Les paysans ne sont pas suffisamment informés des avantages qu’ils peuvent tirer de la souscription. Les sociétés d’assurance sont toutefois confiantes et espèrent voir une adhésion à l’offre de service
C’est sous un soleil ardent que Gagny Kanté sillonne son champ d’environ 5 hectares, situé à Kati, ville garnison à 15 km de Bamako. «Je produis du maïs sur 2 hectares, fais du maraîchage sur 1 hectare. Le reste est non inexploité pour le moment», explique le paysan. Ce vieil homme, la soixantaine révolue, a toujours vécu de l’agriculture. Aujourd’hui, une petite révolution s’est invitée dans sa vie. Il s’agit de l’assurance agricole dont se méfient de nombreux ruraux. Gagny Kanté, lui, en a entendu parler de bouche à oreille.
Ce qui paraît invraisemblable dans un pays comme le Mali, où 80% de la population vit de l’agriculture. Cette activité représente un enjeu de sécurité alimentaire et une source de revenus pour des millions de personnes vivant dans les pays en développement. Dans notre pays, elle est aujourd’hui exposée à de nombreux risques. Il s’agit des risques abiotiques ou climatiques telles que des pluies excessives, irrégulières, mal réparties dans le temps et dans l’espace, les inondations, les sécheresses comme les feux de brousse. S’y ajoutent les risques biotiques (oiseaux et rongeurs, insectes volants ou rampants, épizooties) et les risques commerciaux dus principalement aux variations des cours mondiaux et laconcurrence rude des produits importés.
Ces dangers sont de plus en plus assurés par des sociétés spécialisées dans le cadre de l’assurance agricole. «Elle est une assurance de dommage qui s’occupe des biens et des responsabilités. Elle comprend plusieurs volets, dont la couverture des cultures et des biens du paysan, entre autres», explique Ahamadou Mohamed Touré. Le directeur adjoint souscription, développement commercial à Sunu Assurance, précise que la forme la plus développée au Mali est l’assurance récolte (pour la protection des cultures).
Mais l’assurance récolte, pour le moment, n’est pas vulgarisée, déplore Ahamadou Mohamed Touré. L’assureur précise que plusieurs agriculteurs se rendent à leur bureau pour garantir leur champ. En la matière, Sunu Assurance, qui se dit être l’un des pionniers du domaine, propose uniquement des assurances collectives destinées aux faîtières, organisations paysannes (Apcam, Interprofession maïs, sésame, arachide, etc.).
ÉDUCATION FINANCIÈRE- Contacté via la messagerie électronique, Simon Schwall, fondateur et président directeur général de Oko, une start-up israélienne basée au Luxembourgqui apporte des services de micro-assurances aux personnes non-bancarisées, grâce au paiement mobile, assure qu’il existe un très fort intérêt pour leur solution. «En quelques mois, après le lancement en février 2020, nous avons reçu 30.000 demandes de rappels (Ndlr : clients désireux de souscrire ou se renseigner). Nous avons rapidement élargi notre offre pour couvrir en 2021, cinq cultures (maïs, mil, sorgho, sésame et coton)». Aujourd’hui, ajoute-t-il, Oko a plus de 8.700 clients assurés.
Toutefois, la plupart des agriculteurs maliens ignorent encore l’assurance agricole. Dans les pays en développement, particulièrement en Afrique, l’assurance agricole concerne moins de 10% des agriculteurs. En termes de part de marché, l’assurance agricole en Afrique ne représente que 1% du marché mondial.
Un grand travail d’éducation financière doit être fait pour que les agriculteurs découvrent les avantages de l’assurance. En ce sens, Ahamadou Mohamed Touré dira : «Il faut reconnaître que les assureurs n’ont toujours pas réussi à démystifier l’assurance. Même pour l’assurance automobile, la plus connue, les lettrés et intellectuels sont réticents à la prendre». Nombreux sont les personnes qui se plaignent de la lenteur du service dans le milieu, souligne-t-il. Ajoutant que seul le Bénin et le Sénégal ont pu mettre en place une assurance agricole efficace, Ahamadou Mohamed Touré reconnaît que le Mali est en avance par rapport à bien des pays.
Cette méfiance constatée s’explique, selon Simon Schwall, par le fait que beaucoup se sont fait arnaquer dans le passé par d’autres services agricoles ou financiers. S’y ajoutent, selon lui, les difficultés liées à la fiscalité.
L’assurance au Mali est taxée à 20%, soit plus que la taxe à valeur ajoutée (TVA) qui fait 18%. Cela est pénalisante pour les agriculteurs qui font l’effort de sécuriser leurs revenus, explique le patron de cette entreprise «présente en Ouganda, en Côte d’Ivoire et au Maroc». Simon Schwall plaide alors pour une fiscalité réduite à taux zéro comme ce serait le cas dans des pays comme la Côte d’Ivoire. Pour lui, les gouvernements ougandais et marocain subventionnent l’assurance agricole. Aussi les SMS et dépliants utilisés ou mis à disposition pour la vulgarisation ne sont souvent pas compris.
PRÈS DE 150.000 FCFA- Afin de faire face à ce problème, Oko a mis en place un système numérique en bambara sur WhatsApp pour que les clients non-lettrés puissent s’informer via des messages vocaux en langue nationale. Simon Schwall a également opté pour la mise en place d’une large équipe de terrain qui va de village à village et de coopérative à coopérative pour expliquer comment fonctionne le mécanisme. «Ceux qui se sont inscrits l’année dernière se sont réinscrits cette année pour la plupart d’entre eux», se réjouit-il.