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Adame Ba Konaré : « Rien ne tombe droit du ciel ! »

A l’occasion du 08 mars, l’écrivain, historienne et ancienne Première dame du Mali livre son regard sur la cause féminine et les grands enjeux du moment. Interview.

Adame Ba Konare ex premier dame epouse alphat oumar konare ancien president malien

Dans quelques jours, le monde célèbre le 8 mars, dédié à la promotion de la femme, avec pour thème « Planète 50-50 d’ici 2030 : Franchissons le pas pour l’égalité des sexes ». Au Mali, le combat pour cette égalité a récemment connu quelques succès, dont la loi sur le quota dans les instances dirigeantes. Adam Ba Konaré, écrivain, historienne, ancienne Première dame du Mali (1992-2002) et présidente du musée de la femme Muso Kunda de Bamako, a été de ce combat et continue de s’investir pour que les femmes maliennes jouent leur partition dans le développement du pays. Dans une interview exclusive, l’auteur de L’Os de la parole (2000), Quand l’ail se frotte à l’encens (2006), et du Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy (2008).

les femmes du Mali, d’Afrique et du monde !

Journal du Mali : Vous êtes l’une des rares intellectuelles maliennes, féministe et panafricaniste reconnue. Quel regard portez-vous sur la condition de la femme hier et aujourd’hui, en particulier en Afrique et au Mali ?

Adame Ba Konaré : Un regard plutôt optimiste. Je constate que les femmes sont de plus en plus entreprenantes. Leur présence au sein du gouvernement, de nombreuses directions et de toutes les institutions de la République, c’est déjà un acquis. On peut aisément imaginer que cette tendance va se renforcer car le ton est, partout dans le monde, à une montée en flèche des femmes au sein même des institutions internationales.

Cette année, pour le 8 mars, il est question de l’égalité des sexes, avec l’horizon 2030 pour y arriver. Pour vous, c’est un combat éculé ou un engagement réaliste ?

Cela dépend du contenu que l’on veut mettre dans l’égalité des sexes. Sur le plan juridique, s’il s’agit de l’égalité des droits, on ne peut que s’en réjouir et souhaiter qu’il n’y ait aucune entrave à cette évolution. Je pense cependant qu’il serait dommageable que la femme se laisse déposséder des prérogatives qui ont été les siennes jusque-là. La femme est définie comme gardienne des valeurs. Pendant longtemps, on s’est gargarisé de cette sentence. La femme est le pivot du système social. Sans elle, une maison, voire une société peut difficilement fonctionner. Elle centralise toutes les activités de ces différentes sphères. Une maîtresse de maison agréable, accueillante, soucieuse du bien-être des uns et des autres est une image particulièrement gratifiante, tellement gratifiante qu’y renoncer serait perdre le capital d’investissement engrangé tout au long des siècles. Elle ne devrait pas s’en laisser déposséder au nom de l’égalité des sexes.

Certains ne pensent pas que cet objectif d’égalité-parité sera atteint. Quelles sont selon vous les conditions pour y arriver ?

Les conditions, c’est de la faculté de lutte des femmes, de leur capacité à rester vigilantes, à ne pas baisser la garde, à rester sur une ligne continue de défense de leurs droits qui peuvent donner du contenu à cet objectif. Rien ne tombe droit du ciel. L’organisation en groupes de lobbying face aux décideurs est assurément une voie à emprunter. L’instruction, l’éducation et la formation des femmes sont également essentielles.

De nombreuses jeunes « leaders » féminines émergent ces dernières années au Mali. L’auteure du « Dictionnaire des femmes célèbres du Mali » se reconnait-elle dans leur combat ?

Je constate comme vous qu’effectivement beaucoup de « leaders » féminines émergent au Mali. Elles sont sûrement à encourager voire à féliciter pour leur esprit d’engagement dans les voies qu’elles empruntent. Toutefois je leur conseille d’avoir toujours à l’esprit le souci de la persévérance dans tout ce qu’elles entreprennent et l’exigence du travail bien fait, de la rigueur pour aller de l’avant.

De plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer les violences conjugales. Pensez-vous, comme certaines femmes, que c’est un fait social à accepter ? Sinon, quelles stratégies pour lutter contre ?

Bien sûr que c’est un phénomène à condamner ! Il est d’ailleurs planétaire. Ce phénomène n’est pas spécifique au Mali. Quelles stratégies pour lutter contre ? Difficile d’en tracer tant cette violence, multiforme du reste, est souvent difficile à expliquer. Il y a des sanguins qui dès que leur taux d’adrénaline monte, n’arrivent plus à se contrôler, d’autres qui sont cyniques, qui programment leur violence et ses modalités. Il arrive aussi qu’à un moment donné de leur parcours, certains couples n’arrivent plus à se sentir et basculent dans la violence. Il n’est donc pas aisé d’établir une fiche de soins spécifiques applicables dans tous les cas de violence. La dénonciation, les thérapies psychologiques envisagées pour les couples, le rôle de la société, de la famille, leur assistance pour accompagner surtout les jeunes couples, les rencontres de sensibilisation sur le fléau, sont autant de pistes à creuser et à affiner, à côté des dispositifs juridiques qui ont l’avantage d’exister mais qui malheureusement n’enrayent pas le fléau.

Les « femmes intellectuelles » de votre trempe se font de plus en plus rares. Qu’est-ce qui pourrait être le ou les frein (s) à l’émergence d’une nouvelle génération ?

Théoriquement, il ne devrait pas y avoir de frein. Je suis moins catégorique que vous, mais je pense que l’impact des époques sur les destinées intellectuelles est énorme. Être intellectuelle, s’affirmer dans une société clivée entre hommes responsables et femmes sous leur encadrement, démontrer qu’être femme n’était pas un handicap, qu’être femme africaine ne signifiait pas vivre cloitrée dans sa maison sous la dictature du mâle comme c’était la croyance au temps colonial et même post-colonial, était l’un des challenges à relever à mon époque où vraiment les femmes intellectuelles et de plus engagées, se comptaient sur le bout des doigts. Les femmes étaient tout juste bonnes à éduquer et à soigner. Ce n’est pas un fait de hasard si les premières intellectuelles féminines étaient soit sages-femmes, assistantes sociales ou institutrices et monitrices. De nos jours on trouve des femmes intellectuelles dans toutes les sphères de la science.

Les lignes semblent bouger dans notre pays. Une loi sur le quota de femmes dans les instances de la République a été récemment votée. À bulletin secret… Qu’en pensez-vous ?

Il y a là de quoi faire plaisir aux femmes. C’est un pas de plus car ce n’est pas d’aujourd’hui que datent les questions sur les quotas devant être accordés aux femmes au sein des institutions. Le débat a constamment été soulevé au sein de l’ADEMA, dès la mise en place de son premier bureau en 1991 mais il n’a pas pu se concrétiser. Les femmes ont occupé des portefeuilles ministériels par le passé, jadis considérés comme monopole des hommes. Rappelez-vous que la transition démocratique de 1991-1992 conduite par le Lieutenant-Colonel Amadou Toumani Touré, alias ATT, a donné au Mali sa première femme gouverneur de région (le District de Bamako), laquelle femme gouverneur, Mme Sy Kadiatou Sow en l’occurrence, a été ministre des Affaires étrangères quelques années plus tard sous la mandature du président Konaré.

Le Mali, à l’instar de nombreux pays dans le monde, est confronté au phénomène de la radicalisation religieuse. Cela vous semble-t-il une menace pour l’émancipation de la femme ?

Je pense très sincèrement que ce qui pose problème dans cette question sur l’islam, c’est le manque de débats francs, le confinement des uns et des autres dans des cases définies : radicaux islamistes d’un côté, laïcs républicains de l’autre, en oubliant que dans ce pays qu’est le Mali, l’islam a été introduit dès les premiers temps islamiques, dès le 10ème siècle, si l’on en croit les chroniqueurs de Tombouctou, en ce qui concerne Gao par exemple. Refouler le débat sur l’islam, c’est donc un comportement frileux. On devrait multiplier les cercles d’échanges autour de l’islam et les femmes en revenant aux fondamentaux. Lorsque l’on connaît le rôle joué par les femmes aux côtés du prophète Mahomet (PSL), que ce soit sa première épouse Khadija, la première à s’être convertie, sa fille Fatima ou son épouse Aisha qui sera plus tard très impliquée dans la vie du califat, l’on se rendra compte que l’islam n’est pas une religion d’exclusion des femmes, bien au contraire. Le Coran est également émaillé de passages sur la protection des plus faibles, parmi lesquels les femmes. C’est tout ça qui doit être exhumé, pour un dialogue franc et érudit en lieu et place d’incantations contre-productives. Pour répondre à votre question, je pense que de la confrontation d’idées et d’informations entre ce qu’on appelle « radicaux » et islamistes modérés, voire pouvoirs publics, sortira une lumière pouvant guider les uns et les autres.

Le pays a traversé une crise sans précédent, mais la grande majorité des intellectuels, dont vous qui êtes une voix qui compte, est restée silencieuse. Pourquoi ?

Vous savez, pour être franche, je crois que lorsque l’on a occupé la position que j’ai occupée, c’est-à-dire Première dame, la sagesse recommande de s’imposer un devoir de retenue sur tout ce qui concerne les questions nationales parce que les amalgames sont vite faits. Même ma position d’intellectuelle ne saurait banaliser ce fait. Cela ne signifie pas que je suis indifférente aux évènements dramatiques et souvent stupéfiants que traverse le Mali, ce pays qui nous est commun à tous, ni que je n’en souffre pas. Dans tous les cas, être historien demande du recul pour noter, analyser, apprécier et intervenir au moment idoine, ce qui échappe à l’actualité brûlante.

Sur le plan littéraire, qu’êtes vous devenue depuis votre sortie contre les propos de Nicolas Sarkozy en 2008 ? Un ouvrage en préparation peut-être…?

Disons que j’engrange. Je n’arrête pas de réfléchir, de prendre note, d’observer, d’essayer de comprendre les évènements que nous vivons depuis 2012, en remontant le temps, et surtout, je refuse de me satisfaire des propos faciles visant à gommer le passé tels que « le Mali n’a jamais connu de situations comparables à celles qui se passent aujourd’hui », « les peuples du Mali ont toujours vécu en symbiose, dans la fraternité des cœurs et d’esprit. » Je dirai plutôt : sauvons ce qui est à sauver en terme de cohésion sociale, mais à travers une démarche rigoureuse, la plus incisive et la plus objective qui soit, pour interroger le passé, afin d’en tirer toutes les leçons qu’il faut. Alors, seulement alors, en remontant le temps, l’on pourrait exhumer les zones de lumière qui unissent les Maliens.

Pour l’heure et en attendant, je me dédie au second volet de mon combat intellectuel et militant qui n’est autre que ma dédicace aux questions touchant les femmes et qui vont dans le sens de leur promotion et de leur revalorisation. Je m’emploie à les accompagner dans leur combat pour plus de bien-être, dans des secteurs gratifiants pour elles et en donnant le coup de pouce leur permettant de pousser plus loin leurs ambitions, leur prise en charge, leur émancipation, à travers la formation et la revalorisation de leur savoir-faire entre autres. Cette ambition, je l’ai matérialisée à travers un centre, le Centre de formation et de production pour les Femmes Kadiatou Thiam, du nom de ma défunte mère. Ce projet n’est que le pendant du Musée de la femme que j’ai initié en 1994, pour justement donner un support matériel au « Dictionnaire des femmes célèbres du Mali », que vous citiez tantôt. Le centre Kadiatou Thiam est le deuxième poumon de mon projet féministe.

Pour terminer, laissez-moi souhaiter Bonne fête des femmes à toutes

Par Célia d’ALMEIDA 

Source: Autre presse

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