« Afrique! Afrique mon Afrique! Afrique des fiers guerriers »…
Cette vérité est bien loin tant l’Europe multiplie ses pressions et son oppression sur les Etats africains qui, acculés de toute part, ne peuvent que baisser la garde au lieu de résister comme les fiers guerriers d’antan. Après plus de dix ans d’une sourde bataille, l’Union Européenne a enfin vaincu la résistance des pays africains qui refusaient de conclure avec elle les traités de libre-échange prévus depuis 2000 par l’accord de Cotonou (Bénin) (1). Le Monde diplomatique fait ici le point.
Afrique: l’Europe se rit des Chefs d’Etat africains
L’Afrique vient encore d’être raillée par l’Europe avec laquelle elle a partagé la traite négrière, l’esclavage, la colonisation et néocolonialisme.Le 10 juillet 2014, les Chefs d’Etat de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ont signé l’Accord de Partenariat Economique (APE) d’Afrique de l’Ouest (2) ; le 22 juillet de la même année, l’APE d’Afrique australe était paraphé ; le 25 juillet 2014, c’est autour du Cameroun de ratifier un APE individuel. Or, il fallait refuser de se priver de précieuses recettes douanières sans réelles contreparties européennes. Les APE prévoient en effet la suppression des droits de douane sur trois quarts des exportations de l’Union, tandis que celle-ci continuera à importer d’Afrique de l’Ouest la totalité de ses produits qui sont déjà en franchise de droits. Comment ces Chefs d’Etat africains ont-ils pu se laisser berner et malmener sur ce marché de dupes?
M. Mamadou Cissoko, président honoraire du Roppa (Réseau des Organisations Paysannes et de Producteurs de l’Afrique de l’Ouest), répond sans ambages que « Les chefs d’Etat sont mal informés. On ne comprend pas ce qui les empêche de consulter les mouvements sociaux. Mais ils ne se fient qu’aux bureaucrates.Ce n’est pas acceptable : avant d’engager la vie de millions de personnes, il faut les consulter (6) ! ».Depuis 2008, les Etats d’Afrique de l’Ouest résistaient aux pressions de Bruxelles, aiguillonnés par de puissants mouvements sociaux réunis au sein de divers réseaux : le Third World Network Africa, basé à Accra (Ghana), la Plate-forme des organisations de la société civile de l’Afrique de l’Ouest sur l’accord de Cotonou (Poscao), à Dakar (Sénégal), et le Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (Roppa), à Ouagadougou (Burkina Faso). Mais, dans le rapport de forces, l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) avec l’influence de Washington s’insurgera contre les « préférences » accordées par Bruxelles aux pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, dits ACP. En vertu des conventions de Lomé, signées dans les années 1970, ceux-ci étaient exemptés de droits de douane à l’entrée du marché communautaire (3). Donnant tort à l’Union européenne, l’organe de règlement des différends de l’OMC a ordonné le remplacement des « préférences » par des avantages dits « réciproques « . Ce fut l’objet des Accords de Partenariat Economique (APE) programmés par l’accord de Cotonou.
Au sein de l’Union européenne, les APE ont été négociés par la direction générale du commerce de la Commission, et non par celle du développement et de la coopération, dont relevaient les conventions de Lomé. Allergique au développement de l’Afrique, l’OMC devrait « réduire les exigences de réciprocité et se recentrer sur les priorités du développement. » Au lieu de cela, l’Occident, par la voix du Député français Jean-Claude Lefort, va s’interroger : « Pouvons-nous vraiment prendre la responsabilité de conduire l’Afrique, qui abritera dans quelques années le plus grand nombre de personnes vivant avec moins de 1 dollar par jour, vers davantage de chaos, sous couvert de respect des règles de l’OMC (4) ? » Si le Parlement européen a produit de nombreux rapports contestant les APE, il s’est finalement aligné sur la Commission en abaissant de 80 à 75 % le pourcentage des exportations de l’Union qui entreront en franchise de droits sur le marché de l’Afrique de l’Ouest (5).
Le rôle joué par M. Alassane Ouattara
Lorsque M. Alassane Ouattara arrive au pouvoir en 2011 en Côte d’Ivoire — poids lourd économique de la sous-région — il va incliner toute la Cedeao a répondre oui et amen aux envies nocives mêmes de l’UE. « En libéral convaincu, explique M. Cheikh Tidiane Dieye, directeur de la Poscao, M. Ouattara ne cache pas son engagement en faveur de l’accord de libre-échange, qui aura pour lui l’intérêt de maintenir l’accès préférentiel au marché de l’Union pour le thon, la banane et le cacao, entre autres. » Après s’être vigoureusement opposé aux APE, le Sénégal s’y rallie, avec pour objectif de devenir l’interlocuteur privilégié des Européens. De son côté, le Nigeria se montre conciliant depuis qu’il attend le soutien occidental dans la lutte contre Boko Haram.
Pourtant, l’Afrique de l’Ouest a tout à perdre. Ce système absurde ne tient pas compte de la différence des situations économiques. Les perspectives paraissent sombres pour la sous-région ouest-africaine, dont le déficit alimentaire a bondi (de 11 millions de dollars en 2000 à 2,9 milliards en 2011) et dont la population explose : trois cent quarante millions d’habitants en 2014 et cinq cent dix millions prévus en 2030.
Ne dit-on pas que la main qui donne est celle qui ordonne? Les Européens financent en grande partie l’intégration régionale — notamment à travers le budget de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). Les dirigeants africains enfoncent l’Afrique en écoutant les cabinets d’experts européens plutôt que leurs populations, pourtant mobilisées et constructives. En attendant le 1er Octobre 2016, date limite pour la ratification, espérons que l’Afrique ne sera pas bradée par ces collabos.
Source: Afrique sur 7