Le Général De Gaulle a été clair : la France n’a pas d’amis, mais des intérêts. A nous de confier nos destins à des dirigeants qui savent protéger les nôtres. Apres avoir participé au Forum social mondial Tunis 2013, l’altermondialiste, Aminata Dramane Traoré se confie à l’Enquêteur et fait le point de sa participation à cette grande rencontre internationale. Qui a regroupé plus de 70 mille personnes venant de plus de 130 pays de la planète.
Aminata : Le Forum Social Mondial (FSM) est toujours un grand moment de rencontre de tous ceux qui plaident pour un ordre mondial plus juste et solidaire. Il a largement contribué à l’émergence de nouvelles formes de résistances et de luttes contre le système néolibéral dont les ravages sont désormais clairs partout, y compris dans les vieux pays industrialisés.
Le choix de Tunis pour abriter l’édition de 2013 n’est nullement un hasard. Ce pays, en tant que symbole des « révolutions arabes » est riche d’enseignements. La dignité, une valeur chère aux peuples, était au cœur du débat.
L’organisation a été globalement satisfaisante. Nous n’avons pas de raison de nous plaindre quand on sait que la Tunisie reste confrontée à d’énormes contraintes financières, politiques et institutionnelles comme les autres pays en quête d’alternatives aux dictatures dont celle du marché.
Quant aux participants, ils sont plus jeunes et confiants en l’avenir du fait de la convergence des luttes des peuples opprimés.
Quelques figures emblématiques du FSM n’ont pas fait le voyage de Tunis pour des raisons que j’ignore. Mais la plupart d’entre elles étaient présentes.
L’Enquêteur : Vous avez, à l’occasion, fait plusieurs communications. D’abord quels sont les thèmes que vous avez abordés ? Et pouvez-vous revenir pour nos lecteurs sur les points saillants de ces communications ?
Aminata : Le Mali, comme vous le savez, était attendu au FSM. Et nous sommes nombreux à avoir contribué aux différentes activités.
J’ai eu le privilège d’intervenir lors de la cérémonie d’ouverture pour rendre compte de ma lecture de la situation dramatique de notre pays. Elle résulte, comme je l’ai souvent souligné, de l’échec lamentable des politiques néolibérales au sud comme au nord et de l’échec tout aussi lamentable de ce que la « communauté internationale » a salué comme une démocratie exemplaire.
J’ai développé cette thématique lors de mes différentes interventions en m’appesantissant sur la question de l’Etat (mis en faillite par les programmes d’ajustement structurel. J’ai insisté sur les fausses promesses de lutte contre la pauvreté, contre le chômage, contre la corruption, contre l’impunité), le chômage endémique des jeunes.
L’Enquêteur : Le Forum s’est tenu à un moment où le Mali traverse une crise militaro-politique sans précédent de son histoire et des remous socio-politiques traversent le continent. Cela ne rend-il pas moins optimiste les résultats escomptés par les initiatives et actions issues du forum social mondial ?
Aminata : Nous ne sommes pas moins optimistes parce que nous sommes conscients de l’énorme difficulté de mise en œuvre des alternatives économiques, sociales, politiques et environnementales qu’exigent l’ampleur et la gravité de la crise systémique. Notre pays, faut-il le rappeler, n’est pas une planète à part, mais une parcelle du monde global et malade du TINA (There Is No Alternative) de Margaret Thatcher. D’une poigne de fer, l’ancienne Premier ministre britannique fait partie de ceux qui ont cru devoir transformer le monde en un marché gigantesque où tout se vend et s’achète. C’est le capitalisme malien prétendument gagnant qui s’est effondré à force de pousser les gens à bout au nord comme au sud du pays.
Le sous-emploi et le chômage, la paupérisation, les salaires de misère, la sous-administration des régions du nord, l’état de l’armée, la porosité des frontières et l’essor de l’économie souterraine sont autant de situations engendrées ou aggravées par la logique du profit.
Nous nous battrons autrement dans ce pays le jour où une masse critique de citoyens réalisera le lien entre la nature de l’économie mondialisée et nos maux.
L’Enquêteur : De façon plus globale, quels sont les enjeux de l’intervention française au niveau sahel et les conséquences sur les populations vulnérables ?
Aminata : Les enjeux de l’intervention française découlent de l’impérieuse nécessité pour l’ancienne puissance coloniale de relever les défis économiques (croissance, compétitivité, emploi), énergétiques et sécuritaires qui l’interpellent à travers une « diplomatie économique offensive ». Ce dessein revêt aujourd’hui dans notre pays la forme de la militarisation que nos concitoyens, dont je comprends la peur des djihadistes, ont salué et interprété comme une mission de libération.
L’Enquêteur : Quel commentaire faites-vous de l’intervention de l’armée française au Mali et de l’interdiction faite à l’armée malienne de pénétrer à Kidal ?
Aminata : Ce qui se passe à Kidal conforte ma thèse.
L’Enquêteur : A votre avis, quelles sont les causes fondamentales de la crise qui sévit au Mali et en quoi les élections de Juillet peuvent aider à sortir le pays de ce douloureux cycle ?
Aminata : Nous ne nous donnons pas les moyens de sortir de cette situation dramatique en nous en tenant au discours officiel qui la décline en deux volets : une crise humanitaire et sécuritaire au nord à résoudre par la militarisation et une crise institutionnelle et politique au sud. L’organisation d’élections « transparentes » serait la solution miracle à cette situation. Rien n’est moins certain si on occulte les politiques économiques qui enrichissent une minorité de Maliens au détriment de l’immense majorité. Nous devons changer d’économie de manière à garantir au plus grand nombre, en l’occurrence les jeunes, les femmes, les ruraux, en ville comme à la campagne, la possibilité de vivre dignement de leur travail. Cette perspective requiert un changement de paradigme que les élites politiques et économiques n’osent pas envisager.
L’Enquêteur : Madame, la venue de la gauche française au pouvoir a suscité beaucoup d’espoirs en Afrique. On a même vu flotter des drapeaux africains à l’investiture de François Hollande en France. Aujourd’hui serait-il injuste de dire que l’espérance n’a été qu’une grande désillusion pour le continent ?
Aminata : Je ne crois pas que toute la gauche française approuve les interventions militaires de la France dans nos pays. Le parti socialiste est confronté ici au même dilemme qu’en France : la difficulté de concilier ses idéaux de justice et de respect des droits humains avec la défense des intérêts des multinationales.
Le Général De Gaulle a été clair : la France n’a pas d’amis, mais des intérêts. A nous de confier nos destins à des dirigeants qui savent protéger les nôtres.
L’Enquêteur : Un mot sur la mort de Hugo Chavez ?
Aminata : Le Président Hugo Chavez appartient à cette génération de dirigeants latino-américains qui ont osé revendiquer le droit de leurs peuples de disposer de leurs richesses. L’immense majorité de son peuple lui est reconnaissant, même si de nombreux problèmes demeurent. Je lui rends un vibrant hommage.
L’Enquêteur : Comment structurer la gouvernance mondiale afin de mettre fin à la situation de guerres permanentes que nous vivons?
Aminata : Je me méfie de la notion de gouvernance qui sous-entend que le système est vertueux et qu’il suffit d’en améliorer le fonctionnement pour que le monde soit plus juste. Le ver est dans le fruit. C’est un changement de cap qui s’impose.
L’Enquêteur : D’aucuns pensent que Le Forum social mondial pourrait permettre la construction d’une autre ONU au service des peuples désireux de vivre dans un monde de paix, de sécurité, de justice et de progrès. Cela ne vous semble-t-il pas trop idéaliste ?
Aminata : Les gagnants de la deuxième guerre mondiale ont mis en place un système qui sert d’abord leurs intérêts. La rapidité et la facilité déconcertantes avec lesquelles les différentes résolutions concernant notre pays ont été adoptées au Conseil de Sécurité en disent long sur le caractère antidémocratique de l’ONU. Sa réforme, qui est à l’ordre du jour, ne se pose pas seulement en termes de représentativité des régions, mais aussi en termes de justice et d’éthique.
Aliou BadaraDiarra