A six mois de l’élection présidentielle au Mali, la situation globale du pays présente des signes d’inquiétude qui font redouter une aggravation de la crise actuelle, voire un effondrement des fragiles piliers qui soutiennent encore la vie institutionnelle. Le Mali offre ainsi le paradoxe d’offrir plus d’assurance et de prévisibilité pendant la transition de 2012-2013 qu’après plus de 4 ans du mandat de Ibrahim Boubacar Keita. Mais toutes les faillites du régime actuel, qu’elles soient sécuritaire, politique ou sociales, ont un fondement dans la gouvernance du pays.
Après son élection à l’issue de deux tours de scrutin, le président IBK va construire un discours politique dont les éléments de langage n’ont retenu que le score de 77% du second tour. Cette analyse de confort occultait volontairement le score de 39% du candidat au premier tour et cela malgré le soutien appuyé de la junte militaire qui a fait le coup d’État de mars 2012, des chefs religieux musulmans qui ont mené campagne dans les mosquées, du commandement territorial acquis à sa cause et du clin d’œil de la France. Fort de tous ces soutiens, IBK n’a pu l’emporter au premier tour.
Plus grave il n’a pas eu l’humilité de reconnaître la limite de son socle électoral (moins de 4 votants sur 10) et d’inscrire son action dans la modestie et le souci de rassembler. Au contraire, les équipes gouvernementales qu’il va former vont se signaler par leur incroyable faiblesse en termes d’expertise et parfois de crédibilité politique. Le sentiment dominant chez les Maliens est que du Président Modibo Keita à nos jours, aucun Chef d’État n’a été si faiblement accompagné. A la qualité discutable des équipes, il faut ajouter l’instabilité gouvernementale (5 premiers ministres et six gouvernements en 4 ans).
Le signe le plus évident de la méprise du Président Keita sur le sens du vote des Maliens fut d’installer sa famille au cœur du pouvoir. Un fils n’ayant aucune expérience politique et administrative est élu député et propulsé à la tête de la Commission Défense et Sécurité de l’assemblée nationale dans un pays en guerre. Pas moins de 4 neveux, beau-frère ou fils d’amis sont nommés au gouvernement. Les cabinets (Présidence et Ministères) obéissent à la même configuration. La conséquence immédiate a été le discrédit du Président et de l’action publique.
Dilettantisme dans la conduite de L’ÉTAT
À son élection, l’opinion avait prêté au nouveau président des qualités de fermeté et de probité qui ont très vite volé en éclats. Le poids de la famille dans la gouvernance et les accusations de connivence avec Michel Tomi réputé proche des milieux corses et magnat des jeux au Gabon et au Cameroun ont singulièrement entaché l’image de IBK. Les marchés douteux sur l’achat de l’avion présidentiel, les prestations de société de sécurité proches de Michel Tomi ont ajouté au trouble. Une autre critique récurrente faite au chef de L’ÉTAT malien, c’est sa connaissance approximative des dossiers de l’Etat. Critique à laquelle s’ajoutent sa faible capacité de travail et son inaccessibilité.
Au fil des mois et de décisions contestables, le président IBK a vu la légitimité de son pouvoir s’effriter même s’il garde sa légalité. Cette évolution négative a eu un impact direct sur la gestion de la situation sécuritaire qui s’est considérablement dégradée.
La campagne électorale 2013 s’est déroulée dans une ambiance de paix précaire où de guerre larvée. Mais le président élu avait en héritage « l’accord intérimaire de Ouagadougou », loin d’être parfait mais qui pouvait constituer un point de départ. IBK avait fait le choix d’ignorer ostensiblement ce Document tout en multipliant les déclarations guerrières: « aucun rebelle ne se hisser à mon niveau ».
Cette stratégie de la tension a culminé jusqu’à l’aventure militaire du 21 mai 2014 à Kidal et la relance du conflit jusqu’à la signature en mai 2015 de l’accord dit d’Alger dans une posture défavorable pour l’Etat malien et que le négociateur algérien s’est fait un malin plaisir de piéger à travers un texte qui porte les germes de la partition du pays. Parallèlement les groupes djihadistes exclus des pourparlers ont étendu leur emprise au centre du pays (Mopti jusqu’à la frontière avec la Mauritanie) avec des incursions dans le Sahel occidental.
Les alliances politiques et militaires en question
Avec une confondante naïveté le chef de l’Etat malien a pensé que les forces Barkhane ou la Minusma étaient au Mali pour lui permettre de gouverner « tranquille ». Et que le tutoiement avec François Hollande suffisait à la défense des intérêts français. Il a depuis lors compris combien la réalité échappe à son contrôle. Mais l’erreur stratégique dont le Mali paiera encore longtemps le prix est l’allégeance servile du régime à l’Algérie à un moment où ce pays n’a plus à sa tête un président en capacité de se porter garant d’un quelconque engagement international.
Qui est garant de l’accord dit d’Alger? Un Bouteflika malade et vivant hors du temps ? Le gouvernement algérien qui ne décide de rien? La Sécurité militaire qui a des connexions malsaines au Nord du Mali et est partie prenante de la crise? C’est à ce pays sans boussole que IBK a confié le destin du Mali. Désormais le pays obéit au doigt et à l’œil à l’Algérie et se révèle incapable de défendre même ses ressortissants victimes de brimades et de violations de leurs droits par la police algérienne.
Un front social en ébullition
S’agissant du Mali, les conflits sociaux se sont multipliés ces dernières années, alimentées surtout par les conséquences de la mauvaise gouvernance. Dans un pays en crise, le pouvoir a du mal à faire passer le message du sacrifice nécessaire parce que les gouvernants peinent à donner l’exemple d’un État modeste. Ainsi le Mali a vécu il y a quelques mois la grève la plus dure du secteur de la santé dans son histoire. Les magistrats ont aussi observé des jours de grève. Le dernier mouvement en date est celui syndicat de l’administration d’État (une branche de l’UNTM) contre la Loi sur l’enrichissement illicite. Preuve de l’affaiblissement de l’Etat, le pouvoir a gelé la loi, un mauvais signal aux bailleurs de fonds et à la population ulcérée par la corruption.
La rupture
La prochaine élection présidentielle sera un tournant dans la vie du Mali. Elle marquera ou la re-légitimation du pouvoir politique indispensable à la sortie de crise ou un effondrement de l’Etat si une crise pos électorale devait se greffer à la crise sécuritaire. Cette portée du vote en 2018 doit être perçue par tous les acteurs engagés en faveur du retour à la paix au Mali.
L’erreur tragique consisterait à considérer cet épisode comme une affaire locale et laisser les Maliens se « débrouiller» entre eux. La transparence des élections ne doit souffrir d’aucune ambiguïté sous peine d’un basculement du pays dans la violence. Les manifestations contre le projet de révision constitutionnelle finalement abandonné par le pouvoir est un signe tangible de rupture entre le régime et une frange importante de la population de l’intérieur du pays et de la diaspora.
C H Sylla
L’Aube