Freiné par la flambée du kérozène et les mouvements sociaux, le trafic aérien traverse une nouvelle zone de turbulences sur le continent en raison des restrictions sur les transferts de capitaux. Explications.
1- Pourquoi le rapatriement de fonds est au point mort ?
Les recettes tirées de la commercialisation des billets d’avion en monnaie locale sont ensuite converties en dollars pour faciliter le transfert des bénéfices enregistrés par les transporteurs aériens internationaux vers leur pays d’origine. Une opération qui certes peut sembler simple sur le papier, mais qui est en revanche très compliquée à concrétiser ces derniers temps en Afrique. En cause, les restrictions sur le rapatriement des capitaux imposées récemment par quelques États africains qui, confrontés à une crise inédite de réserves de change, apposent temporairement un veto à toute sortie de devises.
2- Quels sont les pays et les compagnies concernés ?
Au cœur de cette affaire qui secoue le ciel africain, le Nigeria. À en croire l’Association du transport aérien international (Iata), Abuja met la main, depuis plusieurs mois, sur une somme de 465 millions de dollars (466,3 millions d’euros) de trésorerie des compagnies aériennes étrangères, dont plus de 85 millions appartenant à Emirates. Miné par « des circonstances hors de contrôle », le transporteur émirati a décidé de « suspendre tous les vols au départ et à destination du Nigeria, à compter du 1er septembre 2022, pour limiter les pertes et l’impact sur ses coûts opérationnels ».
Dans les faits, cet embargo sur les rapatriements de capitaux a également été opéré par le Zimbabwe (100 millions de dollars), l’Algérie (96 millions ), l’Érythrée (79 millions) et l’Éthiopie (75 millions). En mai dernier, Ethiopian Airlines et Kenya Airways ont été contraints de suspendre leurs activités au Malawi faute de pouvoir rapatrier des liquidités. Selon les données de Iata, près de 1 milliard de dollars de recettes des compagnies aériennes sont bloquées dans 20 pays à travers le monde.
3- Quelle est la position de Iata ?
« Déçue », l’Association du transport aérien international renouvelle ses avertissements, après ceux de juin dernier, pour permettre le rapatriement des fonds bloqués dans les banques centrales des pays concernés. Sur Twitter, Iata est ferme : « Les transporteurs aériens ne seront pas en mesurer d’assurer les vols s’ils ne sont pas en possession des revenus liés à la vente des billets. »
Dans ce contexte tendu, l’organisme déplore aussi les répercussions de l’embargo sur le rapatriement des fonds. « La perte de liaisons porte préjudice à l’économie, à la confiance des investisseurs, et a un impact sur les emplois et la vie des gens », fustige Iata, pour qui Abuja doit accorder un intérêt particulier et prioritaire au déblocage des capitaux pour ne pas aggraver la situation.
4- Existe-il un risque de sanction ?
« Non », affirme à Jeune Afrique un responsable d’une compagnie aérienne africaine, dont il dirige le bureau de Paris. « Les montants en question ne sont pas litigieux pour conduire à un recours juridique », explique le spécialiste du transport aérien, qui voit mal le Nigeria ou les pays concernés par le blocage des recettes des transporteurs internationaux subir des sanctions.
Selon notre responsable, « Iata, unique instance à réglementer le secteur aérien, peut seulement jouer un rôle de médiation entre les compagnies aériennes et les États ». Privée de mécanismes juridiques pour obliger un pays à acter le rapatriement des capitaux, l’Association du transport aérien international intervient pour défendre les intérêts des compagnies aériennes. Une situation qui n’est pas sans rappeler les précédentes crises entre Emirates et l’Angola (en 2017) ou encore entre Air France, Lufthansa et de nombreux transporteurs aériens avec le Venezuela (en 2012), qui, touché à l’époque par une grave crise économique, avait bloqué une somme 4,1 milliards de dollars.
5- Quels scénarios pour une sortie de crise rapide ?
Dans une déclaration accordée à CNN, Hadi Sirika, le ministre nigérian de l’Aviation, a réaffirmé « la capacité, la volonté et l’équité » du Nigeria pour résoudre ce genre de différend. Quelques jours plus tard, la banque centrale du Nigeria (CBN) a débloqué, le 26 août, la somme de 265 millions de dollars – alors que le total des fonds retenus dans le pays s’élève à 465 millions de dollars – pour alléger la crise et éviter de voir les compagnies aériennes internationales déserter les aéroports de Lagos et Abuja.
Suffisant pour voir Emirates reprendre ses vols vers et en direction du Nigeria ? Pour l’instant, la compagnie de Dubaï, qui promettait de « réévaluer » sa décision « en cas d’évolution positive concernant les liquidités bloquées », ne s’est pas encore prononcée. De son côté, notre spécialiste du secteur aérien, pour qui « un compromis finira toujours par se concrétiser pour ce type de blocage procédural », y voit « un acte de bonne volonté » susceptible de « débloquer la situation », malgré le risque de récidive.
Pour Kamil Al-Awadhi, vice-président régional de Iata pour l’Afrique et le Moyen-Orient, « les autres États qui bloquent le rapatriement des bénéfices des compagnies aériennes étrangères sont encouragés à suivre l’exemple du Nigeria et à libérer les recettes qu’ils retiennent ». À défaut, « les compagnies aériennes ne peuvent pas se permettre de desservir ces pays ».