Dans La gloire des imposteurs (Philippe Rey), le romancier sénégalais Boubacar Boris Diop et la sociologue malienne Aminata Dramane Traoré s’interrogent sur ce qu’il reste de la Françafrique et sur l’impact de l’opération Serval sur la relation entre le Mali et la France.
“Ma chère Aminata, Je sais que ces temps-ci tes compatriotes se réveillent chaque matin le cœur étreint par l’angoisse, surtout au nord où les combats font de nouveau rage. Les plus exposés, ce sont bien entendu les plus pauvres, comme toujours. Et surtout ils ne se sentent pas défendus face aux djihadistes et aux rebelles touareg, car vos soldats, mal équipés, refusent le combat ou même désertent.” Tel est le triste constat dressé par Boubacar Boris Diop pour évoquer la situation actuelle au Mali.
Quel a été l’impact réel de l’intervention armée au Mali ?
Dans La gloire des imposteurs (Philippe Rey), correspondance entre le romancier sénégalais et la sociologue malienne Aminata Dramane Traoré, les deux intellectuels s’interrogent. Que reste-t-il de Françafrique ? Quel fut l’impact réel de l’opération Serval ? Tous deux opposés à l’intervention massive de l’armée française au Mali en janvier 2013, les deux intellectuels tentent de comprendre la crise dans laquelle le Mali est plongé et qui annonce, selon eux, “davantage une ferme reprise en main néoimpériale de l’Afrique subsaharienne que sa seconde indépendance” : “Mon cher Boris, je n’ai pas besoin de te dire quel événement est au centre de toutes les discussions : le coup d’État du 22 mars 2012 “
“Nous ne sommes pas toujours libres de choisir nos dirigeants”
“Nombreux sont ceux qui, ici et ailleurs, explique la sociologue Aminata Dramane Traoré, ne veulent pas savoir à quoi le putsch a mis fin : à un système pluraliste exemplaire et intelligible pour tous les Maliens ou à une sinistre mascarade destinée à séduire la “communauté internationale” ? Tu connais bien ma réponse. Je reste profondément attachée aux idéaux de justice et de démocratie pour lesquels plus de trois cents Maliens sont tombés en mars 1991. Si nos martyrs ont consenti, il y a vingt ans, au sacrifice suprême, c’était pour que notre pays soit libre et souverain à l’intérieur de nos frontières, mais aussi dans nos relations avec les puissances étrangères. Notre mal, Boris, tient en ces mots : absence de souveraineté. Le monde entier peut constater chaque jour que nous ne sommes pas toujours libres de choisir nos dirigeants et que l’orientation de nos politiques économiques nous échappe complètement.”
Un projet antérieur aux événements maliens
Mais la discussion ne s’arrête pas là. Ce dialogue permet en effet aux auteurs de partager leurs réflexions sur les guerres actuelles de l’Occident hors de ses frontières, ainsi que sur la Côte d’Ivoire, la Libye ou l’énigmatique printemps arabe : “Mon cher Boris, je parle beaucoup de cette initiative originale autour de moi et je me rends compte, au fil des conversations avec des amis communs, que pour nombre d’entre eux notre échange, à la fois personnel et destiné au public, a été décidé en réaction à la guerre au Nord-Mali. Ils ont bien du mal à me croire quand je leur réponds qu’en fait ce projet est antérieur d’une année au moins aux événements si fortement médiatisés aujourd’hui.”
O.S