Ces individus rompus aux techniques de marketing montent dans les bus de transport interurbain pour proposer des «remèdes miracles». Or ces médicaments ne répondent, en tout cas pour la plupart, à aucune norme pharmaceutique ou de conservation
Ils nous intoxiquent avec leur «com» dans les bus sur les axes routiers. Ils prêtent à des produits (très souvent de leur cru) des vertus qu’on ne peut imaginer trouver même dans les meilleurs médicaments pharmaceutiques ou traditionnels améliorés. Ces prestidigitateurs semblent avoir pignon sur rue. Nous sommes dans un bus pour rallier Mopti, la Venise malienne.
Après l’ancien poste de contrôle de Niamana, un jeune Ivoiro-Malien se présente aux passagers comme un messie envoyé pour régler avec un coup de baguette magique tous les problèmes de santé. Celui qui répond à l’identité de Didier reconnaît n’être ni médecin, ni pharmacien, mais simplement quelqu’un qui assure le marketing des produits de santé qu’il propose à la vente. Il commente ses médicaments jusqu’au poste de contrôle de Zantiguila où il descend du bus et donne au revoir aux passagers en espérant les retrouver prochainement.
Autre jour, autre bus et même constat à l’entrée de la ville de Bla (dans la Région de Ségou). Le passager du jour qu’était votre serviteur observe Malamine Tangara prétendre, une fois monté dans le bus, avoir un pouvoir de guérison sur les maladies. Ce phénomène de vente illicite de médicaments ou de recettes de grand-mère sur les axes routiers prend des proportions inquiétantes et commande la réaction des autorités compétentes.
Crédulité des passagers- Ces revendeurs de médicaments dans les bus profitent des la naïveté ou du désarroi des passagers atteints de certaines pathologies. Ils sont nombreux ceux qui avalent leurs boniments. à titre d’exemple, certains proposent aux passagers des produits comme Aloes vera, panthère, des pommades aux multiples vertus contre diverses maladies et des poudres contre les gastrites. Ils jouent sur la psychologie des passagers et leur proposent même des échantillons à tester. Ils arrivent ainsi à écouler une quantité importante de leurs produits sur les axes routiers. Les prix oscillent entre 500 et 2.000 Fcfa.
à la gare routière de Sogoniko, une vendeuse de friperie résume la crédulité ou la résignation de certains de nos compatriotes à croire au miracle de ces charlatans ou vendeurs d’illusion. «à défaut de sa mère, on tète la grande mère», explique la dame qui estime que chacun traite ses maux en fonction de ses capacités financières. Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que les soins de santé obéissent à des normes thérapeutiques et à des règles de prudence qui conseillent d’éviter l’automédication.
Les exemples de ce phénomène de vente des médicaments dans les bus sont légion. Dans un car en provenance de Kita, à quelques encablures de Kati, un jeune voyageur capte l’attention des passagers avec une pommade qu’il exhibe sur fond d’interrogation : «lui connaît ce produit ? Le premier à trouver la bonne réponse aura un cadeau». Automatiquement, certains mordent à l’hameçon. Les commandes s’enchaînent à sa grande satisfaction.
Les produits proposés sont des crèmes, des pâtes dentifrices, des pommades et autres recettes traditionnelles contre l’ulcère, les maladies chroniques comme le diabète, l’hypertension artérielle. Il prétend aussi faire le miracle contre les hémorroïdes et les maladies du rein… Visiblement son petit business prospère. Il dit avoir intégré ce réseau par l’intermédiaire d’un grand frère du quartier pour échapper au chômage. Pour l’interdiction de la pratique, il n’en a cure. Il explique simplement que ses produits sont différents de ceux du «Rail da» ou du «Dabanani».
qu’en disent les spécialistes ? «La vente des produits pharmaceutiques relève d’un domaine spécifique», rappelle le directeur de la pharmacie et du médicament (DPM), Dr Yaya Coulibaly. Il explique que malheureusement le phénomène de vente de médicaments illicites continue de prendre de plus en plus de l’ampleur, surtout ces dernières années.
Les prestidigitateurs prêtent de nombreuses vertus à leurs produits
En février 2020, le gouvernement a pris des mesures contre la vente illicite des médicaments non autorisés. Des décisions ont été prises, notamment la mise en place d’une commission interministérielle sous la direction d’un conseiller technique du ministère de la Santé et du Développement social, en charge des questions de pharmacie.
En dépit de ces efforts, la vente des médicaments illicites prend une autre forme beaucoup plus expressive et communicative. Pour lui, ce n’est pas une question de coût ou de pauvreté, car la vente des médicaments n’est pas économique mais plutôt sociale, d’où la mise en place des médicaments en dénomination commune internationale (DCI).
Pour Oumar Sanogo, pharmacien de son état, la consommation des produits non autorisés s’explique par l’ignorance. Si on prend l’exemple sur le paracétamol, le prix d’une plaquette est fixé à 100 Fcfa à la pharmacie et même chez les revendeurs des médicaments.
Le président du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens du Mali (CNOP), Dr Badra Wade, partage aussi l’inquiétude sur le phénomène de vente des médicaments dans les transports publics sur les grands axes routiers. Il pointe courageusement du doigt les chauffeurs de ces transports publics et leurs employeurs. «C’est une irresponsabilité des chauffeurs et compagnies d’accepter ces produits dans leurs bus», dénonce-t-il. Dr Badra Wade fulmine contre l’absence de volonté politique à mettre le holà à une «pratiquequi se fait en violation flagrante de la loi».
Un agent d’une société de transports ayant requis l’anonymat, a accepté de verser son avis dans le débat. Il pense que les compagnies ne sont nullement impliquées. Le chef de la section recherche à la brigade des stupéfiants, le major de police Lamine Samaké, déplore l’absence d’une sanction pénale en la matière et la ratification de la Convention Medicrime qui représente un instrument juridique à l’échelle planétaire contre le phénomène. Ces textes prévoientaussi le retrait des produits aux vendeurs.
En attendant une solution définitive au fléau, préservons-nous! Le médicament relève de la science du pharmacien, sinon il peut devenir un poison.
Amadou Sow
Source : L’ESSOR