La situation est suivie de très près et personnellement par le chef de l’Etat. Mardi dernier, Emmanuel Macron s’est entretenu au téléphone avec l’ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, une initiative rare comme le souligne Le Figaro. En marge de cette discussion, le chef de l’Etat a demandé à son ambassadeur de faire un aller-retour express mercredi à Paris pour rencontrer Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères, comme l’a révélé L’Obs.
“C’est un vrai sujet. Je pense que c’est le plus gros ‘objet’ politique des prochains jours et semaines, sur fond d’élections européennes. Ça mobilise en temps le président de la République et le Premier ministre”, a confié à ce titre un ministre interrogé par l’Agence France-Presse (AFP). “Instabilité, questions de sécurité, immigration, questions économiques, ressenti et comportements de nos compatriotes franco-algériens…”: les possibles répercussions sont nombreuses, s’inquiète-t-il.
Des relations tumultueuses
Depuis le début de la contestation après l’annonce le 10 février de la candidature à un 5e mandat du président Bouteflika, la France s’exprime publiquement avec une prudence absolue, car l’ex-puissance coloniale marche sur des œufs. “Nous avons beaucoup d’intérêts sur place, une communauté française qui y vit et une grosse communauté algérienne en France”, rappelle l’Elysée dans Le Figaro.
“C’est au peuple algérien et à lui seul qu’il revient de choisir ses dirigeants, de décider de son avenir, et cela dans la paix et la sécurité”, a déclaré mercredi le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, faisant le “vœu” de la France que l’élection présidentielle du 18 avril réponde “aux aspirations profondes” de la population algérienne.
Depuis la fin de la guerre et l’indépendance en 1962, la France et l’Algérie entretiennent des relations à la fois proches et difficiles, sur fond de réconciliation tumultueuse. Importants liens économiques, passé colonial douloureux, forte communauté d’origine algérienne en France, collaboration des services de renseignement ou plus récemment jihadisme au Sahel forment une relation complexe.
“Soit on en parle et les Algériens accusent d’ingérence l’ancien colonisateur, soit on n’en parle pas et la France est accusée de favoriser un régime antidémocratique. Dans un cas comme dans l’autre, le terrain est miné”, souligne l’historien et spécialiste de l’Algérie Benjamin Stora.
Inquiétude des autorités françaises
Ces dernières années, a fortiori depuis les “printemps arabes”, beaucoup de hauts responsables français se sont inquiétés en privé du risque de “déstabilisation” du régime algérien, qu’elle vienne de révoltes contre le régime ou de la mort d’Abdelaziz Bouteflika. Et notamment de l’impact migratoire qu’elle pourrait entraîner en cas de conflit violent.
“Certains responsables français ont tendance à ne voir qu’un scénario avec l’effondrement de l’Etat algérien et des flots de gens qui soudainement traverseraient la Méditerranée. C’est exagéré”, juge Andrew Lebovich, chercheur associé au Conseil européen des relations internationales (ECFR).
Avec son immense frontière de plusieurs milliers de kilomètres avec le Mali, le Niger et la Libye, l’Algérie est également un acteur clé sur le front contre le jihadisme au Sahel, même si elle fait aussi l’objet de suspicions de double jeu avec certains groupes jihadistes. Déjà confrontée à une situation tendue et à la difficile montée en puissance de la force africaine du G5 Sahel (Mauritanie, Tchad, Mali, Niger, Burkina), l’opération militaire française Barkhane verrait émerger une nouvelle incertitude.
Enfin, avec près de 5 milliards d’euros d’échanges bilatéraux, l’enjeu économique est également jugé significatif. L’Algérie, qui héberge une usine Renault et une autre de PSA, est également un important débouché pour le blé français. Quant au gaz algérien, s’il ne représente que 10% des importations françaises, il pèse plus de la moitié de celles de l’Espagne, et des problèmes de livraison venus d’Algérie compliqueraient rapidement l’approvisionnement du sud de l’Europe.