la campagne, le HCI pourrait-il prolonger durablement son rôle sur la scène politique ? «Nous ne sommes pas un parti religieux et notre action s’inscrit dans le cadre de la République laïque et multiconfessionnelle du Mali, explique Moussa Boubacar Bah. Notre but est simplement d’avertir les politiques sur la défense de nos valeurs. Nous sommes notamment opposés à la diffusion d’une culture mondialisée qui tend à imposer certaines normes internationales dans lesquelles nous ne nous reconnaissons pas : l’homosexualité, l’euthanasie, etc.»
Durant cette élection, IBK s’est bien gardé de reprendre à son compte les thèmes du HCI, mais il a accueilli avec bienveillance le soutien d’une institution influente. En 2009, celle-ci avait marqué les esprits en remplissant un stade de la capitale pour dénoncer la réforme du code de la famille, qui devait renforcer les droits des femmes. A l’époque, face à cette mobilisation, le pouvoir d’Amadou Toumani Touré (ATT), l’ancien président renversé par un coup d’Etat en mars 2012, avait préféré reculer. «Nous pesons 15% de l’électorat», assure aujourd’hui Moussa Boubacar Bah.
Suffisamment, en tout cas, pour inquiéter l’adversaire d’IBK à la veille du second tour. Jeudi, Soumaïla Cissé a dénoncé au micro de RFI l’utilisation de la carte religieuse par IBK : «Nous sommes tous musulmans dans ce pays. Nous avons vu ce qui s’est passé au Mali sous le prétexte de la religion, l’intégrisme nous a mis dans une situation dramatique. Il ne faut pas tirer sur cette corde-là, extrêmement dangereuse.» Soumaïla Cissé fait allusion au jeu trouble du HCI lors de l’occupation du nord du pays par les groupes jihadistes. Sous la houlette de Mahmoud Dicko, l’organisation musulmane avait organisé des convois humanitaires en direction des grandes villes du nord, dont les cargaisons ont atterri entre les mains des chefs islamistes. «A Bamako, certains religieux ont estimé qu’il valait mieux prendre date pour l’avenir en ménageant ces groupes jihadistes», dénonce un observateur étranger en poste dans la capitale malienne. «Pendant l’occupation, le HCI a mené une réflexion sur les conditions d’une application raisonnable de la charia sur l’ensemble du territoire malien»,note de son côté Gilles Holder.
Depuis l’opération Serval, les mêmes font profil bas et l’autorité de Mahmoud Dicko est fortement contestée au sein du HCI. Mais à en croire Moussa Boubacar Bah, tout ceci ne serait que pure malveillance :«Dicko a été très mal reçu par les chefs islamistes quand il s’est rendu dans le nord. A son retour à Bamako, il a dit aux autorités qu’on ne pouvait pas négocier avec eux et qu’il fallait se préparer sans tarder à la guerre.»
Madrasas. En cas de victoire ce dimanche, IBK prendra-t-il ses distances avec l’encombrant HCI ? C’est ce que veulent croire certains de ses partisans, pour lesquels il fallait composer avec cette réalité de la société malienne. «On assiste à une radicalisation par le bas, note Soumeylou Boubèye Maïga, ancien ministre de la Défense et aujourd’hui lieutenant d’IBK. Les victimes de l’exclusion sociale sont de plus en plus nombreuses au Mali et face à la faillite de l’école républicaine, beaucoup de parents se tournent vers les madrasas, où la scolarisation est totalement gratuite.» Une tendance qui nourrit une autre forme d’exclusion : dans ces établissements religieux,l’enseignement se fait en bambara (la langue dominante au Mali) et en arabe. «Les jeunes qui sortent de ces écoles ne parlent pas français, la langue officielle au sein de l’administration. Du coup ils ne peuvent pas s’insérer dans le tissu institutionnel», ajoute cet ancien proche d’ATT.
Durant la campagne, qui a coïncidé avec le ramadan, les organisations islamiques ont été aussi discrètes qu’actives à Bamako. «Elles ont offert de la nourriture chaque soir, pour la rupture du jeûne, à la sortie des mosquées», relève l’éditorialiste de l’Essor, Souleymane Drabo. Un travail de l’ombre qui, selon lui, ne laisserait pas insensible le petit peuple de Bamako : «Durant la crise, j’entendais souvent de petits commerçants du centre de la capitale exprimer ouvertement leur sympathie pour les gens d’Ansar ed-Dine et du Mujao [deux organisations islamistes, ndlr].» Avant le scrutin présidentiel, des consignes de vote ont été données dans les mosquées de la capitale en faveur d’IBK.