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Youssouf Traore, médaillé d’or de l’indépendance : « Le président IBK et le peuple malien méritent le Prix Nobel de la Paix…. »

Lui aussi était un farouche résistant, aux côtés de son ami Modibo Keita pour l’indépendance du Mali. Dans cette interview, Youssouf Traoré, puisque c’est de lui qu’il s’agit, plonge le lecteur dans l’histoire contemporaine de notre pays. Du haut de ses 93 ans, l’homme se souvient, dans les moindres détails, des sacrifices qu’ils ont consentis pour bâtir un Etat fort.

Colonel youssouf traore president Union  forces démocratiques progrès (Ufdp-Sama Ton)Connu pour son franc-parler, Youssouf Traoré répond sans détour à toutes les questions, et accepte même d’évoquer les erreurs que le premier président du Mali indépendant aurait pu éviter. Il évoque aussi les origines de la rébellion et pense que le sang-froid du chef de l’Etat a permis d’éviter le pire. Il est convaincu même qu’IBK et le Mali tout entier méritent le Prix Nobel de la Paix pour leur sens du pardon. Lisez plutôt.

L’Enquêteur : Vous avez beaucoup milité pour l’indépendance du Mali. Quels souvenirs en gardez-vous ?

Youssouf Traoré : Il est difficile de ramasser en quelques heures ce que des siècles de civilisation et de cultures ont bâti. Sans le passé, il n’y a pas de présent et sans le présent, il n’y a pas d’avenir. Les indépendances n’existent que de nom aujourd’hui car nous ne sommes pas réellement indépendants. Nous sommes soumis, nous avons besoin de nous ressourcer dans notre passé. A la différence des Chinois, Japonais et Vietnamiens avec lesquels nous avons étudié, le petit bambara qui a étudié en France n’a pas respecté sa culture.

Tous nos chefs, les anciennes colonies françaises sont aujourd’hui inféodées. Nos budgets sont financés par la France. Comment voulez-vous tendre la main, être des mendiants et devenir indépendants ?

Quand Modibo Keita a organisé sa conférence de presse à Alger en 1965, un journaliste lui a demandé comment il avait pu vaincre la rébellion de 1963 au Nord du Mali. Il a répondu qu’en réalité, le nord du Mali n’avait jamais été indépendant et qu’il savait ce qu’il faisait. Durant l’occupation coloniale, la dernière bataille entre les colons et les rebelles du nord datait de 1958. Ce fut la plus sanglante bataille contre les Français. Les Français n’ont donc jamais pacifié le nord du Mali, alors que nous préparions déjà la Loi-cadre de 1958. Les Français venaient chercher les Bella jusqu’à Mopti et les attachaient pour les trainer sur des chevaux, comme des bêtes de somme, devant les populations blanches du Nord. Des Blancs ayant fui l’Algérie après que le général de Gaule a octroyé l’indépendance à ce pays, se sont déversés au nord du Mali. Ce sont ces Blancs qui ont inculqué au peuple touareg que les Noirs étaient leurs captifs, par conséquent ces Noirs ne devraient en aucun cas diriger les Touaregs.

L’Enquêteur : Modibo aurait-il fait appel à l’ONU ?

Youssouf Traoré : Modibo, pour résoudre la crise de 1963, a refusé de faire appel à l’ONU car l’exemple de Patrice Lumumba, attaché et livré alors qu’il était censé avoir la protection de l’ONU, était dans les esprits. Modibo a toujours refusé que l’ONU vienne au Mali car elle ne quitterait plus le pays. Pour exemple, l’ONU depuis qu’elle a mis pied au Congo dans les années 1960, y est toujours présente, jusqu’à nos jours. Nous sommes un pays de guerriers. Soundjata Keita l’a dit, c’est par la bataille que le Mandé se construira, c’est également la bataille qui détruira le Mandé.

L’Enquêteur : Quelles solutions durables, Modibo proposerait pour régler durablement la crise au nord ?

Youssouf Traoré : Reverdir le Nord comme Kadhafi l’a fait en Lybie. Je connais Kidal comme la pomme de ma main. J’ai vu Kidal dans des conditions extrêmement difficiles. Kidal était considéré comme un pénitencier à ciel ouvert dans lequel on n’avait pas besoin de surveiller les pensionnaires. Il suffisait qu’on vous y amenât et vous ne pouviez aller nulle part, l’environnement étant très hostile, avec les tempêtes de sable. Il faut arriver à adoucir les conditions de vie dans le nord, en créant des puits, en plantant des arbres, en amenant les biens de consommation. J’ai parcouru toutes les villes de Mopti à Kidal pendant la sécheresse de 1974. J’ai parcouru les camps de Tombouctou, Bourem, Rharous, Gao, d’Ansogo, de Ménaka, de Kidal. C’était atroce. Les Touaregs ont souffert pendant cette grande sécheresse de 1974. Ils ont tout perdu, des hommes, des animaux. Modibo disait qu’il fallait les assimiler par le mariage, qu’il fallait peupler le désert car nous sommes « un et indivisibles ». A la création de l’Ecole d’administration du soudan en 1958-1959, Modibo a choisi six collégiens touaregs qu’il a inscrits sans concours parmi lesquels il y a eu des ministres et des ambassadeurs. Modibo proposait de sédentariser les peuples nomades du nord, les instruire et les amener vivre au Centre du pays. Tous les coups d’Etat sont négatifs. Celui du 19 novembre 1968 aura été le plus périlleux pour le Mali.

L’Enquêteur : Pourquoi ?

Youssouf Traoré : Le régime socialiste de Modibo a fait, en seulement huit années, plus de cent cinquante réalisations et non des moindres dans tous les domaines dont les infrastructures de l’Education, de la Santé. L’Hôtel de l’Amitié en est une preuve. Si on avait poursuivi notre élan, le Mali serait devenu un pays émergent après cinquante-cinq ans d’indépendance. On ne connaissait pas le chômage. Tous ceux qui sortaient de l’école trouvaient du travail. Mais le régime brutal, libéral, néolibéral, sauvage a tout bouleversé. (Il hausse le ton, ndlr). Le coup d’Etat de Moussa Traoré a été le plus fatal pour le Mali. Mugabe l’a dit en présence de Moussa Traoré lors de la cérémonie de signature des Accords de paix le 15 mai dernier. L’Hôtel de l’Amitié qui nous a été offert gratuitement par Nasser a été bradé à vil prix. Toutes nos sociétés d’Etat ont été liquidées. Cette liquidation entamée sous le régime de Moussa Traoré s’est poursuivie jusqu’à Alpha Oumar Konaré qui a vendu l’Hôtel de l’Amitié. Le Soudanais était un homme libre, conscient et digne, mais le Malien est un captif.

Le premier conflit de l’OUA en 1963 entre deux pays arabes, l’Algérie et le Maroc, a été résolu par un Noir, Modibo Keita. Modibo Keita est rentré dans l’histoire contemporaine du Mali. On parlera toujours de lui.

L’Enquêteur : D’après certaines informations, la France convoitait le Nord du pays déjà depuis les années 1960. En tant que premiers intellectuels du Mali nouvellement indépendant, en aviez-vous conscience ?

Youssouf Traoré : Le Mali toujours été convoité par la France pour ses richesses. L’industrialisation est la mère de la colonisation. Les Français ont créée des usines textiles et avaient besoin de coton, de matières premières, d’où la colonisation, cette exploitation de l’homme par l’homme. Cela consistait à piller nos matières, les transformer et revenir nous les revendre. Tout le Mali est plein d’or. Certains ont pu dire que le Mali et la Guinée constituent des scandales géologiques.

Au Nord, il y a l’or, le pétrole, le diamant, la bauxite, l’uranium. Les gisements d’uranium de Kéniéba sont deux fois supérieurs à ceux du Niger. En plus, le Mali possède une nappe d’eau douce, et avec les aléas climatiques, les experts disent que l’eau potable va manquer dans le monde. De Taoudéni jusqu’au Tchad, nous possédons une vaste étendue d’eau douce. D’où la présence de sel à Taoudéni qui est due à l’existence d’une mer qui a séché.

En 1958, avec la Loi-cadre, les Blancs ont tenté de créer l’organisation des pays riverains du Sahara en regroupant une partie de l’Algérie, de la Mauritanie, du Niger et du Mali, avec Gao pour capitale. Le Mali et l’Algérie ont rejeté le projet qui a fini par échouer. Malgré cela, les Blancs n’ont pas lâché prise. Ils ont construit l’aéroport international de Tessalit en 1958, plus grand que celui de Bamako, afin que les plus gros porteurs puissent y atterrir et décoller. Toute la communauté internationale dont la Chine, le Japon, les Etats-Unis, la Russie et la France surtout qui l’a construit, tous convoitent cet aéroport.

L’Enquêteur : Pourquoi ?

Parce que selon les Américains, la position unique de Tessalit permet de bombarder n’importe quelle région du monde. Ce qui manque au Mali, c’est un service de renseignement digne de ce nom, un service d’espionnage et de contre-espionnage.

L’Enquêteur : Racontez-nous un peu la vie courante de Modibo Keita, vous qui avez été son ami.

Youssouf Traoré : On parlera toujours de Modibo Keita. C’était un homme comme toi et moi, mais avec des qualités exceptionnelles telles la dignité, la probité, la fraternité. Modibo était religieux, généreux patriote, panafricain, universel. J’ai vu Modibo quand il était élève, ensuite surveillant général à l’école Terasson de Fougères (actuel lycée Askia Mohamed de Bamako, ndlr) en 1942-43, pendant la Seconde Guerre Mondiale. Il avait un vélo de marque Peugeot à l’époque, comme moyen de déplacement. Il plaçait son vélo devant la salle à manger et nous surveillait jusqu’à minuit. Modibo nous a formés à l’école. Modibo ne buvait jamais du lait importé. Si quelqu’un voulait qu’il le haïsse toute la vie, il fallait lui présenter une boîte de lait. Pour lui, le Mali avait suffisamment de vaches pour qu’on importât du lait. Il ne buvait que du lait produit au Mali. Il avait aussi sa boîte de Lipton anglais pour préparer son thé au citron. Le karité, le ‘’zaban’’, les oranges de kinkéliba, il en raffolait. Pour lui, il était nécessaire d’avoir toujours des dents propres. C’est pourquoi il avait constamment un cure-dent dans la bouche. Il se réveillait à trois heures du matin pour faire sa prière à quatre heures avant d’aller saluer matinalement son père à Ouolofobougou. Même le prix de condiments qu’il payait de sa propre poche était notifié dans un agenda. Il répartissait l’argent public entre les Ministères, gouvernorats, chefs-lieux d’arrondissement. On a retrouvé une vingtaine d’agendas le 19 novembre 1968, lors du coup d’Etat. Dans ces agendas, figurait la liste de tous ceux qui avaient pris de l’argent avec Modibo, dont Moussa Traoré. Moussa, natif de Kayes en 1933 avait l’estime de Modibo.

Ayant prévu l’éclatement de la Fédération malienne, il était question pour Modibo de former l’armée malienne. Pour former l’armée malienne, Modibo fit appel à Périgana Drabo qui, à son tour, fit appel à Kélétigui Drabo et Sékou Traoré, tous officiers dans les Forces armées françaises. C’est ainsi qu’ils ont constitué une commission pour créer l’armée malienne le 1er octobre 1960. Après cela Modibo envoya une délégation chez Khrouchtchev en Union Soviétique pour équiper l’armée. Les tanks, avions, hélicoptères, la formation, tout était mis sur la table des négociations avec la Russie. Lorsqu’il a reçu ce premier équipement, Modibo Keita, le 20 janvier 1961, a convoqué l’ensemble du corps diplomatique dont l’ambassadeur de France pour demander le départ de l’armée française. Progressivement, l’armée française a plié bagages, jusqu’au 5 septembre 1961 où le dernier soldat français a quitté le sol malien. La France organisa une cérémonie très mémorable au cours de laquelle, ordre a été donné à l’armée française de descendre le drapeau français pour monter le drapeau du Mali, flambant neuf. Ce jour-là, le général français venu de Dakar pour assister à la cérémonie a versé des larmes. De son côté, le Mali était très réconforté. Les soldats ont quitté Bamako, pour rejoindre le Burkina d’où ils iront sur Abidjan afin d’embarquer dans des bateaux pour la France. En partant, ils ont tout saccagé. A Kati, ils ont démoli tout le système électrique. Les vêtements, les bottes ont été brûlés. Le reste du matériel qu’ils ne pouvaient pas emporter ont été transportés dans des camions et jetés dans l’eau à Sotuba. C’est dans un tel contexte que le premier défilé de l’Armée malienne a eu lieu sur la place Maginot, la place située actuellement entre le Ministère de l’Education nationale et la Chambre de commerce et d’industrie.

L’Enquêteur : On sait que Modibo Keita avait des ennemis. Dites-nous, comment les géraient-ils ?

Youssouf Traoré : Le Prophète Mahomet a été hué, blessé et traité de fou à la Mecque. Ce que les hommes n’ont pas épargné à un prophète, ils n’en n’épargneront pas un simple humain. Un chef a toujours des adversaires. Certains n’étaient pas contents avec l’avènement des indépendances. Certains ne voulaient pas que l’Union soudanaise Rassemblement démocratique africain US/RDA (le parti de Modibo Keita, ndlr) prenne le pouvoir. Dans toute adversité, quand les intérêts s’entrechoquent, il y a conflit. Modibo n’a pas échappé à cela. Il a été accusé d’avoir fusillé Fily Dabo Sissoko, Hamadoun Dicko, Maraba Kassoum Touré, au nord du Mali. Mais je sais tout ce qui s’est passé, j’ai en ma possession les procès-verbaux.

De 1962 à 1968, Modibo n’a pas organisé de congrès contrairement aux statuts et règlement intérieur du parti. Tout cela a constitué des erreurs de sa part. Il était après tout un homme. Au congrès du parti en 1962, l’aile droite du parti, plus forte, a failli liquider l’aile gauche en demandant de mettre fin au socialisme intégral. Ce sont  mes dix-sept délégués et moi qui avons sauvé le Congrès de 1962. Sinon, on aurait sauté Madeira, Seydou Badian, Ousmane Bah, etc. Modibo a commis des erreurs. Les Peulhs disent que tous ceux qui boivent se trompent, sauf les prophètes. Mais en comparant les actes positifs et les actes négatifs de l’homme, on se rendrait compte que Modibo Keita a fait dix fois plus de bien que de mal. C’est en cela que nous aimons l’homme et suivrons toujours ses traces. Nous devons avoir Modibo Keita comme un puits, une source éternelle où les jeunes générations viendront s’inspirer. C’est pourquoi, contrairement aux autres qui refusent de parler des erreurs de Modibo, je dis ce que je pense, je dis ce que j’ai vécu. A quatre-vingt-treize ans, je n’ai peur que de Dieu seul.

L’Enquêteur : Un mot sur la réconciliation…

Youssouf Traoré : Quand il y a conflit, il y a négociation. Il faut faire des compromis pour avoir la paix. Car sans la paix, il n’y a pas de développement, il n’y a pas de vie. L’homme est au début et à la fin de tout développement. Les accords de paix négociés pendant près de huit mois sont un compromis. Et ce n’est qu’à leur application qu’on verrait les erreurs commises de part et d’autres pour les corriger progressivement. Ça ne servira à rien de s’alarmer. Le président Ibrahim Boubacar Keita a aujourd’hui une vision. Sa persévérance et sa stature d’homme d’Etat ont été constantes durant les négociations. IBK n’a pas cédé le moindre centimètre carré du territoire malien. Lorsque je lis les journaux le matin, les journalistes parlent comme si le Mali allait exploser le soir. Mais IBK a un sang-froid. IBK est généreux, religieux, fraternel et possède des qualités exceptionnelles. C’est un homme qui aime et respecte les vieux. IBK, mérite le Prix Nobel de la Paix, avec le Mali tout entier. C’est une idée que nous comptons défendre en démontrant le lourd tribut payé par le peuple malien, depuis la première Guerre Mondiale de 14-18, jusqu’à nos jours. Nous y croyons et nous prendrons toutes les dispositions pour y parvenir, en présentant la candidature de notre pays au Prix Nobel, en 2016. Modibo Keita a reçu le prix Lénine, l’équivalent du Prix Nobel de la Paix.

Interview réalisée par ABD et O. Roland

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