Le Mali vient de voter, il y a quelques jours, le budget national 2018, avec comme innovation majeure, le passage au mode « budget programme », pour une programmation triennale 2018-2020.
Une actualité qui donne l’occasion aux économistes chercheurs que nous sommes, d’analyser et de revenir sur certaines de nos propositions, qui jusqu’ici, parce que non conformes aux velléités électoralistes des responsables politiques, ont été mises aux oubliettes.
Ce budget, tel que présenté, est peu ambitieux et accorde une priorité toute particulière à des secteurs non productifs, donc, incapable de réduire la pauvreté, de favoriser l’emploi surtout celui des jeunes, encore moins de réduire les inégalités sociales qui ont atteint des proportions inquiétantes. En effet, à la lecture du budget 2018, il apparait clair que l’Etat accorde une priorité à la prise en charge de :
– La loi d’orientation et de programmation militaire (LOPM 2015-2019) ;
– La loi de programmation du secteur de la sécurité intérieure (LPSI 2017-2021) ;
– La mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali ;
– La mise en œuvre de l’engagement présidentiel d’allocation de 15% au secteur du Développement Rural ;
Pour un montant global de 2 330, 778 milliards de FCFA, avec une prévision de croissance du PIB réel de 4,9 %, pour une inflation prévisionnelle de 1,4%, officiellement, le cadrage budgétaire 2018-2020 , poursuit la mise en œuvre des axes prioritaires définis dans le Cadre Stratégique, pour la relance économique et le développement Durable CREDD (2016-2018), le respect des engagements pris par le gouvernement dans le cadre communautaire (UEMOA CEDEAO) et avec le FMI.
– Faiblesse de la prise en compte des objectifs fixés par les cadres stratégiques
Il faut le rappeler, si besoin en est, que ce programme qui reste le seul et l’unique cadre de référence et d’action des politiques économiques en trois ans de mise en œuvre, n’a permis ni de réduire de façon conséquente la pauvreté, encore moins les inégalités sur lesquelles le dit programme était censé agir. A titre illustratif, les récentes croissances du PIB réel, ces deux dernières années (5,8% en 2016, 5,3% en 2017), n’ont pas servi à la réalisation d’investissements massifs dans les secteurs sociaux de base ou même à la création d’un cadre propice au cadre des affaires, en témoigne cette régression spectaculaire dans le classement « doing business » de la Banque mondiale (141 sur 190 en 2016).
La loi de finance, en l’état, présente un déficit budgétaire qui ne serait que, partiellement, couvert par le financement extérieur et intérieur, dégagerait un écart de financement de : 327,7 milliards en 2018, 182,6 en 2019, et 140 milliards en 2020.
Cette politique budgétaire, pour être réalisable, doit intégrer trois contraintes majeures dont deux contraintes classiques :
le respect des critères de convergence communautaire (UEMOA et CEDEAO) ;
la mise en œuvre des engagements avec le FMI dans le cadre du programme économique et financier ;
la troisième contrainte est celle qui pèsera le plus, et significativement sur la période du cadrage budgétaire, c’est le remboursement des échéances au titre des obligations du trésor, où le Mali sur la même période, doit faire face à un triplement au titre du remboursement des obligations de trésor, soit près de 430 milliard de F CFA(58,4 milliards en 2017, 213 milliards en 2018, 132 milliards en 2019 et 84 milliards en 2020).
-Absence d’anticipation sur la situation future proche de l’état du pays
Sous ces conditions, le budget national, présenté en l’état, est catastrophique pour un pays en crise car la concentration des échéances de remboursement va, à coup sûr, exposé le Mali, à un risque de financement par la dette intérieure, mettant ainsi les entreprises dans une situation inconfortable et in fine, impacter négativement sur la création de valeur ajoutée donc de croissance économique.
L’autre élément qui permettrait au Mali d’atteindre son objectif de politique budgétaire sur ce programme, serait un effort soutenu de mobilisation des recettes fiscales et non fiscales (1957,625 milliards, soit en moyenne 116,4 Milliards de recettes supplémentaires par an, ce qui correspond à une augmentation de la pression fiscale de15,3%, à 16,2 % en 2020) qui restent improbables au regard des dernières évolutions de notre pression fiscale depuis 2012.
Sur l’ensemble de la période du programme, les espoirs de l’Etat se fondent sur une forte augmentation de 6,7% des recettes fiscales et non fiscales. Pourtant, sur la même période, le déficit budgétaire qui a presque toujours été financé par les aides budgétaires qui vont connaitre une nette baisse compte tenu des situations présentes et futures proches :
des prochaines échéances électorales avec leurs conséquences économiques sur la situation économique du pays,
de la très probable réduction de l’activité des entreprises multinationales, notamment dans le secteur minier pour cause de dégradation de la situation sécuritaire et une exacerbation des tensions sociales liées à une probable crise pré ou post-électorale.
– Nécessité de mesures économiquement et financièrement structurantes du budget
Pour compenser cet écart, il y a lieu de réduire, à défaut rationnaliser les dépenses courantes hors secteurs sociaux, pour un espace budgétaire solide, en vue de la réalisation des investissements structurants et productifs. D’autres mesures plus rudes et plus suivies devront également être mises en œuvre comme :
– la réduction progressive des exonérations ;
– la révision des différents textes (code minier, code des investissements, code des impôts, codes des douanes, code pétrolier, la loi sur la promotion immobilière);
– la maitrise de l’érosion des recettes fiscales sur les produits pétroliers ;
– la création d’un environnement propice aux affaires et au civisme fiscal par le paiement à bonne date des créances sur l’Etat ;
– le suivi des engagements issus du paiement de la licence du 4ième opérateur de téléphonie.
– La réduction du train de vie de l’Etat ;
– L’accroissement des investissements dans les secteurs agropastoraux, en incluant la chaine de transformation et de commercialisation des produits agroalimentaires ;
Absence remarquée de mesures courageuses annoncées
Il y a juste quelque mois, une équipe du FMI en mission au Mali, et les autorités, se sont accordées sur l’importance de la mobilisation des recettes nationales et d’une trajectoire budgétaire qui maintienne la discipline budgétaire. Ce point semble être le plus important et le plus pertinent. Cette directive aurait dû être visible dans les nouvelles mesures de ce budget. Ce n’est malheureusement pas le cas.
Par exemple, pour 2018, les seules dépenses fiscales ont été chiffrées à près de 330 Milliards soit 4,2% (204 milliards en 2015 soit 3,1%) du Produit Intérieur Brut.
Leurs maitrises auraient dû être rigoureuses pour espérer une discipline budgétaire à hauteur de souhait.
Il y a lieu de repenser et accélérer la réforme de la gestion des finances publiques dans le cadre de la mise en œuvre du Programme de Transition Fiscale de l’UEMOA en vue d’atteindre un taux de pression fiscale de 20% du PIB pour 2019, qui reste autour de 15%. Or, selon le gouvernement, pour permettre au Mali d’atteindre son objectif de politique budgétaire, ils misent sur un effort soutenu de mobilisation des recettes fiscales (soit en moyenne 116,4 Milliards de recettes supplémentaires par an, ce qui correspond à une augmentation de la pression fiscale de15,3%, à 16,2 % en 2020, qui restent insuffisantes pour l’atteinte des objectifs du Programme de Transition Fiscale de l’UEMOA (20% en 2019).
– Des mesures alternatives d’ordre général s’imposent dans le contexte actuel et futur du pays
Pourtant, la réduction du train de vie de l’Etat reste la seule alternative crédible pour une rigoureuse discipline budgétaire. Rationaliser les dépenses, commence d’abord par comprendre où va l’argent public, et à quoi il sert. Il est temps pour l’Etat malien de décider de ce qui doit vraiment constituer une dépense publique. Comment est-elle adéquate de dépenser 6 milliards pour acheter du carburant si on peut construire un hôpital, des salles de classes ou creuser des forages ou aménager des zones maraichères ? Faut-il recourir à l’endettement si des économies budgétaires peuvent permettre le financement par l’Etat lui-même ? Les fonds jusqu’ici alloués au secteur de l’investissement restent encore largement en dessous de celles nécessaires pour booster notre économie.
Autant, un effort particulier est demandé en termes de mobilisation des ressources, autant, les dépenses publiques doivent faire l’objet de la même attention en vue d’améliorer l’efficacité de la dépense publique.
Par ailleurs, avec l’augmentation graduelle des dépenses budgétaires, 1308,5 milliards pour 2014, 1488,0 milliards pour 2015, 1752,9 milliards pour 2016 et 2028,0 milliards pour 2017 (projection TOFE 2017-2020), la situation sociale est de plus en plus désastreuse. L’accord d’Alger qui, en parti est responsable de la hausse de ces dépenses, n’arrive toujours pas à être appliqué de façon exhaustive. Aujourd’hui, la montée de l’insécurité est de plus en plus palpant. Cela met en branle le climat des affaires et décourage les investissements, sources de création d’emploi et donc de productivité de l’économie. L’accroissement des dépenses devrait selon les projections (2018-2020) continuer autours d’un taux moyen de 4,9 % pour atteindre 2307,1 en 2020. La question de rationalisation des dépenses publiques se pose donc.
Il convient de mettre l’accent sur :
L’amélioration de la gestion des investissements publics à travers le renforcement des capacités en matière d’évaluation à priori des faisabilités techniques, économiques et financières des projets d’investissement, l’amélioration progressive des procédures de budgétisation et de suivi de l’exécution des crédits.
Améliorer la désignation des chefs de programmes, en passant d’un système de nomination à un système de recrutement, avec des mesures d’enquêtes de moralités et d’antécédents en matière de mauvaise gouvernance.
L’amélioration de la gestion de la dette intérieure, l’accélération de la production et de l’audit des comptes annuels ;
L’accélération de la production et de l’audit des comptes annuels de l’Etat,
L’amélioration de la gestion de la trésorerie à travers la poursuite de la mise en œuvre du compte Unique du trésor (CUT) ;
La mise en œuvre de la gestion axée sur les résultats à travers l’utilisation des crédits budgétaires dans le cadre de la gestion du budget en mode programme.
La mise en place d’un système fiable de contrôle interne pour une plus grande efficacité ;
Dr Etienne Fakaba SISSOKO,
Economiste Chercheur au CRAPES,
Professeur des Universités,
Centre de Recherche et d’analyses Politiques, Economiques et Sociales du Mali
e-mail : info@crapes.net
Le Pays-Mali