Au lendemain de la proclamation des résultats du premier tour de l’élection présidentielle, le torchon brûle entre plusieurs membres du comité exécutif de l’Adema et le candidat de ce parti, Dramane Dembélé, arrivé troisième dans la course à la présidence. N’est pas en cause la contre-performance d’un parti donné pour le plus grand et le mieux implanté du pays, dont le premier chef, Alpha Oumar Konaré, a été élu président de la République en 1992 et a dirigé le pays pendant dix ans. La pomme de discorde, aujourd’hui, est la position du parti et de son candidat vis-à-vis des deux finalistes : Ibrahim Boubacar Kéita et Soumaïla Cissé.
Dès la proclamation des résultats, le premier vice-président de l’Adema, Ibrahima Iba N’Diaye, au nom du comité exécutif du parti, a annoncé publiquement qu’il rallie la cause du candidat de l’URD, Soumaïla Cissé. Pour motiver ce choix, Iba N’Diaye brandit une plateforme électorale et politique signée entre les différentes composantes du Front de sauvegarde de la démocratie et la république (FDR), dont l’Adema et l’URD. Or, le FDR a été créé contre les putschistes de mars 2012. Il s’agissait plus de contraindre les auteurs du putsch à restaurer l’Etat de droit et l’ordre constitutionnel que de former une alliance électorale et politique. Cette idée ne viendra que plus tard.
Quelques heures après cette prise de position d’Iba N’Diaye, Dramane Dembélé prend le contre-pied du comité exécutif en prenant fait et cause pour Ibrahim Boubacar Kéita, arrivé en tête de course. Au cours d’une conférence de presse donnée à son QG de campagne, le candidat de l’Adema affirme que son parti et celui d’IBK appartiennent tous deux à l’Internationale socialiste, et qu’il est tout à fait logique et réaliste qu’il demande un report de voix sur le candidat du RPM. De plus, il s’est estimé trahi par les siens pendant la campagne électorale, certains de ses partisans, dont un ministre, des députés et de hauts cadres du parti, roulant ouvertement pour d’autres candidats.
Dramane Dembélé devait-il s’offusquer pour autant de ses trahisons ? Non !
L’Adema, en effet, depuis ses premières années a connu de profondes dissensions au sein de ses directions successives. En cause, la nature même de ses fondateurs, avec des idéologies politiques et philosophiques différentes, allant du bolchévisme au libéralisme en passant par le socialisme et la social-démocratie. Réunies pour combattre un ennemi commun, le régime du général Moussa Traoré, ces différentes composantes ne manqueront pas de montrer leurs divergences une fois l’ancien régime abattu par une insurrection populaire appuyée par une intervention militaire.
En 1994, c’est Mamadou Lamine Traoré qui quittera une Ruche envahie par les «frelons». Ses griefs, notamment contre son compagnon Alpha Oumar Konaré, c’est d’avoir été écarté, lui le premier vice-président du parti, du poste de Premier ministre ou de celui de président du Pasj, au profit d’IBK perçu comme un bourgeois. Mamadou Lamine Traoré et plusieurs de ses proches s’en iront pour fonder leur propre parti, le Miria. Première saignée.
En 2000, en ses qualités de président de l’Adema et de Premier ministre, IBK estimait être le successeur naturel d’Alpha Oumar Konaré. C’était sans compter sur les capacités déstabilisatrices d’un groupe d’hommes et de femmes qui ambitionnaient de prendre les rênes du Pasj : le clan Cmdt, enrichi avec l’argent du coton et des commissions sur les marchés publics, avec à sa tête un certain Soumaïla Cissé, accompagné du couple Sy. Les membres de ce clan vont soudoyer les délégués du congrès et acheter leurs voix pour le renouvellement du bureau du comité exécutif du parti. Et parviendront à leurs fins, contraignant IBK à la démission de toutes les instances du parti.
Un parti qu’il finira par quitter pour de bon, avec plusieurs de ses partisans, quelques mois plus tard, afin de créer sa propre famille politique, le Rassemblement pour le Mali (RPM). Deuxième saignée.
Il n’y a jamais deux sans trois, enseigne la sagesse populaire. La troisième saignée interviendra en 2002, à la faveur de l’élection présidentielle devant porter à Koulouba le successeur d’Alpha Oumar Konaré, arrivé au terme de son second et dernier mandat. Pour désigner un candidat du parti, l’Adema va s’essayer à la primaire. Un exercice hautement démocratique si chacun respecte les règles du jeu, mais un exercice qui va se montrer périlleux et facteur de division. La rancœur des uns et la rancune des autres vont amener les cadres, responsables et militants du parti à partager leurs voix entre le candidat officiel du parti, Soumaïla Cissé, et un revenant indépendant, Amadou Toumani Touré. C’est ce dernier qui remportera la course à la présidence. Dégoûté des siens qui venaient de le trahir aussi ouvertement, Soumaïla Cissé s’en ira fonder son parti, l’URD.
Cinq ans plus tard, le comité directeur de l’Adema, à la majorité, décide de ne pas présenter de candidat contre ATT qui briguait un second mandat. Mais en cette année 2007, Soumeylou Boubèye Maïga, membre fondateur de l’Adema et fin stratège politique, ne comptait pas nourrir la thèse selon laquelle son parti n’avait pas de candidat sérieux à opposer au chef d’Etat sortant. Bravant les siens, il présente donc sa candidature à l’élection présidentielle, perdra non seulement le scrutin mais aussi son appartenance au parti. Lui aussi s’en ira avec plusieurs de ses compagnons.
L’Adema aurait pu en rester là avec les trahisons et les coups bas. Mais non ! En 2012, une autre primaire est organisée pour départager les candidats à la candidature du parti. Dioncounda Traoré est choisi. Mais des cadres du parti, dont Zoumana Mory Coulibaly, ne voient pas cela d’un bon œil. Ils demandent une disponibilité pour aller se battre avec d’autres candidats, notamment l’indépendant Modibo Sidibé, contre le candidat de leur propre parti. L’élection présidentielle n’aura pas lieu en raison du coup d’Etat du 23 mars 2012, mais ils auront droit à une disponibilité définitive car radiés des rangs du parti avec armes et bagages.
Avec l’implication de la communauté internationale pour une sortie de crise, une élection présidentielle est programmée. L’Adema organise une autre convention et désigne Dramane Dembélé. Certains ne sont pas d’accord et quitteront tout simplement le parti. Il s’agit notamment de Soumeylou Boubèye Maïga et de Sékou Diakité, tous deux vices- présidents. Le premier va créer son parti, Asma, et le mettre à la disposition d’IBK, le deuxième rejoint le président de la Codem, Housseïni Amion Guindo, dont il devient le directeur de campagne pour la présente présidentielle.
C’est donc sur un parti miné par plusieurs années de dissensions et de récentes défections que Dramane Dembélé comptait pour gagner l’élection présidentielle de juillet-août 2013. Il vient de se rendre compte, à ses dépens, que même parmi ceux qui sont restés à ses côtés, beaucoup ne faisaient pas franc-jeu et s’essayaient plutôt à lui tirer dans les flancs ou à le frapper là où ça fait le plus mal. Que va-t-il faire ?
Lui dira qu’il ne sera pas éjecté comme IBK et Soumi, qu’il ne quittera pas non plus volontairement son parti. Autant dire alors que Dramane Dembélé est résolu à se battre pour débarrasser la Ruche de la vieille garde et à rajeunir la direction du parti.
Une belle partie en perspective.
Cheick Tandina